Correspondance 2e série. 1850−1854.
Flaubert, GustaveCorrespondance 2e série. 1850−1854.
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1Correspondance 2e série. 1850−1854.
1853 T 3
à LA MêME.
(Croisset) Samedi, 3 h (15 janvier 1853).
J'ai passé un commencement de semaine affreux, mais
depuis jeudi je vais mieux. J'ai encore six à huit pages pour
être arrivé à un point, après quoi je t'irai voir. Je pense que
ce sera dans une quinzaine. Bouilhet, je crois, viendra avec
moi.
S'il ne t'écrit pas plus souvent, c'est qu'il n'a rien à te dire
ou qu'il n'a pas le temps. Sais−tu, le pauvre diable, qu'il est
occupé huit heures par jour à ses leçons ? (...).
J'ai été cinq jours à faire une page , la semaine dernière, et
j'avais tout laissé pour cela, grec, anglais ; je ne faisais que
cela. Ce qui me tourmente dans mon livre, c'est l'élément
amusant , qui y est médiocre. Les faits manquent. Moi je
soutiens que les idées sont des faits. Il est plus difficile
d'intéresser avec, je le sais, mais alors c'est la faute du style.
J'ai ainsi maintenant cinquante pages d'affilée où il n'y a pas
un événement. C'est un tableau continu d'une vie bourgeoise
et d'un amour inactif ; amour d'autant plus difficile à peindre
1853 T 3 2Correspondance 2e série. 1850−1854.
qu'il est à la fois timide et profond, mais hélas ! sans
échevellements internes, parce que mon monsieur est d'une
nature tempérée. J'ai déjà eu dans la première partie quelque
chose d'analogue : mon mari aime sa femme un peu de la
même manière que mon amant. Ce sont deux médiocrités
dans le même milieu et qu'il faut différencier pourtant. Si
c'est réussi, ce sera, je crois, très fort, car c'est peindre
couleur sur couleur et sans tons tranchés, ce qui est peu aisé.
Mais j'ai peur que toutes ces subtilités ennuient et que le
lecteur aime autant voir plus de mouvement.
Enfin il faut faire comme on a conçu. Si je voulais mettre
là dedans de l'action, j'agirais en vertu d'un système et
gâterais tout. Il faut chanter dans sa voix ; or la mienne ne
sera jamais dramatique ni attachante. Je suis convaincu
d'ailleurs que tout est affaire de style, ou plutôt de tournure,
d'aspect.
Nouvelle : le jeune du Camp est officier de la Légion
d'honneur ! Comme ça doit lui faire plaisir !
Quand il se compare à moi et considère le chemin qu'il a
fait depuis qu'il m'a quitté, il est certain qu'il doit me trouver
bien loin de lui en arrière et qu'il a fait de la route
(extérieure). Tu le verras à quelque jour attraper une place et
laisser là cette bonne littérature. Tout se confond dans sa
tête : femmes, croix, art, bottes, tout cela tourbillonne au
même niveau et, pourvu que ça le pousse , c'est l'important.
1853 T 3 3Correspondance 2e série. 1850−1854.
Admirable époque (curieux symbolismes, comme dirait le
père Michelet) que celle où l'on décore les photographes et
où l'on exile les poètes (vois−tu la quantité de bons tableaux
qu'il faudrait avoir faits avant d'arriver à cette croix
d'officier ? ). De tous les gens de lettres décorés, il n'y (en) a
qu'un seul de commandeur, c'est M Scribe ! Quelle immense
ironie que tout cela ! Et comme les honneurs foisonnent
quand l'honneur manque ! Adieu, ma pauvre chère vieille
féroce ! Tout à toi.
à LA MêME.
Entièrement inédite. Dimanche, 2 h (23 janvier 1853).
Pourquoi, chère Muse, m'as−tu de suite renvoyé la
Paysanne sans y avoir fait les dernières corrections ? Je ne
me plains pas de tout le temps que j'y ai passé, mais tu m'as
fait te répéter plusieurs fois les mêmes choses, auxquelles il
eût été plus simple de remédier dès l'abord.
Quoi qu'il en soit, ton oeuvre est bonne. Je l'ai lue à ma
mère qui en a été tout attendrie.
à l'avenir seulement ne choisis plus ce mètre.
C'est peut−être un goût particulier, mais je le trouve peu
musical, de soi−même. Tout ce que j'en pense de bien je te
l'ai déjà dit et te le redirai. C'est parfaitement composé,
1853 T 3 4Correspondance 2e série. 1850−1854.
simple et poétique à la fois, deux qualités presque
contradictoires ; il y a là dedans un grand fond.
Quantité de vers naïfs et une inspiration soutenue d'un
bout à l'autre. Où est la force, c'est d'avoir tiré d'un sujet
commun une histoire touchante et pas canaille .
Seulement, pour l'amour de Dieu, ou plutôt pour l'amour
de l'Art, fais encore attention et change moi quelqu'un de ces
passages, les seuls auxquels je trouve à redire (voir mes avis
précédents) : I Plombait, qui j'en suis sûr est mauvais ; 2 La
douleur est d'airaim ; 3 Les fers qui s'attachent à des ailes,
au milieu des ruines de l'âme. Le passage peut du reste se
passer de ces quatre vers et s'arrêter à Perdue en toi
commence à se tarir ; 4 Enfin, et surtout le Christ qu'il faut
retrancher. Cela donne un caractère couillon,
néo−catholique, à ton oeuvre, et abîme tes parfums .
Pas de Christ, pas de religion, pas de patrie ; soyons
humains. Et puis c'est peut−être le seul endroit de ton
oeuvre qui choquera . Je sais bien qu'il y a âme du pauvre ,
mais le lecteur n'y verra pas moins que le Christ doit
recueillir surtout les âmes des filles qui font des enfants. Le
reste passera.
5 de tes grands feux de branches d'olivier.
1853 T 3 5Correspondance 2e série. 1850−1854.
Quant à vouloir publier ce conte comme étant d'un
homme, c'est impossible puisque, à deux places, parlant des
femmes, tu dis nous . Passages très bons, très à leur place et
auxquels il ne faut rien changer. Publie donc cela
franchement et avec ton nom, puisque c'est de beaucoup ta
meilleure oeuvre. Quant à la Revue des Deux−Mondes , à
part l'avantage immédiat d'être lu, je n'en vois pas d'autre,
n'ayant pas, en réserve, d'autres publications qui puissent
suivre celle−là de suite.
au reste, peu importe ; publie−le séparément après qu'il
sera paru dans un journal, et je serais fort étonné si ce conte
n'avait un grand succès.
On en fera des illustrations, ça deviendra populaire, tu
verras. C'est bon, et ça restera. C'est pourquoi, je t'en supplie
encore une fois, enlève les quelques taches qui subsistent
afin qu'on n'ait rien à y reprendre .
à la fin de la semaine prochaine je serai avec toi. Ma
prochaine lettre, chère amie, te dira le jour précis de mon
arrivée. Bouilhet, je pense, viendra avec moi. Je ne l'ai pas
vu aujourd'hui et je l'attends en ce moment. Je ne clorai ma
lettre qu'après que nous aurons relu ensemble ton manuscrit
et te dirai ses dernières observations, si elles sont différentes
des miennes.
1853 T 3 6Correspondance 2e série. 1850−1854.
Au commencement, au lieu de pointaient, perçaient , et à
squelette tu peux mettre saillit .
Machinal et machinalement, près l'un de l'autre.
Le vieux château baigné dans le soleil Illuminant ses deux
tours dans la mer Voilà. Ma prochaine lettre sera plus
longue.
Adieu, pauvre chère Muse aimée, je t'embrasse partout. à
toi.
Ton G.
P.−S. Bouilhet est au contraire d'avis que tu dois faire
tout ton possible pour rentrer à la Revue des Deux−Mondes .
Quant à signer d'un nom d'homme, c'est impossible à cause
du motif ci−dessus.
Mais tu peux en trouver un de femme, ou hermaphrodite,
ce qui vaudrait mieux. Nous allons (sic) chercher l'épigraphe
et, comme Lawrence, nous n'avons trouvé aucune épigraphe.
Bouilhet t'en cherchera et te l'enverra, s'il en trouve.
à LA MêME.
Entièrement inédite. Lundi, I h de nuit (25 janvier 1853).
1853 T 3 7Correspondance 2e série. 1850−1854.
Bouilhet venait d'emporter ce matin ta Paysanne pour la
mettre au chemin de fer, quand ton mot est venu. Il part tous
les lundis à 9 h 1 sur 2 et la poste n'arrive jamais avant 10.
Ainsi toutes les fois que tu veux me charger d'une
commission pour le lundi, c'est le dimanche qu'il faut que je
reçoive ta lettre.
Enfin ! tu t'es décidée pour tablier ! Ce qui me semble
drôle, c'est que tu aies eu besoin de preuves. Je te défie de
prononcer ce mot en deux syllabes. Sois sûre, pauvre chérie,
que nos autres remarques sont aussi fondées et que tu
reviendras tôt ou tard sur les deux ou trois contre lesquelles
tu restes achoppée, «si l'on peut s'exprimer ainsi».
1 Bon.
2 J'efface «et lui comptant» et je rétablis comme
précédemment, qui est infiniment mieux.
Troussé n'est que le mot à peu près ; c'est étroussé le vrai.
Mais la quantité de le qu'il y a dans ces trois vers est
insoutenable : le but riant c'était le gai château.
le cuisinier ; en voilà déjà bien assez !
Tâche donc de mettre... bras nus sur ses hanches et tablier
(troussé ? ) sous son couteau, sans article autant que
possible ; mais, tel que c'est, cela fait une quantité de petits
1853 T 3 8Correspondance 2e série. 1850−1854.
sujets qui empiètent sur ton principal. Le tablier, les bras
nus, le cuisinier, tout cela a autant de place l'un que l'autre.
Il y a aussi un vers bien dur : On laisse à peine à la veuve
un grabat, que je voudrais voir changé.
Nous avons lu ensemble tout. Console−toi, c'est bon ;
encore un dernier effort.
J'arriverai à la fin de la semaine prochaine, le samedi 5.
Comme Bouilhet a des congés il en profitera. Son intention
est de passer dimanche, lundi et mardi gras à Paris. Il faut
qu'il soit de retour le mercredi des Cendres. Ainsi, pauvre
amie, dans 12 jours.
Travaille bien ton Acropole . Connaissant tes allures, je ne
serais pas surpris quand il y en aurait beaucoup de fait ; mais
ne te dépêche pas. Tu vas toujours trop vite et puis, quel
besoin de re−travailler maintenant à ta comédie, quand les
dernières corrections de la Paysanne ne sont pas finies et
quand il ne faut pas perdre une minute à cause du prix !
C'est comme Bouilhet qui, au lieu de faire son drame, fait
tout autre chose ! Oh les poètes !
Adieu, bonne chère muse, je t'embrasse bien fort, à
bientôt.
Ton G.
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