À Gérard Lambert, parti trop tôt. Le Banquet de Platon : modèle atypique ou réhabilitation politique ? Si des liens d’ordre politique existent entre Athènes et les symposia 1 , le Banquet de Platon, lui, est, avant tout, un document littéraire 2 . En effet, ce dialogue sur l’Amour laisse peu de place au politique. En apparence tout au moins. Seuls quelques passages pris respectivement dans le discours de Phèdre, de Pausanias ou de Socrate suggèrent ce domaine. Dans l’éloge prononcé par Phèdre, par exemple, apparaît le rêve politique d’une cité ou d’une armée 3 composées d’amants et d’aimés 4 . Plus loin Pausanias, vantant les ____________ 1.VoirF.Dupont,Le Plaisir et la loi, François Maspero/Textes à l’appui, 1977. Au mot « banquets », ou à celui de « beuveries » qui conviendrait mieux, n’était chez nous la connotation péjorative, nous préférons symposia. Ce terme recouvre, en effet, une pratique originale, spécifi-quement athénienne, qu’il ne faut pas confondre avec les repas communs ou syssities, tels qu’on les pratiquait en Crète ou à Sparte par exemple. Le symposion est ce que l’on pourrait appeler une réunion festive de buveurs qui fait suite au dîner. Dans l’ andrôn, une pièce réservée aux hommes, exception faite des joueuses de flûte ou de cithare (Éryximaque fait renvoyer l’aulétride [176 e]), les convives s’allongent sur des klinai, après s’être déchaussés et lavé les pieds. Le repas terminé, les mains rincées, on verse des libations, on chante un hymne à Dionysos, puis le symposiarque, ou président du banquet, est choisi d’un commun accord. La fête peut alors commencer : c’est le moment du plaisir de la musique, des spectacles divers, ou de la discussion. 2. Les ouvrages qui ont pour sujet un banquet proprement dit sont peu nombreux : les Deipnosophistes d’Athénée, le Banquet de Lucien, le Banquet de Platon, le Banquet des Sept Sages ; les Propos de table de Plutarque et, enfin, le Banquet de Xénophon. 3. Peut-on parler d’une allusion, par anticipation, au fameux bataillon sacré des Thébains ? Ce corps d’élite des « Trois Cents » a fait son apparition à Leuctres en 371 av. J.- C. 4.VoirPlaton,Banquet, 178 e, trad. (ici et ailleurs) Léon Robin : « Supposons donc que, par quelque moyen, il pût exister une cité, ou une armée, faite d’amants et de leurs bien-aimés, on ne voit pas comment leur cité à eux pourrait avoir une base meilleure de sa constitution, que leur éloignement pour tout ce qui est vilain et le désir d’estime dont ils rivaliseraient ! ni encore comment, et se battant coude à coude, de tels hommes, une poignée seulement, ne seraient pas vainqueurs, si l’on peut dire, de toute l’humanité ! » Il serait intéressant d’opposer cette élite politique fondée sur l’amour homosexuel masculin au programme de la République. On songe aussi aux relations d’amitié virile, de camaraderie guerrière, hérités du monde indo-européen, que l’on retrouve, par exemple, à Sparte. Plus loin (209 c), le thème de l’amour spirituel peut faire penser aux relations privilégiées de