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Les Nouvelles d’Afghanistan n°122
10
GEOPOLITIQUE
La politique afghane du Pakistan
par William MALEY*
L’Afghanistan et le Pakistan pourraient être des pays frères : longue frontière
commune, une langue partagée, une même ethnie répartie des deux côtés de
l’Afghanistan. Pourtant, depuis la création du Pakistan en 1947, les relations
entre les deux pays sont du genre : « je t’aime, moi non plus ». Le désir fort
du Pakistan de contrôler la politique afghane pour se prémunir contre une al-
liance entre l’Inde et son voisin occidental est à l’origine de bien des troubles
en Afghanistan et empêche l’établissement de relations sereines. L’absence de
clarté et d’intelligence de la politique américaine dans la région depuis des
décennies n’a rien arrangé. William Maley, observateur attentif de la scène
afghane depuis les années de guerre, analyse pour nous la complexité de la
situation.
* Asia-Pacific College of Diplomacy, The Australian National University.
Auteur de Rescuing Afghanistan (Londres: Hurst & Co., 2006).
Les relations politiques entre l’Afghanistan et le Pakistan
ont toujours été très compliquées. Il y a plus de soixante
ans, l’Afghanistan a voté contre l’admission du Pakistan à
l’ONU, et de 1961 à 1963, les relations diplomatiques en-
tre les deux pays ont été rompues. Pour l’observateur, cela
peut étonner, car la population des deux pays est essentielle
-
ment musulmane. Mais malheureusement, l’Afghanistan et
le Pakistan sont prisonniers d’une histoire déterminée par des
événements du dix-neuvième siècle, auxquels il leur est très
difficile d’échapper.
Pour comprendre l’origine de ces problèmes, il est nécessaire
de se souvenir des activités de Sir Mortimer Durand, qui a
établi en 1893 une ligne de démarcation entre l’Afghanistan
et l’Inde. Cette ligne a fractionné l’ethnie des Pachtouns, et
c’est à cause de ça que l’Afghanistan a demandé sans succès
en 1947 pendant le partage de l’Inde le droit d’autodétermi-
nation pour les peuples pachtouns. Cela a été à l’origine des
difficultés dans les relations entre l’Afghanistan et le Pakistan
pendant les trois décades suivantes. Une conséquence impor-
tante en a été que le Pakistan après 1978 a choisi de soutenir
les partis religieux radicaux plutôt que les partis nationalis-
tes plus laïcs de la résistance afghane. Mais d’autres facteurs
sont aussi entrés en jeu. Le général Zia ul-Haq s’est consacré
à une politique d’islamisation, qui a conduit naturellement
au soutien des partis islamistes. En outre, l’agence de ren-
seignement militaire du Pakistan, l’ISI, avait des relations
avec le Hezb-e Islami de Gulbuddin Hekmatyar depuis 1973.
Plus important encore, les mauvaises relations du Pakistan
avec l’Inde ont été un stimulant pour promouvoir des partis
afghans susceptibles en cas de crise d’apporter leur soutien
au Pakistan en tant qu’Etat musulman.
L’incapacité du Hezb-e Islami pour prendre et tenir le terri-
toire après l’effondrement du régime communiste en 1992 a
été un facteur important dans la décision du Pakistan de dé
-
placer son soutien vers le mouvement des Tâlebân. Ce mou-
vement — décrit comme «nos garçons» par l’ancien ministre
de l’Intérieur du Pakistan, le général Naseerullah Babar —
s’est avéré être un ami dangereux pour Islamabad. Après la
chute de Kaboul entre les mains des Tâlebân en septembre
1996, la politique du mouvement à l’égard des femmes a été
extrême si bien que les adversaires des Tâlebân ont pu garder
la place de l’Afghanistan à l’Assemblée Générale des Na-
tions Unies, malgré les efforts diplomatiques du Pakistan.
L’attitude du Pakistan face aux forces radicales inquiète
parce que le Pakistan est un Etat profondément instable. Par
contraste avec l’Inde, qui a clairement suivi le chemin de la
démocratie depuis 1947, le Pakistan a subi des périodes pro
-
longées de gouvernement militaire. Les dépenses gouverne-
mentales sont allées à la Défense plutôt qu’à l’éducation et
à la santé et le système judiciaire s’est montré accommodant
avec l’armée. Les partis politiques civils ont été affaiblis. Le
résultat en a été une élite politique corrompue et terne, dont
les membres se consacraient plus souvent à chercher un enri-
chissement personnel qu’à rechercher le bien public.
Une politique équivoque
Le fait que le Pakistan a contribué au développement du
mouvement des Tâlebân était alors bien connu dans la plu-
part des capitales du monde. Pourtant, jusqu’aux attaques ter-
roristes sur les États-Unis le 11 septembre 2001, aucun Etat
important n’a affronté le problème (bien que l’Inde ait averti
que les résultats du soutien du Pakistan en faveur des Tâ
-
lebân seraient probablement désastreux). Après les attaques
de septembre 2001, l’Administration du Président George W.
Bush a exercé une pression forte sur le Pakistan pour qu’il
abandonne les Tâlebân. Le président Musharraf a obtempéré,
mais en pratique, le Pakistan a poursuivi une politique équi
-
voque. Les chefs des Tâlebân et les combattants qui avaient
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GEOPOLITIQUE
fui l’Afghanistan ont
continué à opérer de-
puis des bases au Pakistan.
La montée de la violence dans l’Afghanistan du sud et de l’est
ces trois dernières années est un phénomène complexe. Il n’y
a aucun doute que les faiblesses du gouvernement afghan ont
contribué à ce problème. Les chefs traditionnels de tribus ont
été grandement exclus des processus politiques tant à Kaboul
que dans les provinces et la corruption et l’insécurité sont
des problèmes sévères dans la vie quotidienne des Afghans
ordinaires. Pourtant, alors que ces problèmes existent dans
tout l’Afghanistan, c’est seulement dans quelques régions
qu’il y a une insurrection violente contre le gouvernement,
ses fonctionnaires et ses alliés internationaux. La proximité
du Pakistan est le facteur le plus important pour expliquer
une telle variation.
Jusqu’en 2007, il y a eu un débat stérile sur le degré d’im
-
plication du Pakistan dans l’insurrection en Afghanistan —
stérile à cause des dénégations mécaniques du Pakistan. En
août 2007, la nature de cette discussion a changé à la suite
d’un discours délivré à Kaboul par le Président Musharraf du
Pakistan : «Il n’y a aucun doute que les militants afghans sont
soutenus depuis le sol pakistanais. Le problème que vous avez
dans votre région vient de ce que le soutien est fourni de no-
tre côté». Un Etat souverain a des devoirs aussi bien que des
droits. Un de ces devoirs est d’empêcher quelqu’un d’utiliser
son territoire comme une base pour des attaques violentes sur
un voisin sympathique. La communauté internationale a le
droit de demander que le Pakistan agisse tout de suite contre
les sanctuaires des Tâlebân, qu’ils opèrent avec le soutien
tacite du Pakistan ou non.
La légèreté américaine
Comment la communauté internationale peut-elle s’occuper
des problèmes du Pakistan ? C’est un des défis les plus dif
-
ficiles de la politique mondiale contemporaine. Washington
a de fortes raisons d’être mécontent des activités du Pakis
-
tan, mais sa politique envers le Pakistan reste profondément
brouillée. Le Pakistan a été un allié important après 1979 ; il
a fourni une base très importante aux forces de la résistance
afghane luttant contre l’Armée soviétique. Après le retrait
de forces soviétiques en 1989, cela a commencé à changer
et après l’effondrement du régime communiste en 1992, les
États-Unis ont beaucoup perdu de leur intérêt pour les évé-
nements en Afghanistan. L’administration du Président Clin-
ton leur a porté une attention sporadique, mais ne s’est pas
beaucoup ému du développement des Tâlebân et a semblé
contente de permettre aux chefs militaires d’Islamabad de di-
riger la situation en Afghanistan. Cela s’est avéré une erreur
colossale de jugement.
Plusieurs facteurs expliquent le mauvais jugement des États-
Unis (et de ses alliés) sur le Pakistan. D’abord, après le lan
-
cement par le Pakistan en mai 1998
d’un engin nucléaire, la crainte (ac-
tivement encouragée par le Pakistan) a grandi à Washington
qu’une pression sur le Pakistan pourrait causer l’effondre
-
ment du gouvernement et son remplacement par un régime
fondamentaliste possédant des armes nucléaires. Deuxième-
ment, les présidents américains ont coutume d’attacher un
poids indu aux rapports personnels avec des figures comme
le Président Musharraf, plutôt que de soutenir le dévelop-
pement d’institutions pouvant limiter le pouvoir du gouver-
nement. Troisièmement, quelques Etats ont eu besoin de la
coopération du Pakistan dans des situations particulières. Par
exemple, après les attentats terroristes de Londres en juillet
2005, le gouvernement britannique a dépendu lourdement de
la coopération de la police pakistanaise pour essayer de pré
-
venir de nouvelles attaques. Enfin, l’administration Bush a
rechigné à reconnaître la duplicité du Pakistan — problème
brillamment documenté dans un nouveau livre d’Ahmed
Rashid intitulé «Descent into Chaos».
Des pressions sont possibles
Certains observateurs se sont demandé si la pression sur le
Pakistan pourrait s’avérer efficace. L’expérience historique
suggère que quand une pression est appliquée d’une manière
sérieuse, elle aboutit au résultat désiré. L’exemple le plus évi-
dent est la pression des Etats-Unis sur le Pakistan après les
attaques terroristes de 2001. Un autre exemple est la pression
appliquée avant l’élection présidentielle afghane d’octobre
2004. Pour le Président Bush, qui devait faire face à sa pro-
pre bataille électorale un mois plus tard, il était très important
que l’élection afghane se déroulât sans problèmes. La pres-
sion sur le Pakistan a eu l’effet attendu. Les élections sont
faciles à désorganiser, pourtant les graves perturbations par
les Tâlebân que les observateurs prévoyaient n’ont tout sim
-
plement pas été au rendez-vous. Cependant, puisque que le
Pakistan se perçoit comme étant extrêmement menacé et que
c’est un facteur le conduit à mal se comporter, la pression sur
le Pakistan devrait être accompagnée par des mesures diplo
-
matiques conçues pour répondre aux dilemmes complexes de
sécurité qui affligent l’Asie Sud et Ouest en général.
L’élection d’une nouvelle Assemblée Nationale au Pakistan
le 18 février 2008 et la formation d’un gouvernement com-
prenant des adversaires du Président Musharraf a créé une
opportunité pour aborder la situation de l’Afghanistan avec
des auditeurs plus réceptifs. L’administration de Bush conti-
nue à soutenir Musharraf, malgré la forte évidence que les
électeurs pakistanais veulent le voir s’en aller. Cela contribue
à rendre les États-Unis profondément impopulaires au Pa-
kistan. Paris est probablement mieux placé que Washington
pour parler sérieusement avec Islamabad. Il ne devrait pas
hésiter à le faire, surtout si la vie de soldats français doivent
être mise en danger en Afghanistan.
L’ancien ministre de l’Intérieur du Pakistan,
le général Naseerullah Babar
Le général Zia ul-Haq (ci-
dessus). Un dessin paru dans la
presse pakistanaise
en Octobre 2000 (à droite).
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