Éclaircissement sur les sacrifices (Joseph de Maistre)
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Joseph de Maistre Éclaircissement sur les sacrifices La présente édition de l’Éclaircissement sur les sacrifices de Joseph de Maistre reprend le texte paru à la fin de l’édition de 1821 des Soirées de Saint-Petersbourg. Elle a pour but de diffuser simplement ce texte essentiel. Les notes ont été mises en forme rapidement. Aussi le traitement des citations grecques n’est-il pas satisfaisant, les accents n’ayant pas pu être introduits ; une étude rigoureuse de ce texte nécessitera donc de consulter l’édition de référence. Cette édition est mise à votre disposition par le Poème de la quinzaine : http://poeme.a-lire.fr. Éclaircissement sur les sacrifices Chapitre premier Des sacrifices en général Je n’adopte point l’axiome impie : 1La crainte dans le monde imagina les dieux. Je me plais au contraire à remarquer que les hommes, en donnant à Dieu les noms qui expriment la grandeur, le pouvoir et la bonté, en l’appelant le Seigneur, le Maître, le Père, etc., montraient assez que l’idée de la divinité ne pouvait être fille de la crainte. On peut observer encore que la musique, la poésie, la danse, en un mot tous les 1 Primus in orbe deos fecit timor. Ce passage, dont on ignore le véritable auteur, se trouve parmi les fragments de Pétrone. Il est bien là. 3 Joseph de Maistre arts agréables, étaient appelés aux cérémonies du culte ; et que l’idée d’allégresse se mêla toujours si intimement à celle de fête, que ce dernier devint partout synonyme du premier.

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Publié le 26 mai 2014
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Langue Français

Extrait

Joseph de Maistre
Éclaircissement
sur les sacrifices
La présente édition de l’Éclaircissement sur les sacrificesde Joseph de Maistre reprend le texte paru à la fin de l’édition de 1821 desSoirées de Saint-Petersbourg. Elle a pour but de diffuser simplement ce texte essentiel.
Les notes ont été mises en forme rapidement. Aussi le traitement des citations grecques n’est-il pas satisfaisant, les accents n’ayant pas pu être introduits ; une étude rigoureuse de ce texte nécessitera donc de consulter l’édition de référence.
Cette édition est mise à votre disposition par le Poème de la quinzaine:http://poeme.a-lire.fr.
Éclaircissement sur les sacrifices
Chapitre premier
Des sacrifices en général
Je n’adopte point l’axiome impie :
1 La crainte dans le monde imagina les dieux.
Je me plais au contraire à remarquer que les hommes, en donnant à Dieu les noms qui expriment la grandeur, le pouvoir et la bonté, en l’appelantle Seigneur, le Maître, le Père, etc., montraient assez que l’idée de la divinité ne pouvait être fille de la crainte. On peut observer encore que la musique, la poésie, la danse, en un mot tous les
1Primus in orbe deos fecit timor. Ce passage, dont on ignore le véritable auteur, se trouve parmi les fragments de Pétrone. Il est bien là.
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Joseph de Maistre
arts agréables, étaient appelés aux cérémonies du culte ; et que l’idée d’allégresse se mêla toujours si intimement à celle defête, que ce dernier devint partout synonyme du premier. Loin de moi d’ailleurs de croire que l’idée de Dieu ait pu commencer pour le genre humain, c’est-à-dire qu’elle puisse être moins ancienne que l’homme. Il faut cependant avouer, après avoir assuré l’orthodoxie, que l’histoire nous montre l’homme persuadé dans tous les temps de cette effrayante vérité : qu’il vivait sous la main d’une puissance irritée, et que cette puissance ne pouvait être apaisée que par des sacrifices.Il n’est pas même aisé, au premier coup d’œil, d’accorder des idées en apparence aussi contradictoires ; mais si l’on y réfléchit attentivement, on comprend très bien comment elles s’accordent, et pourquoi le sentiment de terreur a toujours subsisté à côté de celui de la joie, sans que l’un ait jamais pu anéantir l’autre. « LesDieux sont bons, et nous tenons d’eux tous les biens dont nous jouissons : nous leur devons la louange et l’action de grâce. Mais les dieux sont justes et nous sommes coupables: il faut les apaiser, il faut expier nos crimes ; et, pour y parvenir, le moyen le plus puissant est 2 lesacrifice. »
2 Cen’était point seulement pour apaiser les mauvais génies ; ce n’était point seulement à l’occasion des grandes calamités que le sacrifice était offert: il fut toujours la base de toute espèce de culte, sans distinction de lieu, de temps, d’opinions ou de circonstances.
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Éclaircissement sur les sacrifices
Telle fut la croyance antique, et telle est encore, sous différentes formes, celle de tout l’univers. Les hommes primitifs, dont le genre humain entier reçut ses opinions fondamentales, se crurent coupables: les institutions générales furent toutes fondées sur ce dogme, en sorte que les hommes de tous les siècles n’ont cessé d’avouer la dégradation primitive et universelle, et de dire comme nous, quoique d’une manière moins explicite :nos mères nous ont conçus dans le crime; car il n’y a pas un dogme chrétien qui n’ait sa racine dans le nature intime de l’homme, et dans une tradition aussi ancienne que le genre humain. Mais la racine de cette dégradation, ou laréitéde l’homme, s’il est permis de fabriquer ce mot, résidait dans leprincipe sensible, dans la vie, dans l’âmeenfin, si soigneusement distinguée par les anciens, del’esprit ou de l’intelligence. L’animal n’a reçu qu’uneâme; à nous furent donnés et 3 l’âme et l’esprit. L’antiquité ne croyait point qu’il pût y avoir, entre 4 l’esprit et le corps; de, aucune sorte de lien ni de contact
3Immisitque (Deus)in hominem spiritum et animam. (Josèphe, Antiquités juives, livre I, chapitre 1, §2.) Principio indulsit communis conditor illis Tantum animam ; nobis, animum quoque… (Juvénal,Satire XV, 148, 49.) 4Mentem autem reperiebat Deus ulli rei adjunctum esse sine anima nefas esse : quocirca intelligentiam in animo ; animam conclusit in corpore.(Timée, inter frag. Cicéron, Platon in Timée opp., t. IX, p. 312, A.B., p. 386, 11.) 5
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manière quel’âme, ou le principe sensible, était pour eux une espèce demoyenne proportionnelle, ou de puissance intermédiaire en quil’espritreposait, comme elle reposait elle-même dans le corps. En se représentantl’âmesous l’image d’un œil, suivant la comparaison ingénieuse de Lucrèce,l’espritla était 5 6 prunelle de cet œil . Ailleurs il l’appellel’âme de l’âmeet 7 Platon, d’après Homère, le nommele cœur de l’âme, 8 expression que Philon renouvela depuis. Lorsque Jupiter, dans Homère, se détermine à rendre un héros victorieux, le dieu a pesé la chosedans son 9 esprit; il estun: il ne peut y avoir de combat en lui. Lorsqu’un homme connaît son devoir et le remplit sans balancer, dans une occasion difficile, il a vu la chose 10 comme un dieu,dans son esprit.
5Ut lacerato oculo circum, si pupila mansit Incolumis, etc. (Lucrèce,De Natura Rerum, III, 409, seqq.) 6Atque anima est animae proporro totius ipsa.(Ibid.) 7In Theat., opp., tom. II, p. 261 C. N.B. Quelquefois les Latins abusent du motanimus, mais toujours d’une manière à ne laisser aucun doute au lecteur. Cicéron, par exemple, l’emploie comme un synonyme d’animaet l’oppose àmens:. Et Virgile a dit dans le même sensmentem animumque (Énéide, VI, 11, etc.). Juvénal, au contraire, l’oppose, comme synonyme demens, au motanima, etc. 8 Philon,De la fabrication du monde, cité par Juste-Lipse. Phys. stoic. III, dissert. XVI. 95lloge mermerize kata phr.en(Ialiade, II, 3.) 105utar o egno esin enu phr.e(rIliiade, I, 333.)
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Mais si, longtemps agité entre son devoir et sa passion, ce même homme s’est vu sur le point de commettre une violence inexcusable, il a délibérédans son âme et dans 11 son esprit. Quelquefoisl’espritgourmandel’âme, et la veut faire rougir de sa faiblesse:courage, lui dit-il,mon âme! tu 12 as supporté de plus grands malheurs. Et un autre poète a fait de ce combat le sujet d’une conversation, en forme tout à fait plaisante.Je ne puis, dit-il,:! t’accorder tout ce que tu désiresô mon âme songes que tu n’es pas la seule à vouloir ce que tu 13 aimes.Que veut-on dire, demande Platon,lorsqu’on dit qu’un homme s’est vaincu lui-même, qu’il s’est montré plus fort que lui-même? On affirme évidemment qu’il est,, etc. tout à la fois, plus fort et plus faible que lui-même ; car si c’estluiqui est le plus faible, c’est aussiluiqui est le plus fort ;puisqu’on affirme l’un et l’autre du même sujet. La volonté supposéeunene saurait pas plus être en contradiction avec elle-même, qu’un corps ne peut être
11Eos o tauth ormaine kata phrena kai kata th.u(mIleinade, I, 195.) 12Tetlathi de kradin, kai kunteron allo po.t(eOtdlyesssée, XX, 18.) Platon a cité ce vers dans le Phédon, (Opp. tom. I, p. 215, D) et il y voit une puissance qui parle à une autre. −On alle ousa allo pragmati dialegoum.e(nIbeid., 261, B.) 13Ou dunamai soi, Thume, paraskhein asmena panta, Tetlathi, Ton de kalon outi su mounos erais& (Theogn. inter vers. gmon. ex edit. Brunckii, v. 72-73.)
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animé à la fois par deux mouvements actuels et 14 opposés ;car nul sujet ne peut réunir deux contraires 15 simultanés .Si l’homme était un, a dit excellemment 16 Hippocrate,jamais il ne serait malade; et la raison en est simple:car, ajoute-t-il,on ne peut concevoir une 17 cause de maladie dans ce qui est un. Cicéron écrivant doncque, lorsqu’on nous ordonne de nous commander à nous-mêmes, cela signifie que la 18 raison doit commander à la passion; ou il entendait que la passion est unepersonne, ou il ne s’entendait pas lui-même. Pascal avait en vue sans doute les idées de Platon, lorsqu’il disait :Cette duplicité de l’homme est si visible, qu’il y en a qui ont pensé que nous avons deux âmes ; un sujet simple leur paraissant incapable de telles et si 19 soudaines variétés.
14 Platon,La République, opp. tom. V, p. 549, E. A. ; et p. 360, C. 15Oude (ton onton! ouden ama ta enantia epide.k(hAertisatiote, Catheg. de quantitate, opp. tom. I.) 16Egoo de phemi ei enen o anthropos potan.e(lHgipepnocrate, La nature de l’homme, Rom. I, cit. edit., chapitre 2, p. 265.) 17Oude gar an en upo tou algeseieu EN.EON Cette maxime lumineuse n’a pas moins de valeur dans le monde moral. 18Quum igitur praecipitur ut nobismetipsis imperemus, hoc praecipitur, ut ratio cœrceat temeritatem. (Tusc. quaest., II, 21.) Partout où il faut résister, il y aaction; partout où il y a action, il y asubstance; et jamais on ne comprendra comment une tenaille peut se saisir elle-même. 19 Pensées,III, 13. − On peut voir à l’endroit de Platon qu’on vient de citer la singulière histoire d’un certain Léontius,qui voulait
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Mais avec tous les égards dus à un tel écrivain, on peut cependant convenir qu’il ne semble pas avoir vu la chose tout à fait à fond, car il ne s’agit pas seulement de savoir comment un sujet simple est capable de telles et si soudaines variétés, mais bien d’expliquer comment un sujet simple peut réunir des oppositions simultanées; comment il peut aimer à la fois le bien et le mal ; aimer et haïr le même objet; vouloir et ne vouloir pas, etc.; comment un corps peut se mouvoir actuellement vers deux points opposés; en un mot, pour tout dire, comment un sujet simple peut n’être pas simple. L’idée de deux puissances distinctes est bienancienne, même dans l’Église. «Ceux qui l’ont adoptée, disait Origène, ne pensent pas que ces mots de l’apôtre: La chair a des désirs contraires à ceux de l’esprit (Galates, V, 17) doivent s’entendre de la chair proprement dite ; mais de cette âme, qui est réellement l’âme de la chair: car, disent-ils, nous en avons deux, l’une bonne et céleste, l’autre inférieure et terrestre; c’est de celle-ci qu’il a été dit que ses œuvres sont évidentes (Ibid., 19), et nous 20 croyons que cette âme de la chair réside dans le sang. » Au reste, Origène, qui était à la fois le plus hardi et les plus modeste des hommes dans ses opinions, ne s’obstine point sur cette question.Le lecteur, dit-il,en pensera ce
absolument voir des cadavres qu’absolument il ne voulait pas voir; ce qui se passa dans cette occasion entreson âmeetlui, et les injures qu’il crut devoir adresser à ses yeux. (Loc. cit., p. 360 A). 20 Origène,Des Principes III,4. Opp., edit. Ruxi, Paris, 1733, in-fol., tom. I, p. 145 seqq. 9
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qu’il voudra. On voit cependant assez qu’il ne savait pas expliquer autrement ces deux mouvements diamétralement opposés dans un sujet simple. Qu’est-ce en effet que cette puissance qui contrarie l’homme? Qu’est-ce, ou, pour mieux dire, sa conscience que cette puissance qui n’est paslui, ou tout lui? Est-elle matérielle comme la pierre ou le bois? dans ce cas, elle ne pense ni ne sent, et, par conséquent, elle ne peut avoir la puissance de troubler l’esprit dans ses opérations. J’écoute avec respect et terreur toutes les menaces faites à la chair; mais je demande ce que c’est. Descartes, qui ne doutait de rien, n’est nullement embarrassé de cette duplicité de l’homme. Il n’y a point, selon lui, dans nous de partie supérieure et inférieure, de puissance raisonnable et sensitive, comme on le croit vulgairement. L’âme de l’homme est une, et la même substance est tout à la fois, raisonnable et sensitive. Ce qui trompe à cet égard, dit-il, c’est que les volitions produites par l’âme et par les esprits vitaux envoyés par le corps, excitent des mouvements contraires dans la glande 21 pinéale. Antoine Arnaud est bien moins amusant: il nous propose comme un mystère inconcevable, et cependant
21 Descartesopp. Amst., Blaen, 1785, in-4° ;Des Passions de l’âme, art. XLVII, p. 22. Je ne dis rien de cette explication : les hommes tels que Descartes méritent autant d’égards qu’on en doit peu aux funestes usurpateurs de la renommée. Je prie seulement qu’on fasse attention au fond de la pensée, qui se réduit très clairement à ceci :Ce qui fait croire communément qu’il y a une contradiction dans l’homme, c’est qu’il y a une contradiction dans l’homme.
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incontestable :« Quece corps, qui, n’étant qu’une matière, n’est point un sujet capable de péché, peut cependant communiquer à l’âme ce qu’il n’a pas et ne peut avoir; et que, de l’union de ces deux choses exemptes de péché, il en résulte un tout qui en est capable, et qui esttrès justementl’objet de la colère de 22 Dieu. » Il paraît que ce dur sectaire n’avait guère philosophé sur l’idéedu corps, puisqu’il s’embarrasse ainsi volontairement, et qu’en nous donnant une bêtise pour un mystère, il expose l’inattention ou la malveillance à prendre un mystère pour une bêtise. Un physiologiste moderne se croit en droit de déclarer expressément que le principe vital est unêtre. «Qu’on l’appelle, dit-il,puissance ou faculté, cause immédiate de tous nos mouvements et de tous nos sentiments, ce principe est UN : il est absolument indépendant de l’âme pensante, et même du corps, suivant toutes les 23 vraisemblances :aucune cause ou loi mécanique n’est 24 recevable dans les phénomènes du corps vivant. » Au fond, il paraît que l’Écriture sainte est sur ce point tout à fait d’accord avec la philosophie antique et moderne, puisqu’elle nous apprend: «Que l’homme est
22Perpétuité de la foi, in-4°, tom. III, liv. XI c. VI. 23 Ilsemble que ces mots,suivant toutes les vraisemblances, sont encore, comme je l’ai dit ailleurs, une pure complaisance pour le siècle :car comment ce qui est UN, et qui peut s’appeler principe, ne serait-il pas distingué de la matière ? 24Nouveaux Éléments de la science de l’homme, par M. Barthez, 2 vol. in-8°, Paris, 1806. 11
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