Bacchantes ou amazones? Romancières de 1900 - article ; n°1 ; vol.46, pg 93-104
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1994 - Volume 46 - Numéro 1 - Pages 93-104
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 43
Langue Français

Extrait

Professeur Michel Décaudin
Bacchantes ou amazones? Romancières de 1900
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1994, N°46. pp. 93-104.
Citer ce document / Cite this document :
Décaudin Michel. Bacchantes ou amazones? Romancières de 1900. In: Cahiers de l'Association internationale des études
francaises, 1994, N°46. pp. 93-104.
doi : 10.3406/caief.1994.1833
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1994_num_46_1_1833BACCHANTES OU AMAZONES?
ROMANCIÈRES DE 1900
Communication de M. Michel DÉCAUDIN
(Université de la Sorbonně nouvelle)
au XLVe Congrès de l'Association, le 20 juillet 1993
J'emprunte mon titre à deux écrivains de l'époque.
D'une part Han Ryner qui, du 1er novembre 1897 au
1er octobre 1898, publia dans La Plume «Le Massacre
des Amazones», une suite d'articles féroces pour les
femmes écrivains, bas-bleus de toute espèce, mondaines
désœuvrées, provinciales en mal de plume, ressassant
toutes les mêmes histoires sentimentales. On chercherait
en vain de grands noms dans l'énumération de ses vic
times ; mais une impression domine à la lecture de ces
pages, celle d'une invasion et d'une occupation du ter
ritoire littéraire par le peuple innombrable des femmes.
L'autre terme, celui de Bacchantes, m'a été soufflé par
Charles Maurras avec son essai sur «Le Romantisme
féminin» paru dans les numéros de la revue Minerva
des 15 avril, 1er et 15 mai 1903, puis repris dans L'Avenir
de l'intelligence ; partagé entre le rejet de tendances qui
lui paraissent être un surgeon du Romantisme et l'att
irance pour certaines œuvres, notamment le premier
roman d'Anna de Noailles, La Nouvelle Espérance, il 94 MICHEL DÊCAUDIN
écrit : « II faut renverser toutes les colonnes du Droit, si
l'on conteste la bacchanale aux Bacchantes ».
Amazones conquérantes ou Bacchantes esclaves de
leurs sens, ou les deux à la fois, nos romancières de
1900?
Il convient tout d'abord de ne pas les isoler du grand
mouvement féministe qui se développe à la fin du XIXe
siècle et au début du nôtre. Toutes les classes sociales
sont concernées, de la bourgeoisie et de l'aristocratie
où se répand, avec l'augmentation du nombre de filles
diplômées, un désir d'égalité juridique et d'accession
aux activités professionnelles, au monde ouvrier, où les
femmes s'engagent dans l'action militante, les plus auda
cieuses préconisant avec les anarchistes la «grève des
ventres » pour faire obstacle au militarisme capitaliste.
On citera parmi les précurseurs Louise Gagneur,
morte en 1902 à soixante-dix ans, auteur de nombreux
romans aux titres significatifs, Les Forçats du mariage
(1870), Les Droits du mari (1876), Un chevalier de sa
cristie (1880) ou Le Roman d'un prêtre (1882), — autant
de dénonciations de la loi, de la religion, des conventions
qui briment les femmes. Je rappellerai pour la petite
histoire que son action en faveur du féminisme l'avait
conduite en 1891 à demander à l'Académie une réforme
qui permettrait de donner des féminins à des substantifs
comme auteur, écrivain, ingénieur, etc. Un siècle a passé,
et ce point de grammaire est toujours d'actualité...
Autour de 1900 particulièrement diverses manifestat
ions mettent en évidence une évolution de la mentalité
féminine. Tandis que les « suffragettes » manifestent dans
la rue, Marguerite Durand crée La Fronde, journal
« dirigé, administré, rédigé, composé par des femmes », ROMANCIÈRES DE 1900 95
qui vécut de 1897 à 1903 avec des collaboratrices comme
Séverine, Daniel Lesueur, Judith Cladel ou Jane Catulle-
Mendès. Dans ces mêmes années, Gabrielle Reval attire
l'attention sur les études des jeunes filles avec
Les Sévriennes, que Rachilde rapprocha de Claudine à
l'école, Un lycée de jeunes filles, Lycéennes et L'Avenir
de nos filles.
La poésie joue alors, on le sait, un rôle déterminant.
Lucie Delarue-Mardrus, Anna de Noailles, Marie Dau-
guet, Renée Vivien étonnèrent les contemporains par
leur accent nouveau. A une époque où la poésie s'enlisait
dans les théories et les querelles de chapelles, elles ap
portaient un naturel, une simplicité qui, pour les lecteurs,
frisaient l'impudeur, une exaltation des sens, un langage
apparemment sans recherche, qui ne craignait pas le
prosaïsme. Comme le dit un vers de Marie Dauguet,
Leur suprême vertu, c'est d'avoir osé vivre.
Et pourtant, le roman, a priori plus sensible à l'ac
tualité et à ses problèmes, n'était-il pas plus qu'elle un
véhicule privilégié pour ce que Maurras a appelé une
«émeute de femmes»? Il faut bien constater qu'il n'en
est rien. Un balayage rapide de la production de ces
années tendrait à donner raison à la diatribe d'Han
Ryner. Ces romancières s'enferment pour la grande maj
orité dans des situations stéréotypées et des personnages
conventionnels: dans un monde de préférence aristo
cratique, l'amour partagé se heurte aux contraintes mor
ales et sociales. Marcelle Tinayre, avec plus de talent,
n'en illustre pas moins cet état des choses. La Maison
du péché, qui paraît en 1902, concentre tous les ingré
dients du romanesque sentimental. Augustin a un père
déséquilibré et une mère qui vit en recluse, passant son
temps à lire Jansenius et ses disciples. Il rencontre une
jeune veuve qui fréquente des artistes, Fanny, et veut la MICHEL DÉCAUDIN 96
convertir. En réalité, c'est l'amour qui les rapproche.
Elle devient sa maîtresse dans la trop bien nommée
maison du péché depuis qu'un oncle libertin y avait
abrité ses aventures. Il ne peut l'épouser, car on ne fait
pas sa femme d'une maîtresse dans ce monde aristocra
tique et dévot. S'ensuivent tous les drames que l'on
peut imaginer, jusqu'à ce qu'il meure d'ennui et de
consomption, tandis qu'elle se console avec un homme
vulgaire et sensuel. On le voit, cette histoire relève plus
d'un catalogue des topoi de l'éternel romanesque que
d'une veine réaliste ou revendicatrice.
C'est à peine si dans l'abondante chronique des r
omans que Rachilde tient au Mercure de France on
trouve à propos de L'Amour tout simple de Claire Al-
bane en janvier 1900 la notation suivante:
C'est l'amour tout simple... et un brin forcené, car il recule
devant le mariage de raison pour en revenir à la simple
raison du plus fort : celle des sens !
*
L'empire des sens n'est cependant pas le seul moteur
des quelques œuvres auxquelles je m'arrêterai pour en
dégager des figures originales de femmes qui marquent
leur époque.
Rachilde n'est pas une débutante en 1900. Depuis
vingt ans, ses romans, qui ont pour titres Monsieur
Vénus, Madame Adonis, La Marquise de Sade, Les
Hors-nature..., font scandale avec leurs évocations ob
sessionnelles d'êtres androgynes ou invertis et leur morb
idité décadente. Quand paraît L'Animale en 1893, Jean
Lorrain, expert s'il en fut, lui écrit: «Je viens de lire le
livre le plus pervers, le plus malsain et le plus cruell
ement détraqué que je connaisse ». ROMANCIÈRES DE 1900 97
Plus intéressant pour mon propos que ces témoignages
d'une certaine sensibilité des années 80, bien qu'il en
conserve diverses caractéristiques, est La Jongleuse, un
roman publié en 1900. La jongleuse, c'est Éliante, une
femme de trente-cinq ans, veuve d'un officier de marine
qu'elle avait épousé alors qu'elle n'en avait que dix-
sept. Cet homme au visage repoussant, défiguré par
une blessure, l'a étrangement dominée : dans son luxueux
hôtel parisien elle conserve secrètement des souvenirs
de celui qui avait été son maître et son initiateur. Elle
mène une brillante vie mondaine et rien ne nous est
épargné de ses sorties et de ses réceptions.
Elle enlève littéralement un étudiant en médecine
amoureux fou, Léon (ce qui nous vaut la scène obligée
du fiacre), l'emmène chez elle, le provoque puis le ren
voie, menant avec lui un jeu ambigu d'abandon et de

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