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Publié par | bibebook |
Nombre de lectures | 13 |
EAN13 | 9782824710228 |
Langue | Français |
Extrait
HONORÉ DE BALZA C
LES P ROSCRI TS
BI BEBO O KHONORÉ DE BALZA C
LES P ROSCRI TS
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1022-8
BI BEBO OK
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compris à Bib eb o ok.LES P ROSCRI TS
ALMAE SORORI
1308, e xistait p eu de maisons sur le T er rain for mé p ar les
alluvions et p ar les sables de la Seine , en haut de la Cité , der-E rièr e l’église Notr e-D ame . Le pr emier qui osa se bâtir un logis
sur cee grè v e soumise à de fré quentes inondations, fut un ser g ent de la
ville de Paris qui avait r endu quelques menus ser vices à messieur s du
chapitr e Notr e-D ame ; en ré comp ense , l’é vê que lui bailla vingt-cinq p er ches
de ter r e , et le disp ensa de toute censiv e ou r e de vance p our le fait de ses
constr uctions. Sept ans avant le jour où commence cee histoir e , Joseph
Tir e c hair , l’un des plus r udes ser g ents de Paris, comme son nom le pr ouv e ,
avait donc, grâce à ses dr oits dans les amendes p ar lui p er çues p our les
délits commis ès r ues de la Cité , bâti sa maison au b ord de la Seine , pré
cisément à l’ e xtrémité de la r ue du Port-Saint-Landr y . Afin de g arantir de tout
dommag e les mar chandises dép osé es sur le p ort, la ville avait constr uit
une espè ce de pile en maçonnerie qui se v oit encor e sur quelques vieux
plans de Paris, et qui préser vait le pilotis du p ort en soutenant à la tête du
T er rain les efforts des e aux et des glaces ; le ser g ent en avait pr ofité p our
1Les pr oscrits Chapitr e
asse oir son logis, en sorte qu’il fallait monter plusieur s mar ches p our
arriv er chez lui. Semblable à toutes les maisons du temps, cee bico que était
sur monté e d’un toit p ointu qui figurait au-dessus de la façade la moitié
sup érieur e d’une losang e . A u r egr et des historiographes, il e xiste à p eine
un ou deux mo dèles de ces toits à Paris. Une ouv ertur e r onde é clairait le
gr enier dans le quel la femme du ser g ent faisait sé cher le ling e du
Chapitr e , car elle avait l’honneur de blanchir Notr e-D ame , qui n’était certes
p as une mince pratique . A u pr emier étag e étaient deux chambr es qui, b on
an mal an, se louaient aux étrang er s à raison de quarante sous p arisis p our
chacune , prix e x orbitant justifié d’ailleur s p ar le lux e que Tir e chair avait
mis dans leur ameublement. D es tapisseries de F landr e g ar nissaient les
murailles ; un grand lit or né d’un tour en ser g e v erte , semblable à ceux
des p ay sans, était honorablement four ni de matelas et r e couv ert de b ons
draps en toile fine . Chaque ré duit avait son chauffe-doux, espè ce de p oêle
dont la description est inutile . Le plancher , soigneusement entr etenu p ar
les appr enties de la Tir e chair , brillait comme le b ois d’une châsse . A u lieu
d’ escab elles, les lo catair es avaient p our siég es de grandes chaires en no y er
sculpté , pr o v enues sans doute du pillag e de quelque châte au. D eux bahuts
incr ustés en étain, une table à colonnes tor ses, complétaient un mobilier
digne des che valier s banner ets les mieux hupp és que leur s affair es
amenaient à Paris. Les vitraux de ces deux chambr es donnaient sur la rivièr e .
Par l’une , v ous n’ eussiez pu v oir que les riv es de la Seine et les tr ois îles
désertes dont les deux pr emièr es ont été réunies plus tard et for ment l’île
Saint-Louis aujourd’hui, la tr oisième était l’île Louvier s. Par l’autr e , v ous
auriez ap er çu a trav er s une é chapp é e du p ort Saint-Landr y , le quartier
de la Grè v e , le p ont Notr e-D ame av e c ses maisons, les hautes tour s du
Louv r e ré cemment bâties p ar P hilipp e- A uguste , et qui dominaient ce
Paris chétif et p auv r e , le quel suggèr e à l’imagination des p oètes mo der nes
tant de fausses mer v eilles. Le bas de la maison à Tir e chair , p our nous
servir de l’ e xpr ession alor s en usag e , se comp osait d’une grande chambr e où
travaillait sa femme , et p ar où les lo catair es étaient oblig és de p asser p our
se r endr e chez eux, en gravissant un escalier p ar eil à celui d’un moulin.
Puis der rièr e , se tr ouvaient la cuisine et la chambr e à coucher , qui avaient
v ue sur la Seine . Un p etit jardin conquis sur les e aux étalait au pie d de
cee humble demeur e ses car rés de choux v erts, ses oignons et quelques
2Les pr oscrits Chapitr e
pie ds de r osiers défendus p ar des pieux for mant une espè ce de haie . Une
cabane constr uite en b ois et en b oue ser vait de niche à un gr os chien, le
g ardien né cessair e de cee maison isolé e . A cee niche commençait une
enceinte où criaient des p oules dont les œufs se v endaient aux chanoines.
Çà et là , sur le T er rain fang eux ou se c, suivant les c aprices de l’atmosphèr e
p arisienne , s’éle vaient quelques p etits arbr es incessamment baus p ar le
v ent, tour mentés, cassés p ar les pr omeneur s ; des saules vivaces, des joncs
et de hautes herb es. Le ter rain, la Seine , le Port, la maison étaient
encadrés à l’ ouest p ar l’immense basilique de Notr e-D ame , qui pr ojetait au gré
du soleil son ombr e fr oide sur cee ter r e . Alor s comme aujourd’hui, Paris
n’avait p as de lieu plus solitair e , de p ay sag e plus solennel ni plus
mélancolique . La grande v oix des e aux, le chant des prêtr es ou le sifflement du
v ent tr oublaient seuls cee espè ce de b o cag e , où p arfois se faisaient ab
order quelques couples amour eux p our se confier leur s se cr ets, lor sque les
offices r etenaient à l’église les g ens du chapitr e .
Par une soiré e du mois d’av ril, en l’an 1308, Tir e chair r entra chez lui
singulièr ement fâché . D epuis tr ois jour s il tr ouvait tout en ordr e sur la
v oie publique . En sa qualité d’homme de p olice , rien ne l’affe ctait plus
que de se v oir inutile . Il jeta sa hallebarde av e c humeur , gr ommela de
vagues p ar oles en dép ouillant sa jaquee mi-p artie de r oug e et de bleu,
p our endosser un mauvais ho queton de camelot. Après av oir pris dans la
huche un mor ce au de p ain sur le quel il étendit une couche de b eur r e , il
s’établit sur un banc, e x amina ses quatr e mur s blanchis à la chaux, compta
les soliv es de son plancher , inv entoria ses ustensiles de ménag e app endus
à des clous, maugré a d’un soin qui ne lui laissait rien à dir e , et r eg arda sa
femme , laquelle ne soufflait mot en r ep assant les aub es et les sur plis de la
sacristie .
― Par mon salut, dit-il p our entamer la conv er sation, je ne sais,
Jacqueline , où tu vas pê cher tes appr enties. En v oilà une , ajouta-t-il en
montrant une ouv rièr e qui plissait assez maladr oitement une napp e d’autel,
en vérité , plus je la mir e , plus je p ense qu’ elle r essemble à une fille folle
de son cor ps, et non à une b onne gr osse ser v e de camp agne . Elle a des
mains aussi blanches que celles d’une dame ! Jour de Dieu, ses che v eux
sentent le p arfum, je cr ois ! et ses chausses sont fines comme celles d’une
r eine . Par la double cor ne de Mahom, les choses cé ans ne v ont p as à mon
3Les pr oscrits Chapitr e
gré .
L’ ouv rièr e se prit à r ougir , et guigna Jacqueline d’un air qui e xprimait
une crainte mêlé e d’ or gueil. La blanchisseuse rép ondit à ce r eg ard p ar un
sourir e , quia son ouv rag e , et d’une v oix aigr elee : ― Ah çà ! dit-elle à
son mari, ne m’imp atiente p as ! Ne vas-tu p oint m’accuser de quelques
manig ances ? T r oe sur ton p avé tant que t