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Publié par | bibebook |
Nombre de lectures | 35 |
EAN13 | 9782824709987 |
Langue | Français |
Extrait
HONORÉ DE BALZA C
LE CH EF-D’ŒU V RE
I NCON N U
BI BEBO O KHONORÉ DE BALZA C
LE CH EF-D’ŒU V RE
I NCON N U
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-0998-7
BI BEBO OK
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I NCON N U
1Le chef-d’ œuv r e inconnu Chapitr e
A U N LORD .
1845.
2CHAP I T RE I
GI LLET T E
de l’anné e 1612, p ar une fr oide matiné e de dé cembr e ,
un jeune homme dont le vêtement était de très-mince app a-V r ence , se pr omenait de vant la p orte d’une maison situé e r ue
des Grands- A ugustins, à Paris. Après av oir assez long-temps mar ché dans
cee r ue av e c l’ir résolution d’un amant qui n’ ose se présenter chez sa
pr emièr e maîtr esse , quelque facile qu’ elle soit, il finit p ar franchir le seuil
de cee p orte , et demanda si maîtr e François PORBUS était en son
logis. Sur la rép onse affir mativ e que lui fit une vieille femme o ccup é e à
balay er une salle basse , le jeune homme monta lentement les degrés, et
s’ar rêta de mar che en mar che , comme quelque courtisan de fraîche date ,
inquiet de l’accueil que le r oi va lui fair e . and il p ar vint en haut de la
vis, il demeura p endant un moment sur le p alier , incertain s’il pr endrait
le heurtoir gr otesque qui or nait la p orte de l’atelier où travaillait sans
doute le p eintr e de Henri I V délaissé p our Rub ens p ar Marie de Mé dicis.
Le jeune homme épr ouvait cee sensation pr ofonde qui a dû fair e vibr er
3Le chef-d’ œuv r e inconnu Chapitr e I
le cœur des grands artistes quand, au fort de la jeunesse et de leur amour
p our l’art, ils ont ab ordé un homme de g énie ou quelque chef-d’ œuv r e .
Il e xiste dans tous les sentiments humains une fleur primitiv e , eng endré e
p ar un noble enthousiasme qui va t oujour s faiblissant jusqu’à ce que le
b onheur ne soit plus qu’un souv enir et la gloir e un mensong e . Par mi ces
émotions fragiles, rien ne r essemble à l’amour comme la jeune p assion
d’un artiste commençant le délicieux supplice de sa destiné e de gloir e et
de malheur , p assion pleine d’audace et de timidité , de cr o yances vagues
et de dé courag ements certains. A celui qui lég er d’ar g ent, qui adolescent
de g énie , n’a p as viv ement p alpité en se présentant de vant un maîtr e , il
manquera toujour s une corde dans le cœur , je ne sais quelle touche de
pince au, un sentiment dans l’ œuv r e , une certaine e xpr ession de p o ésie .
Si quelques fanfar ons b ouffis d’ eux-mêmes cr oient tr op tôt à l’av enir , ils
ne sont g ens d’ esprit que p our les sots. A ce compte , le jeune inconnu
p araissait av oir un v rai mérite , si le talent doit se mesur er sur cee
timidité pr emièr e , sur cee pudeur indéfinissable que les g ens pr omis à la
gloir e sav ent p erdr e dans l’ e x er cice de leur art, comme les jolies femmes
p erdent la leur dans le manég e de la co queerie . L’habitude du triomphe
amoindrit le doute , et la pudeur est un doute p eut-êtr e .
A ccablé de misèr e et sur pris en ce moment de son outr e cuidance , le
p auv r e né ophyte ne serait p as entré chez le p eintr e auquel nous de v ons
l’admirable p ortrait de Henri I V , sans un se cour s e xtraordinair e que lui
env o ya le hasard. Un vieillard vint à monter l’ escalier . A la bizar r erie de
son costume , à la magnificence de son rabat de dentelle , à la prép
ondérante sé curité de sa démar che , le jeune homme de vina dans ce p er sonnag e
ou le pr ote cteur ou l’ami du p eintr e ; il se r e cula sur le p alier p our lui fair e
place , et l’ e x amina curieusement, esp érant tr ouv er en lui la b onne natur e
d’un artiste ou le caractèr e ser viable des g ens qui aiment les arts ; mais
il ap er çut quelque chose de diab olique dans cee figur e , et surtout ce je
ne sais quoi qui affriande les artistes. Imaginez un fr ont chauv e , b ombé ,
pr o éminent, r etombant en saillie sur un p etit nez é crasé , r etr oussé du
b out comme celui de Rab elais ou de So crate ; une b ouche rieuse et
ridé e , un menton court, fièr ement r ele vé , g ar ni d’une barb e grise taillé e
en p ointe , des y eux v ert de mer ter nis en app ar ence p ar l’âg e , mais qui
p ar le contraste du blanc nacré dans le quel floait la pr unelle de vaient
4Le chef-d’ œuv r e inconnu Chapitr e I
p arfois jeter des r eg ards magnétiques au fort de la colèr e ou de l’
enthousiasme . Le visag e était d’ailleur s singulièr ement flétri p ar les fatigues de
l’âg e , et plus encor e p ar ces p ensé es qui cr eusent ég alement l’âme et le
cor ps. Les y eux n’avaient plus de cils, et à p eine v o yait-on quelques traces
de sour cils au-dessus de leur s ar cades saillantes. Meez cee tête sur un
cor ps fluet et débile , entour ez-la d’une dentelle étincelante de blancheur
et travaillé e comme une tr uelle à p oisson, jetez sur le p our p oint noir du
vieillard une lourde chaîne d’ or , et v ous aur ez une imag e imp arfaite de ce
p er sonnag e auquel le jour faible de l’ escalier prêtait encor e une couleur
fantastique . V ous eussiez dit d’une toile de Rembrandt mar chant
silencieusement et sans cadr e dans la noir e atmosphèr e que s’ est appr oprié e
ce grand p eintr e . Le vieillard jeta sur le jeune homme un r eg ard empr eint
de sag acité , frapp a tr ois coups à la p orte , et dit à un homme valétudinair e ,
âg é de quarante ans envir on, qui vint ouv rir : ― Bonjour , maîtr e .
Porbus s’inclina r esp e ctueusement, il laissa entr er le jeune homme en
le cr o yant amené p ar le vieillard et s’inquiéta d’autant moins de lui que le
né ophyte demeura sous le char me que doiv ent épr ouv er les p eintr es-nés
à l’asp e ct du pr emier atelier qu’ils v oient et où se ré vèlent quelques-uns
des pr o cé dés matériels de l’art. Un vitrag e ouv ert dans la v oûte é clairait
l’atelier de maîtr e Porbus. Concentré sur une toile accr o ché e au che valet,
et qui n’était encor e touché e que de tr ois ou quatr e traits blancs, le jour
n’aeignait p as jusqu’aux noir es pr ofondeur s des angles de cee vaste
piè ce ; mais quelques r eflets ég arés allumaient dans cee ombr e r ousse
une p aillee ar g enté e au v entr e d’une cuirasse de r eîtr e susp endue à la
muraille , rayaient d’un br usque sillon de lumièr e la cor niche sculpté e et
ciré e d’un antique dr essoir char g é de vaisselles curieuses, où piquaient
de p oints é clatants la trame gr enue de quelques vieux ride aux de br
ocart d’ or aux grands plis cassés, jetés là comme mo dèles. D es é cor chés de
plâtr e , des fragments et des tor ses de dé esses antiques, amour eusement
p olis p ar les baiser s des siè cles, jonchaient les tablees et les consoles.
D’innombrables ébauches, des études aux tr ois cray ons, à la sanguine ou
à la plume , couv raient les mur s jusqu’au plafond. D es b oîtes à couleur s,
des b outeilles d’huile et d’ essence , des escab e aux r env er sés ne l aissaient
qu’un étr oit chemin p our ar riv er sous l’auré ole que pr ojetait la haute v
errièr e dont les ray ons tombaient à plein sur la pâle figur e de Porbus et sur
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le crâne d’iv oir e de l’homme singulier . L’aention du jeune homme fut