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Publié par | bibebook |
Nombre de lectures | 21 |
EAN13 | 9782824710105 |
Langue | Français |
Extrait
HONORÉ DE BALZA C
LE MÉDECI N DE
CAMP A GN E
BI BEBO O KHONORÉ DE BALZA C
LE MÉDECI N DE
CAMP A GN E
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1010-5
BI BEBO OK
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compris à Bib eb o ok.LE MÉDECI N DE CAMP A GN E
A ux cœur s blessés, l’ ombr e et le silence ,
1CHAP I T RE I
LE P A YS ET L’HOMME
1829, une jolie matiné e de printemps, un homme âg é d’
envir on cinquante ans suivait à che val le chemin montagneux quiE mène à un gr os b our g situé près de la Grande-Chartr euse . Ce
b our g est le chef-lieu d’un canton p opuleux cir conscrit p ar une longue
vallé e . Un tor r ent à lit pier r eux souv ent à se c, alor s r empli p ar la fonte
des neig es, ar r ose cee vallé e ser ré e entr e deux montagnes p arallèles,
que dominent de toutes p arts les pics de la Sav oie et ceux du D auphiné .
oique les p ay sag es compris entr e la chaîne des deux Mauriennes aient
un air de famille , le canton à trav er s le quel cheminait l’étrang er présente
des mouv ements de ter rain et des accidents de lumièr e qu’ on cher cherait
vainement ailleur s. T antôt la vallé e subitement élar gie offr e un ir régulier
tapis de cee v erdur e que les constantes ir rig ations dues aux montagnes
entr etiennent si fraîche et si douce à l’ œil p endant toutes les saisons ;
tantôt un moulin à scie montr e ses humbles constr uctions pior esquement
placé es, sa pr o vision de longs sapins sans é cor ce , et son cour s d’ e au pris
2Le mé de cin de camp agne Chapitr e I
au tor r ent et conduit p ar de grands tuyaux de b ois car rément cr eusés, d’ où
s’é chapp e p ar les fentes une napp e de filets humides. Cà et là , des
chaumièr es entouré es de jardins pleins d’arbr es fr uitier s couv erts de fleur s
rév eillent les idé es qu’inspir e une misèr e lab orieuse ; plus loin, des maisons
à toitur es r oug es, comp osé es de tuiles plates et r ondes semblables à des
é cailles de p oisson, annoncent l’aisance due à de longs travaux ; puis
audessus de chaque p orte se v oit le p anier susp endu dans le quel sè chent les
fr omag es. Partout les haies, les enclos sont ég ayés p ar des vignes marié es,
comme en Italie , à de p etits or mes dont le feuillag e se donne aux b estiaux.
Par un caprice de la natur e , les collines sont si rappr o ché es en quelques
endr oits qu’il ne se tr ouv e plus ni fabriques, ni champs, ni chaumièr es.
Sép aré es seulement p ar le tor r ent qui r ugit dans ses cascades, les deux
hautes murailles granitiques s’élè v ent tapissé es de sapins à noir feuillag e
et de hêtr es hauts de cent pie ds. T ous dr oits, tous bizar r ement colorés
p ar des taches de mousse , tous div er s de feuillag e , ces arbr es for ment de
magnifiques colonnades b ordé es au-dessous et au-dessus du chemin p ar
d’infor mes haies d’arb ousier s, de vior nes, de buis, d’épine r ose . Les viv es
senteur s de ces arbustes se mêlaient alor s aux sauvag es p arfums de la
natur e montagnarde , aux p énétrantes o deur s des jeunes p ousses du mélèze ,
des p euplier s et des pins g ommeux. elques nuag es couraient p ar mi les
r o cher s en en v oilant, en en dé couv rant tour à tour les cimes grisâtr es,
souv ent aussi vap or euses que les nué es dont les mo elleux flo cons s’y
déchiraient. A tout moment le p ay s chang e ait d’asp e ct et le ciel de lumièr e ;
les montagnes chang e aient de couleur , les v er sants de nuances, les
vallons de for me : imag es multiplié es que des opp ositions inaendues, soit
un ray on de soleil à trav er s les tr oncs d’arbr es, soit une clairièr e natur elle
ou quelques éb oulis, r endaient délicieuses à v oir au milieu du silence ,
dans la saison où tout est jeune , où le soleil enflamme un ciel pur . Enfin
c’était un b e au p ay s, c’était la France !
Homme de haute taille , le v o yag eur était entièr ement vêtu de drap
bleu aussi soigneusement br ossé que de vait l’êtr e chaque matin son
cheval au p oil lisse , sur le quel il se tenait dr oit et vissé comme un vieil officier
de cavalerie . Si déjà sa cravate noir e et ses g ants de daim, si les pistolets
qui gr ossissaient ses fontes, et le p ortemante au bien aaché sur la cr oup e
de son che val, n’ eussent indiqué le militair e , sa figur e br une mar qué e de
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p etite-vér ole , mais régulièr e et empr einte d’une insouciance app ar ente ,
ses manièr es dé cidé es, la sé curité de son r eg ard, le p ort de sa tête , tout
aurait trahi ces habitudes régimentair es qu’il est imp ossible au soldat de
jamais dép ouiller , même après êtr e r entré dans la vie domestique . T out
autr e se serait émer v eillé des b e autés de cee natur e alp estr e , si riante au
lieu où elle se fond dans les grands bassins de la France ; mais l’ officier ,
qui sans doute avait p ar cour u les p ay s où les ar mé es françaises fur ent
emp orté es p ar les guer r es imp ériales, jouissait de ce p ay sag e sans p araîtr e
sur pris de ces accidents multipliés. L’étonnement est une sensation que
Nap olé on semble av oir détr uite dans l’âme de ses soldats. A ussi le calme
de la figur e est-il un signe certain auquel un obser vateur p eut r e connaîtr e
les hommes jadis enrégimentés sous les aigles éphémèr es mais imp
érissables du grand emp er eur . Cet homme était en effet un des militair es,
maintenant assez rar es, que le b oulet a r esp e ctés, quoiqu’ils aient lab ouré
tous les champs de bataille où commanda Nap olé on. Sa vie n’avait rien
d’ e xtraordinair e . Il s’était bien bau en simple et lo yal soldat, faisant son
de v oir p endant la nuit aussi bien que p endant le jour , loin comme près du
maîtr e , ne donnant p as un coup de sabr e inutile , et incap able d’ en donner
un de tr op . S’il p ortait à sa b outonnièr e la r osee app artenant aux
officier s de la Légion d’honneur , c’ est qu’après la bataille de la Mosk o wa la
v oix unanime de son régiment l’avait désigné comme le plus digne de la
r e ce v oir dans cee grande jour né e . Il était du p etit nombr e de ces hommes
fr oids en app ar ence , timides, toujour s en p aix av e c eux-mêmes, de qui la
conscience est humilié e p ar la seule p ensé e d’une sollicitation à fair e de
quelque natur e qu’ elle soit. A ussi tous ses grades lui fur ent-ils conférés
en v ertu des lentes lois de l’ancienneté . D e v enu sous-lieutenant en 1802,
il se tr ouvait seulement chef d’ escadr on en 1829, malgré ses moustaches
grises ; mais sa vie était si pur e que nul homme de l’ar mé e , fût-il g énéral,
ne l’ab ordait sans épr ouv er un sentiment de r esp e ct inv olontair e ,
avantag e incontesté que p eut-êtr e ses sup érieur s ne lui p ardonnaient p oint.
En ré comp ense , les simples soldats lui v ouaient tous un p eu de ce
sentiment que les enfants p ortent à une b onne mèr e ; car , p our eux, il savait
êtr e à la fois indulg ent et sé vèr e . Jadis soldat comme eux, il connaissait
les joies malheur euses et les jo y euses misèr es, les é carts p ardonnables ou
punissables des soldats qu’il app elait toujour s ses enfants , et aux quels il
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laissait v olontier s pr endr e en camp agne des viv r es ou des four rag es chez
les b our g e ois. ant à son histoir e intime , elle était ense v elie dans le plus
pr ofond silence . Comme pr esque tous les militair es de l’ép o que , il n’avait
v u le monde qu’à trav er s la fumé e des canons, ou p endant les moments
de p aix si rar es au milieu de la lue eur op é enne soutenue p ar l’ emp
er eur . S’était-il ou non soucié du mariag e ? la question r estait indé cise .
oique p er sonne ne mît en doute que le commandant Genestas n’ eût
eu des b onnes fortunes en séjour nant de ville en ville , de p ay s en p ay s,
en assistant aux fêtes donné es et r e çues p ar les régiments, cep endant