Discours de M. Guillaume et de Jacques Bonhomme
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Variétés historiques et littéraires, Tome IXDiscours de M. Guillaume et de Jacques Bonhomme, paysant, sur la défaicte de 35 poulles et le cocq faicte en un souperpar 3 soldats.1614Discours de M. Guillaume et de Jacques Bonhomme, paysant, surla défaict de 35 poulles et le cocq faicte en un souper par 3soldats.M.DC.XIVMaistre Guillaume. L’impatience me faict mourir d’un extreme desir de tecognoistre, Jacques, affin d’emploier tout ce qui est en moy pour honorer le braveet rustique jugement de ta venerable vieillesse de quatre-vingts dix sept ans.Bon-homme. Ce n’est pas moy, Guillaume, de qui il se faut railler : car, combienque tous les jours je ne sois comme toy à caymander de porte en porte, de palaisen palais des seigneurs de la cour, humant l’odeur et la fumée de leurs marmitesbouillantes, passant par devant leurs cuisines, desquelles tu es assez souventchassé, néantmoins je ne laisse pourtant d’estre assez estimé, voire plus que toy,pour la vérité que souventefois je persuade à plusieurs qui se sont assez bien2trouvez de m’avoir creu .Guillaume. Je trouve ma condition feneante plus aisée que la tienne, car avecquelque cartel de ma fantaisie mal timbrée j’ay plustot acquis une pistole que toy un3teston avec tes caquets persuasifs .Bon-homme. Il est vray, et croy bien ce que tu dis ; mais pourtant avec mon4hocqueton de treillis qui ne ressent que paix et amitié, j’ay plus de reputation entreles bons François que toy avec ta casaque rouge plissée à ...

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Variétés historiques et littéraires, Tome IX Discours de M. Guillaume et de Jacques Bonhomme, paysant, sur la défaicte de 35 poulles et le cocq faicte en un souper par 3 soldats. 1614
Discours de M. Guillaume et de Jacques Bonhomme, paysant, sur la défaict de 35 poulles et le cocq faicte en un souper par 3 soldats. M.DC.XIV
Maistre Guillaume. L’impatience me faict mourir d’un extreme desir de te cognoistre, Jacques, affin d’emploier tout ce qui est en moy pour honorer le brave et rustique jugement de ta venerable vieillesse de quatre-vingts dix sept ans.
Bon-homme. Ce n’est pas moy, Guillaume, de qui il se faut railler : car, combien que tous les jours je ne sois comme toy à caymander de porte en porte, de palais en palais des seigneurs de la cour, humant l’odeur et la fumée de leurs marmites bouillantes, passant par devant leurs cuisines, desquelles tu es assez souvent chassé, néantmoins je ne laisse pourtant d’estre assez estimé, voire plus que toy, pour la vérité que souventefois je persuade à plusieurs qui se sont assez bien 2 trouvez de m’avoir creu.
Guillaume. Je trouve ma condition feneante plus aisée que la tienne, car avec quelque cartel de ma fantaisie mal timbrée j’ay plustot acquis une pistole que toy un 3 teston avec tes caquets persuasifs.
Bon-homme. Il est vray, et croy bien ce que tu dis ; mais pourtant avec mon 4 hocqueton de treillisqui ne ressent que paix et amitié, j’ay plus de reputation entre les bons François que toy avec ta casaque rouge plissée à la turquesque.
Guillaume. Tes parolles et ton habit demonstrent la capacité de ta cervelle et de ton 5 beau jugement, qui est tout radouté, ramenant par tes devis les vieilles neiges du grand hyver passé.
Bon-homme. Et les tiennes, Guillaume, procedant de ta cervelle pleine de follie, sont vrayes frivolles, badineries et discours qui ressent la bave comme les devis ordinaires des petits enfants.
Guillaume. Tout beau, Bon-homme ! tu es cause de ma misère ; ne te mocque de moy, car on s’amuse à tes lettres, qui, comme follies, courent les rues de Paris, et moy on me laisse passer sans me dire, comme on souloit : « Monsieur Guillaume, qu’avez-vous de nouveau ? » Ainsi parloient à moy nos bons seigneurs de la cour, devant ces querelles d’Allemand.
Bon-homme. Ne te fasche non plus que moy : nous serons doresnavant aussi contens l’un que l’autre. Je croy que tu n’es non plus envieux de ma condition que je 6 suis de la tienne. Voylà la paix, par la grace de Dieu, remise en la France: tu seras comme devant aussi bien receu en ton estat de caymandier que devant ; on prendra doresnavant plaisir à lire tes rapsoderies, de quoy tu retireras argent ; et moy, paisible en ma maison rustique, sans crainte de gens d’armes ny de soldats pilleurs et poullaillers, revisiteray mon petit clos et mes vingt cinq arpens de terre que j’ay herité de mon grand père. La fortune et la chance sont retournez et pour toy et pour moy, selon tes desirs et les miens.
Guillaume. Desjà voudrois avoir veu cela, car il me desplaist assez d’ouyr parler de la guerre, source de toute misère, et particulièrement de la mienne.
Bon-homme. Je t’apprend pour certain que cela est. Je ne le sçay que par un de mes enfants que j’envoyay hier à Paris solliciter un mien procez. Pour toy, qui hante et entreartout malré uel’on en ae uihume le vent de toutes les rues de Paris
tu en peux plus que moy savoir des nouvelles. Guillaume. On le dit ainsi. Bon-homme. Voyla donc qui va bien ; nous deux en aurons du proffit.
Guillaume. Je ne scay quel proffit. La guerre, qui avoit fait faire tant de dépenses, aura tellement rendu les bourses flasques et légères qu’on n’aura plus envie de me donner.
Bon-homme. Ô ! que le proffit de la paix est grand ! En ceste resjouissance publique, on ne demandera plus qu’à rire, et à ouyr des comptes de plaisir comme les tiens, d’où retireras du lucre.
7 Guillaume. Pour vous cela est bon, car les soldats et gouvardsseront par ce moyen cassez et congediez, et partant contraints par les prevosts des villes d’abandonner vos maisons.
Bon-homme. Helas ! que c’est une douce consolation pour nous ! Car je t’asseure, Guillaume, mon bon amy, qu’ils nous ont fait mille ruines. Les marchands de la halle se pleignent de nous de quoy nous leur encherissons les œufs ; mais les bonnes gens n’en sçavent pas la cause : tous nos sacs sont vuidez, et nos pauvres poulles, helas ! ont esté mangées, sans en compter les plumes ; c’est de quoy se plaignent aussi bien que moy les autres paysans d’auprès Pontoise, Poissy et Mante.
Guillaume. Cela n’est rien. Possible tu en as perdu quelque demy douzaine : est-ce là si grand sujet de te plaindre ? Enqueste toy plus avant, fais un voyage à Nostre 8 Dame de Liesse, et tu verras ce que l’on te dira prez de Laon .
Bon-homme. Quoy donc apprenez vous de nouveau de ces quartiers ?
Guillaume. N’en sçais tu rien ? N’as-tu point ouy parler de ceste grande occision de poulies ?
Bon-homme. Non.
Guillaume. Je t’en veux dire quelque chose.
Bon-homme. Les choses nouvelles plaisent fort aux vieilles gens comme moy.
Guillaume. J’estois, il y a un jour ou deux, derrière deux laquais, dont l’un revenoit 9 10 de Soissons, l’autre de Bretagne. Pour la longue cognoissance qu’ils avoient l’un de l’autre, furent fort aises de se voir ; tous deux, de plain accord pour apprendre l’un de l’autre des nouvelles de leur voyage, entrèrent en une taverne, comme c’est l’ordinaire de telles gens. Moy les suit, car, ne pouvant vivre de mes papiers, je hante volontiers en ces lieux, ou par fois l’un me presente à boire, l’autre à manger. Je m’assis à mesme table qu’eux, et les oy volontiers discourir. L’un apprend à l’autre ce qu’il a apprins des affaires de Bretaigne, et l’autre luy conte ce qui s’estoit passé à Soissons et aux environs. Entr’autres choses j’oüy un traict qui fera rire, Bon-homme, les vieilles bestes comme toy et moy. Celuy donc qui revenoit de Soissons disoit à l’autre qu’il avoit logé en un certain village qui estoit le quartier de quelque gendarmerie de nouveau enroollée. Il trouve en un certain logis trois soldats qui faisoient une chère desespérée aux despens des pauvres paysans et manans, ce qui, disoit-il, me faisoit grand mal au cœur, car je n’avois qu’un quart d’escu pour venir de Soissons à Paris ; voylà pourquoy alors je ne mangeois que du pain à la fumée de leur souper, sans que ces vieux gourmands eussent le courage de me faire par charité estre de leur esquot (voy, Bon-homme, quelle gourmandise, je te prie ; tu en devrois pleurer à chaudes larmes aussi bien que moy, qui ne mange le plus souvent que du pain, encore mon demy saoul). Ils avoient en un grand chaudron, pour trois qu’ils estoient, 35 poulles à l’estuvée, sans compter le cocq, qu’ils faisoient rostir ; a-t-on jamais ouy parler de telle vie de soldats ? Je ne sçay quels diables de ventres ils avoient ; le plus fort poullailler eust bien esté chargé de porter un pannier plein de telles poulles grasses comme etoient celles-cy. Je vous laisse à penser combien de beurre et d’ceufs et de poivre il fallut pour assaisonner telle fricassée de goulus, sans faire compte de vin qui fut tiré pour arroser leurs grands gosiers pavez et laver leurs trippes et boyaux de soixante et dix neuf aulnes de vuide. Il falloit, helas ! quelle pitié ! porter le chauderon à quatre, tant il estoit pesant ! Je te laisse à penser si les Suisses en leur Suisserie en peuvent faire davantage. Le capitaine ou colonel à qui apartenoient ces trois poullaillers soldats fut adverty de telle drollerie, et luy mesme le voulut voir, qui, ne prenant garde aux larmes des quelques paysans despoullaillez, se prit à rire et en tint ses discours partout où il alloit. Je te laisse à enser, mon Bon-homme,uel ravae eût fait lauerre si elle se fût allumée à bon
escient ! Dieu a eu compassion de telles cruautez, et pource nous a redonné la paix, que nous devons à jamais conserver, en le priant d’accroistre la bonne fortune des François et destourner de la France tout ce suject et occasion de guerre et émotion civile.
Bon-homme. Ainsi soit-il.
e 1. On savoit bien que MGuillaume étoit un bouffon à gages (V. t. VI, p. 129), que, de plus, il vendoit lui-même sur le Pont-Neuf lesPasquilspubliés sons son nom (L’Estoile, édit. Michaud, t. II, p. 405) ; mais on ignoroit qu’à ces métiers il joignît celui de quémandeur chez les seigneurs, et qu’il fît en cela concurrence au comte de Permission (V. t. VIII, p. 81–83).
2. Cela fait allusion aux pasquils qui se publioient sous le nom deJacques Bonhomme, considéré toujours comme la personnification du peuple souffreteux. (V. t. VI,p. 53, note.) En cette année 1614, et au sujet des troubles dont il est parlé ici, on avoit justement vu paroître une pièce de ce genre. Jacques Bonhomme y étoit donné comme un paysan des campagnes qui avoient eu alors le plus à souffrir. Voici le titre de ce petit livret, qui est rare :Lettre de Jacques Bonhomme, paysan de Beauvoisis, à Mgrs les princes retirés de la cour. Paris, Jean Brunet, 1614, in-8.
e 3. Il falloit toutefois que MGuillaume fît en un jour grand débit de ses pasquils pour arriver à gagner une pistole, car il ne les vendoit pas cher. « J’ay, dit L’Estoille (mardy 16 sept. 1606), baillé ce jour à maistre Guillaume, de cinq bouffonneries de sa façon, qu’il portoit et distribuoit luy-mesme, cinq sols ; qui ne valent pas cinq deniers, mais qui m’ont fait plus rire que dix sols ne valent. »
4. Sur ce genre d’étoffe, dont on faisoit les habits des pauvres gens, V. t. VII, p. 99.
5. C’est-à-dire qui radote.
6. Le 15 mai 1614, la paix avoit été faite entre le roi et les princes par le traité de Sainte-Menehould.
7. Pourgoujartsougoujats, valets d’armée.
8. Nous avons déjà dit que c’est la Picardie, où s’étoient portées les troupes des princes mécontents, qui avoit le plus souffert.
9. C’est là qu’au mois d’avril les chefs s’étoient rassemblés pour entendre les propositions de paix qui leur étoient faites de la part de la cour. Les soldats cependant ravageoient la campagne et vivoient sur le bonhomme, qui, dévoré par l’un et l’autre parti, ne savoit pas lequel des deux étoit son plus cruel ennemi.
10. M. de Vendôme, qui commandoit dans cette province, avoit été le seul qui n’eût pas souscrit au traité de Sainte-Menehould, sans doute pour se venger des quelques jours de prison qu’on lui avoit fait subir au Louvre, à la première nouvelle des troubles. Il fallut un voyage du roi de ce côté pour que la paix s’y rétablît.
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