Le livre de Gabriel
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Le livre de Gabriel

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Description

Après une séparation éprouvante, Clara s'est installée à Nantes avec son petit garçon. Lorsque son nouveau compagnon a décrété sans aucune explication que nous ne verrions plus notre petit-fils, nous avons ingénument cru que le bon sens aurait le dessus.
Mais après une tentative d'entente grâce à la médiation familiale, puis trois années d'une longue et coûteuse procédure, dont l'arrêt rendu par la cour d'appel s'avère utopique et inefficace, la situation reste inchangée : Clara a coupé tous les liens, et personne de notre famille n'a plus aucune nouvelle d'elle ni de son enfant.

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Publié par
Publié le 21 mars 2016
Nombre de lectures 13
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Le livre de Gabriel
Un petit garçon autiste privé des droits de l’enfant.
Un très long chemin…
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Lorsque le nouveau compagnon de notre fille a décrété sans aucune explication que nous ne verrions plus notre petit-fils, nous avons ingénument cru que le bon sens aurait le dessus. Mais après une tentative d'entente grâce à la médiation familiale, puis trois années d'une longue et coûteuse procédure, dont l'arrêt rendu par la cour d'appel s'avère utopique et inefficace, la situation reste inchangée : notre fille a coupé tous les liens, et personne de notre famille n'a plus aucune nouvelle d'elle ni de son enfant. Son enfant. Notre petit-fils. Un enfant ballotté, soumis à un stress insoutenable dès sa plus petite enfance. Un enfant dont les troubles du comportement ont débouché sur un diagnostic d’autisme. Un enfant coupé de sa famille paternelle à la suite de la séparation de ses parents. Un enfant coupé de sa famille maternelle par le second compagnon de sa mère. Un enfant maintenant âgé de dix ans, incapable de se plaindre s’il y a lieu, du fait de ses difficultés de communication, et qui de plus n’a pas d’endroit pour le faire puisqu’il n’est pas scolarisé. Un enfant qui ne voit que des professionnels de santé en dehors de sa mère et du compagnon de cette dernière. Un enfant qui en six ans a changé quatre fois de méthode de soin, avec des revirements à 180° dans leur approche de l’autisme, un peu comme un sujet d’étude, comme un cobaye. Ce livre a pour objectif de retracer comment un petit garçon a pu être mis dans une telle situation, privé de ses droits élémentaires avec l’aval de la société. Tout ce qui y figure est vrai. Les noms sont transformés, mais c’est bien là notre histoire ; c’est bien ainsi que quelque part dans la banlieue nantaiseun enfant autiste est isolé, encore plus marginalisé que par le terrible handicap dont il est déjà porteur.
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Clara
J’aurais voulu mener une vie sans histoire ; me marier et élever mes enfants en paix ; les voir grandir bien droits comme les arbres de mon jardin, et puis un jour se transformer en beaux oiseaux déployant leurs ailes pour aller fonder un foyer à leur tour. J’aurais voulu voir mes petits-enfants jouer autour de ma maison, insouciants, heureux et pleins de santé.
Appelons la « Clara ».
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Notre fille Clara a vu le jour en janvier 1980. Notre premier né, David, n’avait encore que dix-huit mois.
Ma grossesse avait été difficile, j’avais dû rester alitée plusieurs mois pour éviter un accouchement prématuré. Du coup je ne pouvais pas m’occuper de David, et comme les aléas de la vie professionnelle de Gérard nous avaient entraînés loin de nos deux familles, ce sont mes parents qui avaient fait les quelques centaines de kilomètres nous séparant pour venir chercher leur petit-fils. J’ai beaucoup souffert de la séparation d’avec mon bébé. J’ai souvent pleuré jusqu’à la naissance de Clara. En plus l’immobilisation m’avait valu une douloureuse phlébite…
Tout s’est arrangé avec l’arrivée de notre petite fille. C’était un bébé adorable, facile, calme, dont le seul défaut était de mettre un temps infini à boire ses biberons. L’alimentation au lait ne lui convenait pas, mais l’introduction de la nourriture solide a gommé ce petit inconvénient dès qu’elle en a eu l’âge. Clara était un bébé joueur avec qui il était facile d’être en interaction, d’ailleurs son premier mot ne fut pas « maman » mais « tiens ! », comme nous nous le disions en nous tendant un petit jouet chacune à notre tour.
Je la revois assise sur le tapis chez mes parents, jouant gentiment avec ses jouets disposés autour d’elle, et ma mère s’extasiant devant ce bébé si agréable ! C’était pendant les vacances de l’été 1981.
De retour à la maison, son caractère a changé du tout au tout, du jour au lendemain. Clara semblait avoir découvert que le monde était à découvrir : elle trottait partout, elle touchait à tout. Son frère maintenant âgé de trois ans a dû installer ses jeux dans un endroit inaccessible pour elle, afin de pouvoir jouer sans qu’elle ne vienne détruire ses constructions. Clara piquait des colères mémorables, assise bien droite sur ses petites fesses, les jambes tendues en extension sous l’effet de la rage.
Bon an mal an, notre petite famille menait son train. David puis Clara firent leur entrée à l’école maternelle, et en juillet 1983 une mutation professionnelle de Gérard nous envoya pour trois ans en Guadeloupe.
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Le caractère de Clara s’affirmait : affectueuse, sensible, et terriblement têtue. Mettre un T-shirt avant d’aller à la plage était prétexte à une heure d’affrontement avant qu’elle ne cède. C’était pourtant cette même petite fille qui, levant des yeux pleins de confiance vers moi, tandis que je la menais à l’école sa main dans la mienne, me demandait : « Mamie (son petit nom d’amour pour moi), est-ce que je suis jolie ? »
Clara était un joli garçon manqué qui refusait de s’habiller autrement qu’en pantalon et qui faisait tout comme son frère. D’ailleurs les gens les prenaient souvent pour des jumeaux tant ils étaient complices. Après tout ils n’avaient que dix-huit mois d’écart. Je me souviens de cette soirée où je les ai trouvés tous deux dans leurs lits, dans la chambre des enfants, un œil ouvert et l’autre fermé : « Qu’est-ce que vous faites ? » « On s’exerce à ne dormir que d’un œil ».
Clara était intelligente, ses progrès en maternelle étaient excellents ; cependant il était question de lui faire redoubler la grande section car elle était née en janvier. Elle vivait comme une injustice de ne pas rejoindre son frère dans la « cour des grands », aussi nous avons demandé une dérogation. En dépit des bons résultats obtenus aux tests, la dérogation fut refusée, toujours à cause de ce fichu mois de naissance. Nous nous sommes alors renseignés sur les alternatives et, après en avoir discuté avec notre petite fille, nous l’avons inscrite chez madame Albert, une ancienne institutrice qui tenait dans son appartement ce qu’on appelait « une petite école payée ». Il s’agissait d’un cours privé à mi-chemin entre la grande section et le cours préparatoire. C’est là que Clara a appris à lire et écrire, tandis que je lui enseignais les bases du calcul le samedi matin à la maison. Aussi est-elle entrée directement en CE1 à notre retour en métropole, sans passer par la case « CP ».
En dépit de son année d’avance elle était toujours dans le peloton de tête à l’école. La place de premier était l’objet d’une compétition avec un certain Sébastien, un petit garçon métis dont la peau dorée nous rappelait nos années passées aux Antilles. En CE2, l’institutrice avait surnommé Clara « le cosmonaute » car elle était souvent perdue dans ses pensées, « dans la lune », ce qui n’avait aucune répercussion négative sur ses résultats. En CM2 l’instituteur avait fixé une règle exceptionnelle la concernant : elle et son amie Gaëlle étaient les seules à avoir le droit de lire en classe. Il m’expliqua en souriant qu’il s’était aperçu que les deux filles étaient parfaitement capables de faire deux choses à la fois.
Gaëlle avait pris une place immense dans le cœur de Clara. C’était une blondinette dont le petit gabarit cachait une intelligence surdouée et une volonté impossible à dévier. Malheureusement ces particularités la conduisaient à vouloir tout régenter, y compris notre manière de vivre lorsqu’elle venait chez nous. Clara n’écoutait que son amie, ce qui nous menait souvent au conflit, d’autant que Gaëlle vivait avec sa maman au sein d’une communauté anarchiste où les règles de vie différaient fortement des nôtres, plus traditionnelles.
Clara était extrêmement inventive et artiste. A neuf ans elle avait ainsi passé un été à rédiger un journal dans lequel elle décrivait nos activités de vacances, nos recettes de petits plats cuisinés ensemble, les animaux de la mare où elle allait puiser des seaux d’eau qu’elle observait ensuite pendant des heures, le tout agrémenté de jolis dessins. A cette époque elle retenait ses cheveux avec une espèce de serpent en peluche flexible qui lui donnait l’air d’une adorable petite sorcière. Avec Gaëlle par la suite, elle avait mis au point un code secret, des sortes de runes druidiques avec lesquelles elles correspondaient.
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A la maison elle bricolait de toutes sortes de manières. J’ai gardé près de vingt ans une boîte qu’elle avait recouverte d’un papier fantaisie pour me l’offrir à mon anniversaire. Il y a eu aussi ce mignon carnet grand comme une boîte d’allumettes, sur l’unique feuillet duquel elle avait inscrit « je t’aime », avec un crayon à plusieurs mines de couleurs différentes, avant de me l’offrir. Pour noël, elle aidait en grand secret son petit frère à préparer des dessins comme cadeaux.
Car un petit Benjamin était né environ un an après notre retour en métropole. Conscients du fait que Clara allait y perdre sa position de petite dernière pour se retrouver propulsée deuxième d’une fratrie de trois, place réputée difficile, Gérard et moi avions pris mille précautions pour la ménager. Par exemple, le mois suivant la naissance, j’ai passé des heures à coiffer ma petite fille à sa demande avec une multitude de petites tresses terminées par des perles de couleur, comme les petites Guadeloupéennes. C’est aussi ce mois-là que Clara avait reçu son premier grand vélo, pour l’anniversaire de ses huit ans.
ème Clara entrait en 5 lorsque la nouvelle mutation de Gérard nous emmena en Bretagne. La première année fut éprouvante pour toute la famille : nous restaurions nous-mêmes la maison dans laquelle nous habitions, et nos conditions de vie étaient rudimentaires. Les enfants étaient déracinés, ils avaient laissé tous leurs copains derrière eux : la petite bande de potes de David qui venait régulièrement jouer à la maison, et Gaëlle en ce qui concernait Clara. De plus cette dernière était malmenée au collège : à partir de notre nom de famille certains de ses camarades de classe avaient commencé à l’appeler « le chien », puis « sale chien », puis à la bousculer dans les escaliers… J’ai dû alerter la conseillère d’éducation pour mettre un terme à cette escalade.
C’est pour mettre un peu de baume au cœur de Clara que nous avons proposé à Gaëlle de venir passer une semaine chez nous pendant les vacances d’été. Les deux amies n’avaient cessé de correspondre durant toute l’année. Le séjour de ce jeune tyran dans notre famille ne fut pas de tout repos, mais une semaine passe tout de même assez vite.
L’année suivante Clara découvrit le kayak. Etre seul maître à bord tout en faisant partie d’un groupe, se dépenser physiquement au sein de la nature : cette activité était faite pour elle. A partir de ce moment Clara y passa presque tous ses temps libres. Elle prenait aussi des cours de dessin, j’étais fière de son coup de crayon. Par contre les résultats scolaires avaient amorcé leur déclin. Il faut avouer que les méthodes habituelles ne lui étaient pas forcément adaptées : quel ennui de devoir rédiger de fastidieuses fiches de lecture quand vos goûts vous amènent à vous immerger dans les livres plusieurs heures par jour !
L’été revint, et Gaëlle aussi. Les deux filles s’étaient déjà retrouvées pendant les vacances de Pâques, quand nous avions emmené Gaëlle avec nous dans le Limousin où réside la famille de Gérard. Nous leur avions laissé une liberté quasi-totale, dans ce désert rural elles ne courraient aucun risque.
Il en allait autrement dans notre petite ville bretonne. Très vite l’ambiance à la maison devint explosive. Il aurait fallu que tous se plient aux horaires complètement décalés de ces demoiselles, ce qui était évidemment impossible compte tenu des activités des autres membres de la famille. Et puis, quel exemple pour Benjamin encore trop petit pour comprendre ! Après trois jours de contestation permanente j’étais à bout de nerfs. J’ai alors pensé à demander à mon père de leur laisser planter la tente dans son jardin, à une trentaine de kilomètres de là. C’était un grand jardin clos où elles seraient en sécurité, et mon père vivant seul avec un certain brin de fantaisie serait d’une tolérance
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totale. Effectivement il me racontait en riant au téléphone les horaires farfelus de ses pensionnaires tant pour les repas (qu’elles préparaient seules avec un équilibre discutable, mais cela ne durerait heureusement qu’un temps) que pour le reste. Elles vivaient comme des Robinsons.
Jusqu’au soir où, penaud, il m’appela pour me dire qu’il ne les avait pas vues depuis l’après-midi de la veille. Les filles avaient pris les vélos et n’étaient pas rentrées.
Gérard et moi avons tout planté là. Nous avons passé la soirée et une grande partie de la nuit à chercher dans tous les endroits auxquels nous pouvions penser, même au bord de l’étang où nous allions pêcher autrefois avec Clara pendant les vacances. J’appelais : « Clara ! Gaëlle ! » tout en me disant qu’elles étaient peut-être à quelques mètres de moi, inanimées dans les roseaux, voire flottant entre deux eaux.
Nous sommes rentrés au petit matin, bredouilles, prêts à nous rendre à la gendarmerie dès son ouverture. La sonnerie du téléphone a résonné. C’était mon père. Les filles venaient de rentrer et étaient parties dormir.
Je suis retournée sur place. Je les ai sermonnées, je leur ai dit notre folle inquiétude, mais je n’ai obtenu aucune explication sur ce qu’elles avaient pu faire pendant ces trente-six heures, juste cette revendication : elles manquaient paraît-il de liberté, elles s’ennuyaient, se sentaient bridées.
Avec l’accord de la maman de Gaëlle consultée par téléphone, nous leur avons proposé de partir faire une randonnée en vélo toutes les deux. Notre seule exigence était qu’elles s’arrêtent tous les soirs dans un camping pour y dormir et nous téléphoner.
Je n’étais pas là quand elles ont pris le départ, le planning de mes deux garçons me retenant à la maison. C’est ma sœur qui les a aidées à fixer leurs bagages sur les vélos et qui les a regardées s’éloigner, chargées comme des baudets. Clara avait quatorze ans, Gaëlle en avait quinze. Elles ont respecté leur part du marché et nous ont informés chaque jour de leur progression jusqu’à la mer, but de leur périple.
Un soir, nouveau coup de fil de mon père, riant sous cape : les deux filles l’avaient appelé depuis une maison où elles s’étaient arrêtées remplir leurs gourdes sur le chemin du retour. Il était allé les chercher, chargeant les vélos dans le coffre de la voiture, et les avaient ramenées chez lui où elles étaient en train d’engloutir une montagne de spaghettis.
Nous avons pensé qu’après cette expérience concrète du prix de la liberté nos deux aventurières seraient plus mesurées dans leurs projets. Il n’en était rien : au cours de l’année suivante, Gaëlle a suggéré à Clara de monter une randonnée en vélo qui les conduirait aux Pays Bas pendant l’été.
J’étais consternée. Je savais qu’il faudrait finir par trancher : soit laisser partir ces deux intrépides dans un périple des plus dangereux compte tenu de leur âge, soit vivre des semaines d’enfer avec une Clara qui ne serait plus que révolte et colère parce qu’on aurait une nouvelle fois essayé de ramener les projets des deux amies à une dimension raisonnable.
C’est pourquoi j’ai intérieurement rendu grâce à la Providence le jour où, timidement, Clara m’a demandé si elle ne pourrait pas aller aux Etats-Unis pendant l’été, dans une famille d’accueil avec
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une camarade de classe qui n’osait pas s’y rendre seule. J’ai immédiatement dit oui, sans prendre le temps de la réflexion.
L’après-midi même je bondissais dans la voiture et j’allais trouver mon père, lui expliquer la problématique et lui demander s’il pouvait nous avancer l’argent de ces vacances aux USA, car nous ne l’avions pas. Heureux probablement de rattraper son erreur de l’année passée, lorsque les filles l’avaient berné ni plus ni moins en s’en allant sans le prévenir, mon père a offert son voyage à Clara. La bombe se désamorçait du même coup : il n’y aurait pas de rando en vélo pour les Pays Bas.
Clara est revenue enchantée de son séjour aux USA, des souvenirs plein la tête. Nous étions ravis de la voir entrer dans une dynamique moins aventureuse. Jusqu’au jour où elle vint nous trouver pour nous faire part du nouveau projet imaginé avec Gaëlle : un tour du monde pendant lequel les deux filles s’arrêteraient dans les divers pays traversés afin d’y travailler pour gagner l’argent nécessaire à la poursuite du voyage. Elle venait donc nous demander de l’inscrire à un cours de chinois. La réponse de Gérard a été ferme et immédiate : nous lui paierions toutes les places de ciné qu’elle nous demanderait, mais pas un seul cours de chinois préparatoire à ce projet fou.
Devant notre mauvaise volonté les filles ont décidé je crois d’attendre leur majorité et l’indépendance financière.
Le club de kayak continuait de remplir tous les temps libres de Clara. Dès qu’elle en a eu l’âge elle a passé le BAFA et a pu alors commencer à encadrer les plus jeunes de son club. Elle faisait aussi partie de l’équipe de polo, participait aux semaines de kayak organisées par les responsables du club, passait de longues heures à réparer les kayaks abîmés en compagnie d’autres volontaires. Pour ses dix-huit ans, nous avons proposé de lui laisser la maison durant un week-end afin qu’elle puisse fêter son anniversaire avec tous ses amis kayakistes. Nous avons rangé le sous-sol afin d’y installer la piste de danse, et je me suis mise aux fourneaux pour préparer le repas de fête.
Les résultats scolaires n’avaient cessé de dégringoler, mais Clara montrait en revanche une volonté impressionnante dans ce qui la motivait. Sitôt majeure elle s’est inscrite au monitorat de kayak de mer ; la mer était très houleuse au moment du stage de formation, c’était très éprouvant et la plupart des candidates féminines abandonnèrent, mais pas Clara. Elle passa son stage haut la main, organisa le stage pratique dans lequel elle devait encadrer un nombre fixé de participants, et rédigea son rapport de stage pratique avec un professionnalisme qui nous a remplis de fierté Gérard et moi.
BAFA et monitorat de kayak en poche, notre fille s’est lancée dans de nouvelles aventures estivales : les colonies de vacances. Elle les enchaînait en juillet et en août. L’argent ainsi gagné le premier été a été aussitôt utilisé pour financer un voyage d’une semaine en Allemagne en compagnie d’une amie qu’elle s’était faite depuis notre arrivée en Bretagne, une Alexandra charmante et farfelue dont l’apparence physique faisait néanmoins un choc au premier contact : Alexandra était anorexique. Sa maladie ne l’empêchait pas d’être sociable et sympathique, ce qui nous changeait agréablement des contacts avec Gaëlle. Elle n’était pas cependant ce qu’on appelle une personne équilibrée, et nous avons vécu inquiets jusqu’au retour des filles. Benjamin, du haut de ses dix ans, me disait : « le problème avec Clara, c’est qu’elle veut vivre au-dessus de son âge »…
La scolarité de Clara n’ayant cessé de se dégrader depuis le collège, elle n’avait pas été en mesure de présenter un dossier scolaire acceptable pour une entrée en IUT. Nous lui avons suggéré de
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redoubler la classe de terminale afin d’obtenir un dossier qui lui laisse plus de liberté de choix dans sa poursuite d’étude, mais Clara voulait fermement quitter le lycée. Elle s’est donc inscrite en fac de sciences de la nature. Nous la retrouvions les week-ends, tout comme David qui poursuivait lui aussi ses études dans la grande ville voisine. Que la maison était donc vide maintenant que nous n’avions plus que notre petit Benjamin avec nous !
Les week-ends étaient consacrés au kayak, tout comme les petites vacances. A la fin de la première année de fac, il était évident que le DEUG ne se passerait pas sans difficulté. Le début de la seconde année d’université n’a pas été plus brillant, ses résultats aux partiels étaient très justes. Clara commença à souffrir de forts maux de tête. Notre médecin de famille a conclu à un dérèglement psychosomatique. Je repensai à la semaine durant laquelle Clara passait le BAC : elle était si angoissée qu’elle n’avait réussi à dormir que quelques heures chaque nuit. Maintenant ce scénario se répétait à chaque partiel. Gérard et moi étions extrêmement inquiets. Aussi, ce dimanche soir où Clara me supplia ni plus ni moins, au cours du trajet pour la ramener dans son studio d’étudiante, de la laisser abandonner la fac, je donnai aussitôt mon accord. Je n’y ai mis qu’une seule condition : qu’elle s’oriente aussitôt vers une autre formation. Dans mon esprit, si nous la laissions décrocher sans un autre projet professionnel en ligne de mire, elle avait toutes les chances de rater son entrée dans la vie active.
Clara s’est mise aussitôt à consulter les centres d’orientation. Elle a décidé de tenter l’entrée en IUT d’information-communication. Elle a rempli les formulaires de demande dans tous les IUT de France préparant cette formation. Pour les étudiants désirant changer de formation en cours de route, il y avait des examens écrits et oraux dans les différentes villes concernées. Nous lui avons préparé son circuit d’une semaine, en train et à l’hôtel, en fonction des dates d’examens. C’était un vrai marathon, qu’elle a accompli vaillamment. Puis, pour ne pas demeurer inactive pendant les mois d’attente des résultats, elle est partie comme fille au pair dans une famille anglaise, à Londres.
Ce ne fut pas une expérience des plus concluantes, le père de famille lui faisait des avances, et nous avons été heureux de récupérer notre fille au bout de deux mois, à temps pour les colonies de juillet et août qu’elle accomplissait comme monitrice.
Puis les résultats commencèrent à arriver. Clara était partout sur liste d’attente… Quand le dernier résultat fut tombé, nous étions tous catastrophés. C’était l’impasse. Clara a commencé à se projeter sur des petits boulots.
Un matin, le téléphone sonna. L’acheteur de notre maison (nous venions une nouvelle fois de déménager, la dernière mutation en date nous renvoyait dans le nord de la France) nous transmettait un appel de l’IUT de Nancy : une place venait de se libérer pour Clara.
Ouf ! La tension est retombée, la vie reprenait un cours normal.
Pendant les deux années passées à Nancy, Clara s’est fait de nouvelles amies. Il y avait ses amies d’IUT, des jeunes filles a priori sans histoire ; et puis à nouveau une jeune fille au parcours difficile, ce qui nous souciait à double titre : Clara avait en effet également renoué avec Gaëlle, dont la maman habitait dans la région que nous venions de retrouver, et les marginaux nous semblaient prendre à nouveau beaucoup de place dans la vie de notre fille. De plus Clara travaillait les week-ends dans une maison de retraite afin d’arrondir ses fins de mois, or cette nouvelle amie étant dépressive Clara
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passait des heures au téléphone avec elle, y engloutissant son salaire et bien au-delà ; c’était donc nous qui renflouions son compte, plus que nous n’en avions la disponibilité financière car nous avions les études de son frère aîné à financer en plus des siennes.
Clara n’était pas en très bonne santé. Elle allait souvent consulter pour des vertiges et des chutes de tension que son médecin attribuait au surmenage. Dans le courant de la seconde année, elle a du aussi subir une opération assez lourde consécutive à des problèmes de circulation sanguine. Après un arrêt de trois semaines elle peinait encore à marcher quand elle est repartie à Nancy, ayant dans l’intervalle accumulé un retard notable dans sa formation. Aussi ne rêvait-elle que d’en voir le bout et de partir ailleurs. Dans une première étape, elle a fait des pieds et des mains pour effectuer son stage de fin d’études bien loin de Nancy. L’herbe est toujours plus verte ailleurs ! Cet « ailleurs » pour Clara, ce fut Londres.
Au début, tout lui semblait merveilleux. Le stage était modérément intéressant, mais la découverte de Londres était passionnante. Tous ces petits marchés pittoresques dans les différents quartiers de la ville ! Elle s’est fait de nouvelles amies, elle s’est inscrite à un cours de danse.
Un jour un homme dans la rue lui propose un café, et c’est le début d’une idylle. Je ne peux pas dire que j’étais très rassurée : le garçon était sans-papiers, un Palestinien, de dix-sept ans son aîné.
Et puis une mauvaise chute à la patinoire, et le stage est devenu beaucoup plus compliqué avec un poignet cassé. Clara est rentrée chez nous vers la fin des trois mois de stage pour rédiger son rapport. Comme elle ne pouvait pas se servir de son poignet, je tapais sous sa dictée, entre deux visites chez le kiné.
Les examens finaux approchaient, comment Clara allait-elle pouvoir les passer alors qu’elle ne pouvait pas se servir de sa main droite pour écrire ? Elle a fait une demande pour obtenir le prêt d’un ordinateur en salle d’examen, avec lequel elle pourrait se débrouiller afin de rendre copie.
Un matin, Gérard et moi avons été témoins d’un contact téléphonique entre Clara et son professeur d’anglais. Clara semblait mal à l’aise, aussi nous avons mis le haut-parleur. Effarés, nous avons écouté ce professeur parler à notre fille avec une agressivité choquante. Scandalisé par le tour que prenaient les choses, Gérard a écrit au rectorat afin d’exiger que Clara soit traitée à l’égal des autres étudiants et qu’un ordinateur soit bien mis à sa disposition en salle d’examen ainsi que le prévoit le règlement en cas d’impossibilité à écrire.
J’ai accompagné Clara à Nancy pour ses examens. Elle était encore très handicapée par son poignet convalescent. Nous logions à l’hôtel, et je l’emmenais sur le campus aux horaires d’examen. Le second jour Clara avait un oral en fin d’après-midi ; elle me déclara le matin d’un ton léger qu’elle n’avait pas envie de le passer ce soir-là et qu’elle allait demander à son professeur de reporter son heure de passage. Complètement interloquée, je me suis efforcée de lui faire comprendre que ce n’était pas possible de disposer ainsi du temps des autres sur une lubie, et qu’elle allait indisposer son professeur. Elle a fini par se ranger à mes arguments, sans que je sache si je l’avais convaincue ou pas. Cet épisode m’a remis en tête le coup de téléphone houleux entre elle et son professeur d’anglais. J’entrevoyais les causes de ses mauvais rapports avec l’équipe enseignante…
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Enfin, les examens terminés, nous sommes rentrées à la maison. Clara en est repartie presqu’aussitôt pour Londres, où elle avait disait-elle quelques formalités à régler. Trois jours plus tard elle était de retour.
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Hicham
En cette fin juin 2001 il fait beau, l’été commence, le temps des barbecues dans le jardin est revenu. Nous sommes installés autour de la table du jardin, et tandis que les braises se préparent, Clara me tend un paquet de photos. Je les regarde l’une après l’autre, sans comprendre.
« Mais… qu’est-ce que c’est ? »
« C’est une cérémonie. »
Et c’est ainsi que nous apprenons que notre fille vient de se marier.
Le ciel aurait tout aussi bien pu nous tomber sur la tête. D’une part nous sommes blessés plus qu’il n’est possible d’imaginer par un tel manque de confiance. Clara nous met devant le fait accompli. Pourquoi cette méfiance à notre égard, nous qui n’avons cessé de nous rendre disponibles pour elle et qui n’avons jamais baissé les bras pour la tirer des situations inconfortables ou dangereuses où ses choix la menaient. D’autre part nous sommes déroutés, pour ne pas dire plus, par ce gendre qui n’a jamais cherché à nous contacter, qui a préparé en secret son mariage avec Clara, sans prendre en compte la colère que nous pourrions éventuellement ressentir, sans prendre en considération qu’il était possible que des parents outrés d’être traités de cette manière rompent les liens avec leur fille.
A moins que ce ne soit justement là son objectif ? Clara n’a aucun avantage à tirer de ce mariage, mais pour lui, Hicham, il en va tout autrement ! Car il va pouvoir régulariser sa situation administrative, ayant maintenant une épouse européenne. Il ne faudrait pas courir le risque que la famille de cette dernière la persuade que ce mariage rapide (ils se connaissent depuis moins de trois mois) pourrait être une erreur. Plus de famille, plus de risque.
Seulement nous n’avons aucunement l’intention de couper les liens avec Clara. Nous pensons qu’elle a plus que jamais besoin de nous.
Nous avons obtenu de Clara qu’elle passe le mois de juillet près de nous. Gérard a en effet réussi à lui organiser un stage intensif à l’auto-école, débouchant sur le passage du permis. Il faut dire que Clara a commencé sa formation de conductrice il y a plus de deux ans, avec de longues interruptions après lesquelles tous ses acquis ont été réduits à néant. Elle doit même repasser l’examen du code, maintenant périmé. Les semaines sont ainsi remplies de rendez-vous à l’auto-école, entre lesquels Clara a décidé de faire du sport, et plus exactement du vélo. Je me retrouve donc à pédaler en sa compagnie pendant des après-midis entières, afin de ne pas la laisser seule sur des routes isolées. Une amie de la famille, en vacances chez nous avec son petit garçon, nous accompagne souvent, et même Benjamin se met de la partie !
Puis, le permis passé et obtenu, Clara part en Crète comme monitrice de colonie.
Ce n’est qu’au mois de septembre qu’elle retourne à Londres y retrouver son nouvel époux.
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Nous gardons le contact par téléphone. Un jour Clara nous annonce avoir trouvé un travail : serveuse dans le casino où Hicham travaille comme portier. Nous voilà de nouveau atterrés : avec ses problèmes de circulation sanguine dans les jambes, avec ses dons artistiques, avec son DUT si rudement gagné, Clara va devenir serveuse ! A notre grand soulagement, elle nous annonce quelques jours plus tard que cela ne se fera pas (elle nous dira très longtemps après que le patron du casino n’a pas voulu de sa candidature). Elle reprend sa recherche de travail, et commence bientôt au service clientèle du site Amazon, où elle grimpera rapidement les échelons dans les années suivantes.
Clara rentre nous voir en France au bout de quelques mois. Très ennuyée, elle me confie que Hicham ne veut pas qu’ils habitent ensemble ; elle a gardé son logement d’étudiante. Cette situation anormale nous conforte dans ce que nous craignons déjà : ce mariage pour Hicham est dicté par l’intérêt. Mais Clara est amoureuse, et orgueilleuse aussi. Pas question de reconnaître qu’elle ait pu « se faire avoir » ! Quelque temps plus tard, Clara nous apprend que Hicham a finalement accepté qu’elle emménage dans la chambre qu’il loue chez l’habitant.
Dans les cinq années que durera leur vie de couple, Clara et Hicham changeront douze fois de logement à Londres, avec des périodes de vie séparée. En effet Hicham passe très peu de temps avec Clara. Il se rend plutôt au pub, ou va jouer au casino. Clara s’éloigne alors, puis Hicham revient vers elle, lui assurant qu’il va changer. Ainsi début novembre 2003, Clara déménage en catastrophe avec l’aide d’une amie. « Elle avait fait part plusieurs fois de sa décision à Hicham », raconte cette amie. « Nous venions de terminer de charger la voiture lorsque Hicham est rentré. La voiture étant pleine, je devais rejoindre Clara par le métro à son nouvel appartement. Clara m’avait demandé de partir directement mais, inquiète, je suis restée à l’angle de la rue pour m’assurer qu’elle partait sans encombre. Après une courte altercation, Clara a réussi à rentrer dans sa voiture et à en verrouiller les portes. Hicham est alors monté sur le capot et s’est mis en travers du pare brise en hurlant furieusement. Ce n’est qu’au bout d’environ 10 minutes qu’un chauffeur de taxi déposant des clients sur ce trottoir est intervenu et a fait descendre Hicham. »
Deux ans avant cet épisode, alors que je réside seule à la maison avec Benjamin (Gérard a été envoyé en Afrique pour une mission de plusieurs mois), Clara m’appelle à l’aide pour l’aider à déménager en secret, car Hicham la menace. Nous nous organisons aussi vite que possible. Clara s’occupe de trouver un nouveau point de chute, et des cartons pour emporter ses affaires. Moi je confie Benjamin pour quelques jours à la maman d’un de ses camarades de classe. Je rédige aussi une lettre d’adieu à Gérard, que je laisse bien en vue sur notre lit : si Hicham nous surprend pendant le déménagement, s’il s’en prend à ma fille avec un couteau comme il l’en a menacée, aurai-je un autre choix que de m’interposer ? Je crains donc de ne revoir aucun des miens, ni mon mari, ni mes fils.
Après une nuit fatigante dans un bus d’euroline commence notre périple à Londres, sous des trombes d’eau. Clara profite d’un jour chômé pour déménager. Malheureusement elle n’a pas réalisé que les taxis ne travaillent pas non plus ce jour-là. Nous nous démenons pour trouver un véhicule de location, mais tout est fermé. A midi nous faisons une pause à l’abri de la pluie, au British Museum. Je suis si fatiguée que je m’endors sur un banc dans la galerie de peinture. Clara fait appel à un copain pour nous aider. Tout le reste de la journée, ce garçon dévoué va nous suivre en portant nos bagages ! Nous continuons de chercher un moyen de transport. Je propose à Clara de nous séparer : je vais aller finir de préparer les cartons tandis qu’elle poursuit la recherche. Mais je suis atterrée en
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