"LES MOTS ET LES CHOSES", PAR T. FERENCZI
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Les Mots et les Choses, de Michel Foucault (1926-1984), commence par un morceau de bravoure qui a beaucoup contribué à la renommée du livre : la savante description d'un tableau de Vélasquez, Les Ménines, devenue un classique de l'analyse picturale. Sur ce tableau, que Foucault désigne par son titre français, Les Suivantes, on aperçoit l'infante Marguerite d'Espagne, entourée de demoiselles d'honneur, de courtisans, de nains. A gauche, en retrait, le peintre se tient devant une grande toile, dont on ne voit que le dos. A l'arrière-plan, sur le mur du fond, un tableau, note Foucault, "brille d'un éclat singulier".
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Langue Français

Extrait

Les "Ménines" de Velasquez font apparaître que l'essence de la représentation classique est la mise en abyme
Ce tableau a fait l'objet d'innombrables commentaires. Selon Leo Steinberg, il est comme une oeuvre musicale qui prête à des interprétations multiples, dont aucune ne saurait être définitive. Nous reprenons dans cette page celle de Michel Foucault. On en liraici une autreavec l'analyse d'Hubert Damisch.
Le tableau donne à voir l'essence de la représentation classique, mais il cumule les incertitudes. Le couple royal est-il vraiment le motif représenté? Le spectateur est-il à la place de ce motif, ou à côté? Les personnages dont la tradition donne les noms sont-ils vraiment ceux-là? Où se trouve lepoint de fuite? Il y a peu d'indices. On reste dans le doute. C'est à travers ces incertitudes qu'ilreprésente la représentation, c'est-à-dire la disparition nécessaire de ce qui la fonde. Malgré les miroirs, les reflets et les lignes visuelles, l'invisibilité profonde de ce qu'on voit est solidaire de l'invisibilité de celui qui voit. Le rapport de la représentation à son modèle, son souverain, son auteur, est nécessairement interromp
Ce tableau est un chef d'oeuvre de la mise en abyme. Ce qui est montré est un temps d'arrêt, celui pendant lequel le peintre regarde dans la direction du spectateur. Il s'est légèrement déplacé sur le côté afin de voir celui qui, à ce moment, le voit aussi. Dès qu'il se remettra à peindre, il se cachera derrière le tableau, et lui-mêmene verra plusce qu'il peint. Pour l'instant, son regard traverse le plan du tableau. Il nous atteint et nous lie immanquablement à la représentation. Mais cela cache une ambiguité, car nous sommesà la placede son motif. Hors du tableau, le regard du peintre s'adresse au vide.
Le peintre voit deux choses invisibles pour moi : l'image peinte au dos du chassis, et moi-même, qui suis à la place du couple royal qui se reflète au fond dans un miroir qui occupe une position centrale dans le tableau. Je vois le peintre, mais je ne sais pas ce qu'il voit (le motif), qui pourtant se trouve à ma place. Point aveugle de mon propre regard, je ne sais pas qui je suis. En revanche le couple peut se voir dans le miroir : c'est le seul élément de ressemblance du tableau, mais personne n'y fait attention, car tous les personnages sont tournés vers le modèle.
Dans l'ouverture de la porte par où la lumière pénètre dans la scène, un autre personnage se détache. Personne ne le regarde. Lui peut voir et la toile, et le modèle.
La petite fille à la robe blanche est l'infante Marguerite, fille de Philippe IV. Dans le tableau, elle semble être une spectatrice qui scrute, elle aussi, les modèles, mais on peut soutenir aussi qu'elle est le thème de la composition, même de la peinture. Une gouvernante à genoux tient ses mains et la regarde, ainsi qu'une autre servante.
Les souverains ne sont visibles que dans le pâle et vague reflet du miroir. Retirés dans leur invisibilité, ils ordonnent toute la représentation : c'est à eux qu'on fait face, c'est vers eux qu'on se tourne, et finalement les autres centres de la composition leur sont soumis. Ils sont un point idéal à l'extérieur du tableau, mais projeté à l'intérieur et diffracté dans les autres regards. Le roi n'apparaît au fond de la glace que dans la mesure où il n'apparaît pas dans le tableau.
Pour chaque personnage, le tableau montre ce qui lui manque : le modèle au peintre, le portrait au roi, la scène au spectateur, le souverain à tous les autres.
MichelFoucault- "Les mots et les choses - Une archéologie des sciences humaines", Ed : Gallimard, 1966, Les Menines (Diego Velasquez, 1657) -Musée du Prado - huile sur toile. 318 x 276 cm
RÉTROLECTURE 1966: "LES MOTS ET LES CHOSES", PAR T. FERENCZI(LE MONDE) INTERNET Information publiée le samedi 2 août 2008 parMarc Escola
Rétrolecture 1966"Les Mots et les Choses", par Thomas Ferenczi LE MONDE | 30.07.08 | 13h19
Les Mots et les Choses, de Michel Foucault (1926-1984), commence par un morceau de bravoure qui a beaucoup contribué à la renommée du livre : la savante description d'un tableau de Vélasquez,Les Ménines, devenue un classique de l'analyse picturale. Sur ce tableau, que Foucault désigne par son titre français,Les Suivantes, on aperçoit l'infante Marguerite d'Espagne, entourée de demoiselles d'honneur, de courtisans, de nains. A gauche, en retrait, le peintre se tient devant une grande toile, dont on ne voit que le dos. A l'arrière-plan, sur le mur du fond, un tableau, note Foucault,"brille d'un éclat singulier".
Deux silhouettes s'y dessinent. Ce tableau est un miroir, qui reflète les visages du roi Philippe IV et de son épouse. Les souverains sont à l'extérieur du tableau,"retirés en une invisibilité essentielle", mais"ils ordonnent autour d'eux toute la représentation". Ils en sont la condition de possibilité."Peut-être y a-t-il, dans ce tableau de Vélasquez, comme la représentation de la représentation classique", mais on y lit aussi, selon Foucault,"la disparition nécessaire de ce qui la fonde". Et l'auteur de conclure :"Libre enfin de ce rapport qui l'enchaînait, la représentation peut se donner comme pure représentation."Pourquoi cette longue ouverture sur l'idée de représentation dans l'oeuvre de Vélasquez ? Parce que cette notion est, selon Foucault, le principe qui organise les savoirs à l'âge classique.
Chaque époque se caractérise par un"champ épistémologique"particulier, qui forme le "socle" des diverses connaissances et commande leur apparition. Foucault appelle"épistémê"cet"a priori historique"sur fond duquel se constituent les diverses sciences. Il s'attache à trois d'entre elles (le langage, la vie et les richesses) pour souligner e e leur"cohérence", aux XVIIet XVIII siècles, avec la théorie de la représentation.
La Renaissance, elle, était fondée sur la ressemblance."Le monde s'enroulait sur lui-même", écrit Foucault. Don Quichotte en apparaît, sur le mode de la dérision, comme l'incarnation."Tout son chemin est une quête aux similitudes", mais celles-ci tournent au e délire. Au XIXsiècle vient l'âge de l'histoire, qui devient"le mode d'être fondamental des empiricités"et qui introduit dans la pensée moderne"cette étrange figure du savoir qu'on appelle l'homme". Voici l'homme"au fondement de toutes les positivités", en cette place du roi"que lui assignaient par avanceLes Ménines, mais d'où pendant longtemps sa présence réelle fut exclue".
Or cette période, selon Foucault, est peut-être en train de se clore et l'homme, une"invention récente", en voie de disparaître. Si une nouvelle"épistémê"venait à naître, par l'effet d'un nouveau changement dans les dispositions du savoir,"alors on peut bien parier que l'homme s'effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable". C'est la dernière phrase du livre. "Fin de l'humanisme ?", titre Jean Lacroix dans son article duMonde. Celui de Gilles Deleuze dansLe Nouvel Observateurs'intitule "L'homme, une existence douteuse" et celui de Georges Canguilhem, un an plus tard, dansCritique, "Mort de l'homme ou épuisement du cogito".
"ANTI-HUMANISME THÉORIQUE"
En pleine vogue du structuralisme, l'ouvrage de Foucault, publié en 1966, la même année que lesEcritsde Lacan ouCritique et véritéde Barthes, est perçu par nombre de lecteurs comme un des principaux manifestes du mouvement, même si l'auteur se défend d'y appartenir. En montrant que la connaissance ne résulte pas du progrès continu de la raison, mais d'un système de règles propres à chaque époque, puis en affirmant que l'homme comme objet des sciences dites humaines est peut-être voué à une"fin prochaine", le philosophe donne la priorité au jeu des structures pour définir les conditions du savoir."Mais Foucault ne nous dit pas ce qui serait le plus intéressant, objectera Sartre, l'une des cibles du livre,à savoir comment chaque pensée est construite à partir de ces conditions et comment les hommes passent d'une pensée à une autre."
Les discussions suscitées par"l'anti-humanisme théorique"de Foucault, en écho aux théories exposées l'année précédente par Althusser dansPour Marx, assurent au livre un important succès de librairie. Selon Didier Eribon, biographe de Foucault, les premiers tirages sont vite épuisés. Plus de 20 000 exemplaires sont vendus la première année, plus de 110 000 le seront en vingt ans. C'est beaucoup pour un ouvrage de sciences humaines, souvent aride, parfois obscur. Le cinéma le consacre : dansLa Chinoise, de Jean-Luc Godard (1967),Les Mots et les Choses,"dernier barrage que la bourgeoisie puisse encore dresser contre Marx"selon Sartre, est attaqué à coups de tomates.
Quarante-deux ans après sa parution dans la "Bibliothèque des sciences humaines" (Gallimard), le livre, publié en poche dans la collection "Tel" depuis 1990, continue de se vendre, selon l'éditeur, à environ 4 000 exemplaires par an. Mais il est resté sans vraie postérité. Foucault en parlera comme d'"une sorte d'excursus"dans son oeuvre. Certes, le titre de sa chaire au Collège de France ("Histoire des systèmes de pensée") sera dans la continuité de ce travail, mais son attention va se tourner vers d'autres questions qui, sans être en rupture avec celles qu'il posait dansLes Mots et les Choses, justifieront une approche différente. AvecSurveiller et punirpuisHistoire de la sexualité, la réflexion sur les dispositifs de pouvoir va prendre le pas sur l'analyse des"épistémês". C'est ce Foucault-là qui inspire encore nombre de chercheurs à travers le monde plutôt que celui desMots et les Choses.
LES MOTS ET LES CHOSESde Michel Foucault. Gallimard, "Tel", 1990 (réédition), 400 p., 11,50 €.
Thomas Ferenczi
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