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Publié par | bibebook |
Nombre de lectures | 84 |
EAN13 | 9782824709970 |
Langue | Français |
Extrait
HONORÉ DE BALZA C
LA P EA U DE
CHA GRI N
BI BEBO O KHONORÉ DE BALZA C
LA P EA U DE
CHA GRI N
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-0997-0
BI BEBO OK
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compris à Bib eb o ok.LA P EA U DE CHA GRI N
1La p e au de chagrin Chapitr e
A MONSI EU R SA V ARY ,
MEMBRE DE L’ A CADÉMI E DES SCI ENCES
2CHAP I T RE I
LE T ALISMAN
du mois d’ o ctobr e der nier , un jeune homme entra
dans le Palais-Ro yal au moment où les maisons de jeu s’ ou-V v raient, confor mément à la loi qui pr otég e une p assion
essentiellement imp osable . Sans tr op hésiter , il monta l’ escalier du trip ot
désigné sous le nom de numér o 36.
― Monsieur , v otr e chap e au, s’il v ous plaît ? lui cria d’une v oix sè che
et gr ondeuse un p etit vieillard blême accr oupi dans l’ ombr e , pr otég é p ar
une bar ricade , et qui se le va soudain en montrant une figur e moulé e sur
un ty p e ignoble .
and v ous entr ez dans une maison de jeu, la loi commence p ar v ous
dép ouiller de v otr e chap e au. Est-ce une p arab ole é vang élique et pr o
videntielle ! N’ est-ce p as plutôt une manièr e de conclur e un contrat
infer nal av e c v ous en e xig e ant je ne sais quel g ag e ? Serait-ce p our v ous
oblig er à g arder un maintien r esp e ctueux de vant ceux qui v ont g agner
v otr e ar g ent ? Est-ce la p olice tapie dans tous les ég outs so ciaux qui tient
3La p e au de chagrin Chapitr e I
à sav oir le nom de v otr e chap elier ou le vôtr e , si v ous l’av ez inscrit sur
la coiffe ? Est-ce enfin p our pr endr e la mesur e de v otr e crâne et dr esser
une statistique instr uctiv e sur la cap acité cérébrale des joueur s ? Sur ce
p oint l’administration g arde un silence complet. Mais, sachez-le bien, à
p eine av ez-v ous fait un p as v er s le tapis v ert, déjà v otr e chap e au ne v ous
app artient p as plus que v ous ne v ous app artenez à v ous-même : v ous
êtes au jeu, v ous, v otr e fortune , v otr e coiffe , v otr e canne et v otr e
mante au. A v otr e sortie , le JEU v ous démontr era, p ar une atr o ce épigramme
en action, qu’il v ous laisse encor e quelque chose en v ous r endant v otr e
bag ag e . Si toutefois v ous av ez une coiffur e neuv e , v ous appr endr ez à v os
dép ens qu’il faut se fair e un costume de joueur . L’étonnement manifesté
p ar l’étrang er quand il r e çut une fiche numér oté e en é chang e de son
chap e au, dont heur eusement les b ords étaient légèr ement p elés, indiquait
assez une âme encor e inno cente . Le p etit vieillard, qui sans doute avait
cr oupi dès son jeune âg e dans les b ouillants plaisir s de la vie des joueur s,
lui jeta un coup d’ œil ter ne et sans chaleur , dans le quel un philosophe
aurait v u les misèr es de l’hôpital, les vag ab ondag es des g ens r uinés, les
pr o cès-v erbaux d’une foule d’asphy xies, les travaux for cés à p er p étuité ,
les e xp atriations au Guazaco alco . Cet homme , dont la longue face blanche
n’était plus nour rie que p ar les soup es g élatineuses de d’ Ar cet, présentant
la pâle imag e de la p assion ré duite à son ter me le plus simple . D ans ses
rides il y avait trace de vieilles tortur es, il de vait jouer ses maigr es app
ointements le jour même où il les r e ce vait ; semblable aux r osses sur qui les
coups de fouet n’ ont plus de prise , rien ne le faisait tr essaillir ; les sourds
g émissements des joueur s qui sortaient r uinés, leur s muees impré
cations, leur s r eg ards hébétés, le tr ouvaient toujour s insensible . C’était le
Jeu incar né . Si le jeune homme avait contemplé ce triste Cerbèr e , p
eutêtr e se serait-il dit : Il n’y a plus qu’un jeu de cartes dans ce cœur-là !
L’inconnu n’é couta p as ce conseil vivant, placé là sans doute p ar la Pr
ovidence , comme elle a mis le dég oût à la p orte de tous les mauvais lieux ;
il entra résolument dans la salle où le son de l’ or e x er çait une éblouissante
fascination sur les sens en pleine conv oitise . Ce jeune homme était pr
obablement p oussé là p ar la plus logique de toutes les élo quentes phrases
de J.-J. Rousse au, et dont v oici, je cr ois, la triste p ensé e : Oui, je conçois
qu’un homme aille au Jeu ; mais c’est lorsque entre lui et la mort il ne voit
4La p e au de chagrin Chapitr e I
plus que son dernier écu .
Le soir , les maisons de jeu n’ ont qu’une p o ésie v ulg air e , mais dont l’
effet est assuré comme celui d’un drame sanguinolent. Les salles sont g
arnies de sp e ctateur s et de joueur s, de vieillards indig ents qui s’y traînent
p our s’y ré chauffer , de faces agité es, d’ or gies commencé es dans le vin
et prêtes à finir dans la Seine ; la p assion y ab onde , mais le tr op grand
nombr e d’acteur s v ous empê che de contempler face à face le démon du
jeu. La soiré e est un véritable mor ce au d’ ensemble où la tr oup e entièr e
crie , où chaque instr ument de l’ or chestr e mo dule sa phrase . V ous v er riez
là b e aucoup de g ens honorables qui viennent y cher cher des distractions
et les p ay ent comme ils p ay eraient le plaisir du sp e ctacle , de la g our
mandise , ou comme ils iraient dans une mansarde acheter à bas prix de
cuisants r egr ets p our tr ois mois. Mais compr enez-v ous tout ce que doit av oir
de délir e et de vigueur dans l’âme un homme qui aend av e c imp atience
l’ ouv ertur e d’un trip ot ? Entr e le joueur du matin et le joueur du soir il
e xiste la différ ence qui distingue le mari nonchalant de l’amant pâmé sous
les fenêtr es de sa b elle . Le matin seulement ar riv ent la p assion p alpitante
et le b esoin dans sa franche hor r eur . En ce moment v ous p our r ez
admir er un véritable joueur , un joueur qui n’a p as mang é , dor mi, vé cu, p ensé ,
tant il était r udement flag ellé p ar le fouet de sa marting ale ; tant il
souffrait travaillé p ar le pr urit d’un coup de trente et quarante . A cee heur e
maudite , v ous r encontr er ez des y eux dont le calme effraie , des visag es
qui v ous fascinent, des r eg ards qui soulè v ent les cartes et les dé v or ent.
A ussi les maisons de jeu ne sont-elles sublimes qu’à l’ ouv ertur e de leur s
sé ances. Si l’Esp agne a ses combats de taur e aux, si Rome a eu ses
gladiateur s, Paris s’ enor gueillit de son Palais-Ro yal, dont les ag açantes r oulees
donnent le plaisir de v oir couler le sang à flots, sans que les pie ds du p
arter r e risquent d’y glisser . Essay ez de jeter un r eg ard furtif sur cee arène ,
entr ez. . . elle nudité ! Les mur s, couv erts d’un p apier gras à hauteur
d’homme , n’ offr ent p as une seule imag e qui puisse rafraîchir l’âme ; il ne
s’y tr ouv e même p as un clou p our faciliter le suicide . Le p ar quet est usé ,
malpr opr e . Une table oblongue o ccup e le centr e de la salle . La simplicité
des chaises de p aille pr essé es autour de ce tapis usé p ar l’ or annonce une
curieuse indiffér ence du lux e chez ces hommes qui viennent p érir là p our
la fortune et p our le lux e . Cee antithèse humaine se dé couv r e p artout
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où l’âme ré agit puissamment sur elle-même . L’amour eux v eut mer e sa
maîtr esse dans la soie , la r e vêtir d’un mo elleux tissu d’Orient, et la
plup art du temps il la p ossède sur un grabat. L’ambitieux se rê v e au faîte d