De l émigration à l exil intérieur - article ; n°1 ; vol.43, pg 59-80
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De l'émigration à l'exil intérieur - article ; n°1 ; vol.43, pg 59-80

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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1991 - Volume 43 - Numéro 1 - Pages 59-80
22 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1991
Nombre de lectures 40
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Professeur Béatrice Didier
De l'émigration à l'exil intérieur
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1991, N°43. pp. 59-80.
Citer ce document / Cite this document :
Didier Béatrice. De l'émigration à l'exil intérieur. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1991, N°43.
pp. 59-80.
doi : 10.3406/caief.1991.1753
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1991_num_43_1_1753L'ÉMIGRATION A L'EXIL INTÉRIEUR DE
CHATEAUBRIAND,
LES MÉMOIRES D'OUTRE-TOMBE
Communication de Mme Béatrice DIDIER
(Paris VIII)
au XLIIe Congrès de l'Association, le 23 juillet 1990
Chaque génération a connu ses exils et la journée que
l'A.I.E.F. consacre à ce thème en apporterait une preuve
suffisante, s'il était besoin. Néanmoins ces hommes et
ces femmes nés autour de 1770, Senancour, Chateaub
riand, Madame de Staël, ont vécu une rupture plus
profonde, plus collective aussi que ne l'avaient ressentie
les générations précédentes. La Révolution a non seul
ement été à l'origine du phénomène historique de l'émi
gration, mais elle a exilé de leur propre passé, de leur
culture et presque de leur langage ces écrivains qui avaient
vingt ans en 1789. La Restauration, même si, comme
Chateaubriand, ils tentent d'y adhérer, ne fait qu'aiguiser
les nostalgies, dans une prise de conscience de l'irréversi
ble. Tout alors est exil, et l'intériorisation de ce thème
est d'autant plus poignante que cette génération a assisté
aussi à de grandes mutations philosophiques et religieuses.
Quel sera alors le rôle de l'écriture : écrire, décrire l'exil
certes et l'analyser, mais elle-même est-elle exil
ou retour vers la patrie? Ces questions, on pourrait se BÉATRICE DIDIER 60
les poser pour tous les écrivains de cette génération. J'ai
longuement étudié le cas, très typique, de Senancour(l).
Si je me tourne maintenant vers Chateaubriand, et en
particulier vers les Mémoires d'Outre-Tombe, c'est que
cette œuvre, à elle seule, contient, dans leur plus belle
résonance, l'ensemble des thèmes de l'exil, que l'œuvre
tout entière, à bien l'examiner, n'a peut-être d'autre fin
que de dire l'exil fondamental du jeune aristocrate, de
l'homme, de l'écrivain que fut Chateaubriand (2).
Chateaubriand nous a laissé un saisissant tableau de
l'émigration, puisqu'il a connu les armées de Condé, mais
aussi le long exil de Londres. Non qu'il donne son adhé
sion à l'émigration. Tout le chapitre 5 du livre neuvième
est, sous forme d'une conversation avec Malesherbes, un
plaidoyer pro et contra. Mais, avec le recul, l'écrivain se
prête une lucidité qu'il n'avait peut-être pas tout à fait :
« mon zèle surpassait ma foi ; je sentais que l'émigration
était une sottise et une folie (...). Mon peu de goût pour
la monarchie absolue, ne me laissait aucune illusion sur
le parti que je prenais : je nourrissais des scrupules, et
bien que résolu de me sacrifier à l'honneur, je voulus
avoir sur l'émigration l'opinion de M. de Malesherbes »
(p. 493). Quelle que soit la réalité historique de cette
conversation (il se peut que Chateaubriand en regroupe
plusieurs; en tout cas, il s'agit forcément d'un discours
reconstruit a posteriori, à la façon des historiens anciens),
on remarquera avec quelle habileté l'écrivain organise
cette joute oratoire où la défense de l'émigration est as
surée par Malesherbes qui justement n'émigra pas, et
(1) B. Le Gall-Didier, L'imaginaire chez Senancour, Corti, 1966, 2 vol.
(2) Les références au texte de Chateaubriand correspondent à l'excellente
édition des Mémoires de ma vie et des Mémoires d'Outre-tombe donnée par
J.-Cl. Berchet, Classiques Garnier, 1989. Pour éviter la multiplication des
notes, nous avons placé ces références, immédiatement après la citation dans
notre texte même. L'ÉMIGRATION, L'EXIL INTÉRIEUR 6 1 CHATEAUBRIAND,
paya héroïquement de sa vie le refus d'abandonner son
Roi, tandis que le jeune René, emigrant à contre-cœur,
avance les arguments contre l'émigration. Le moment de
l'émigration représente en effet une de ces bifurcations
fondamentales où l'écrivain est tenté de se demander ce
qu'aurait pu être sa vie si elle avait été autre. Que se
serait-il passé si l'argent qu'il avait oublié dans une voiture
de louage ne lui avait été restitué par un moine « qui me
rendit les quinze cents francs avec lesquels j'allais m'a-
cheminer vers l'exil. Faute de cette petite somme, je n'au
rais pas émigré : que serais-je devenu ? toute ma vie était
changée» (p. 497).
Sur l'armée des émigrés, Chateaubriand porte un juge
ment qui n'est pas exempt de sévérité. Il y règne une
inégalité qui ne manque pas d'être choquante. «Auprès
de notre camp indigent et obscur, en existait un autre
brillant et riche» (p. 514) — inégalité qui est le reflet de
l'inégalité même qui existait dans l'aristocratie française
à la veille de la Révolution, comme il le souligne. Sévérité
de Chateaubriand encore, lorsqu'il évoque la pusillanimité
de l'émigration, face au courage de la Vendée. « Les ré
publicains avaient leur principe en eux, au milieu d'eux,
tandis que le principe des royalistes était hors de France.
Les Vendéens députaient vers les exilés; les géants en
voyaient demander des chefs aux pygmées. L'agreste mes
sager que je contemplais avait saisi la Révolution à la
gorge, il avait crié : « Entrez, passez derrière moi ; elle ne
vous fera aucun mal ; elle ne bougera pas ; je la tiens ».
Personne ne voulut passer: alors Jacques Bonhomme
relâcha la Révolution, et Charette brisa son épée » (p. 597-
598). Cette scène symbolique, qui représente avec force
la défection de l'émigration, ajoute encore à ce procès
que l'on peut lire dans les Mémoires d'Outre-Tombe et
qui n'a pas toujours été perçu, précisément à cause du
phénomène d'envoûtement que subit le lecteur sous l'effet
de la poésie et du rythme de cette prose. Au total, c'est 62 BÉATRICE DIDIER
essentiellement pour des raisons poétiques, et non politi
ques, que l'émigration est justifiée, qu'elle sort grandie
de ces pages des Mémoires d'Outre-Tombe. Et cette cris
tallisation poétique s'opère grâce à la thématique de l'exil.
C'est elle qui donne à toutes ces pages cette mélancolie si
favorable au génie de Chateaubriand. C'est elle qui, par
delà la petitesse des individus, leurs erreurs de jugement
politique, le réalisme aussi avec lequel l'écrivain décrit la
misère, confère à ces pages leur rythme. L'exil constitue
la justification, la cohérence de l'émigration, et par delà
la diversité des événements l'unité poétique de ces chapi
tres des Mémoires.
Ce qui seul a fait la grandeur et la poésie de l'armée de
Condé, c'est précisément qu'elle est une armée d'exilés.
Encore notera-t-on que Chateaubriand, pour donner à
ce thème tout son lyrisme, recourt à un phénomène
d'auto-citation, et se réfère à ses Mémoires sur la vie du
duc de Berry écrits dans une période de monarchisme
plus exalté : « Quand on licencie une armée, elle retourne
dans ses foyers; mais les soldats de l'armée de Condé
avaient-ils des foyers (...). Il fallut se séparer. Les frères
d'armes se dirent un dernier adieu, et prirent divers che
mins sur la terre» (p. 531). C'est encore l'exil qui fait la
grandeur des émigrés de Londres et plus généralement
de toute l'émigration : « Dans les histoires de la Révolut
ion, on a oublié de placer le tableau de la France exté
rieure auprès du tableau de la France intérieure, de pein
dre cette grande colonie d'exilés, variant son industrie et
ses pein

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