L eidolon à la Renaissance : l exil de soi - article ; n°1 ; vol.43, pg 25-44
21 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

L'eidolon à la Renaissance : l'exil de soi - article ; n°1 ; vol.43, pg 25-44

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
21 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1991 - Volume 43 - Numéro 1 - Pages 25-44
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1991
Nombre de lectures 30
Langue Français

Extrait

Monsieur Michel Simonin
L'eidolon à la Renaissance : l'exil de soi
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1991, N°43. pp. 25-44.
Citer ce document / Cite this document :
Simonin Michel. L'eidolon à la Renaissance : l'exil de soi. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises,
1991, N°43. pp. 25-44.
doi : 10.3406/caief.1991.1751
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1991_num_43_1_1751RONSARD ET L'EXIL DE L'AME
Communication de M. Michel SIMONIN
(Tours)
au XLIIe Congrès de l'Association, le 23 juillet 1990
II est une littérature de l'exil induite par les institutions
politiques, les particularités biographiques de chacun, et
l'innutrition. On ne saurait à la Renaissance s'en tenir à
cette seule conception juridique ou culturelle. L'applica
tion de la peine est rare; elle ne paraît pas avoir jamais
alors été appliquée à des écrivains notoires ou qui le
seraient devenus à la faveur de cet accident, exception
faite de Marot. Les exilés, plus nombreux, du temps de
la Ligue et de ses lendemains emploient leurs loisirs à
toute autre chose qu'à cultiver une vocation ovidienne.
Force est donc de s'arrêter aux exils consentis ou mé
taphoriques, comme celui qui donne naissance aux Reg
rets, et surtout - comment ne pas y songer ? - à la figure
platonicienne, néoplatonicienne et chrétienne, de l'exil
de l'âme dans le corps. Quoique indépendantes, les deux
traditions entretiennent des liens étroits, et s'éclairent
l'une l'autre. Nous suivrons, au travers de l'œuvre de
Ronsard, le chemin de cette structure de l'imaginaire,
qui est aussi donnée immédiate de la conscience du poète,
nécessaire et profuse. Elle seule nous paraît rendre compte
de particularités de sa création qui n'ont été, jusqu'ici,
considérées qu'isolément, lorsqu'elles l'ont été, comme 26 MICHEL SIMONIN
autant d'aspects. Et si ce chemin, à l'heure où la critique
redécouvre les Œuvres qu'avaient voulues le Vendômois,
nous conduisait à apercevoir une unité d'ensemble?
LE VAISSEAU DE BOUE
L'âme est ensevelie dans un vaisseau de boue. Il n'est
pas nécessaire d'insister sur la vogue de cette idée chré
tienne, des mystiques allemands à sainte Thérèse d'Avila.
Chez Ronsard, elle s'exprime très tôt dans cette ode à
Michel de L'Hospital, publiée en 1552 au Cinquiesme
Livre des Odes, où Richelet voyait «un chef d 'œuvre de
poésie». Calliope s'adresse à son père, en un discours
inspiré de la Théogonie d'Hésiode :
Fay, que les vertueux miracles
Des vers médecins enchantez
Soyent à nous, et que les Oracles
Par nous encore soyent chantez
Donne nous ceste double grace
De fouler l'Enfer odieux,
Et de sçavoir la courbe trace
Des feux qui dancent par les cieux :
Donne nous encor la puissance
D'arracher les âmes dehors
Le salle bourbier de leur corps,
Pour les rejoindre à naissance. (1)
A quoi Jupiter répondra, un peu plus tard :
Desilléz moy l'ame assoupie
En ce gros fardeau vicieux. (2)
Richelet commente l'expression D'arracher les âmes : « De
(1) Lm. III, 139. Toutes nos références renvoient à l'édition chronologique
de Paul Laumonier publiée par la S.T.F.M.
(2) Lm. III, 147. RONSARD ET L'EXIL DE L'AME 27
les ravir et emporter en des extases, et de la terre les tirer
au ciel. » Ronsard revient sur son propos dans une élégie
qui, avant de trouver place dans le Second Livre des
Meslanges, se lisait déjà, en forme de pièce liminaire, en
tête de la Traduction de la 3e decade de Tite-Live par
Jean Amelin — un parent d'Etienne de La Boétie — ,
publiée quelques mois plus tôt :
Ainsi nostre ame sort quand nostre corps repose,
Comme d'une prison, où elle estoit enclose,
Et en se promenant et jouant par les Cieux,
Son païs naturel, devise avec les Dieux :
Puis ayant bien mangé de la saincte ambrosie
Redevalle en son corps pour le remettre en vie,
Qui pasmé sommeilloit, et qui soudain mourroit
Si l'âme à retourner trop longtemps demouroit. (3)
Cette élégie retrouvera, dans l'édition collective de 1567,
son titre original, L'Excellence de l'esprit de l'homme.
Or, quelques mois avant que Ronsard ne loue Amelin,
courant 1558, le Bref Discours de l'Excellence et Dignité
de l'homme de Pierre Boaistuau avait vu le jour. Nourrie
de la riche tradition de la dignitas hominis, qu'il compile
à l'envi mais aussi qu'il met en français pour la première
fois le plus souvent, ce court traité s'arrête déjà à la
question du vol de l'âme hors de notre corps durant
notre vie. Si nous n'excluons pas que Ronsard, comme
Га affirmé Henri Busson (4), se soit souvenu du XIIIe
chapitre du De animarum immortalitate de Ficin et du
livre homologue de Jérôme Cardan — le livre se trouvait
dans la bibliothèque du poète (5) — , il nous semble qu'il
connaît plus certainement la tradition dont Boaistuau
s'est fait l'écho fidèle. Ainsi a-t-il pu lire dans le Bref
(3) Lm. X, 103.
(4) « La philosophie de Ronsard » dans la Revue des Cours et Conférences,
1929-1930, p. 182 et suiv.
(5) Voir la note de Paul Laumonier dans la Revue du seizième siècle, t.
XIV, 1927, p. 324. 28 MICHEL SIMONIN
Discours que «l'ame estant au corps, il est eschauffé, et
quand elle est hors, il est refroidy » (6) (p. 40) ; il n'ignore
pas en outre les voyages de l'âme au cours de notre
existence terrestre: «(...)nous avons leu aux histoires de
Clazomène et d'Aristée lesquels sortoient souvent hors
de leurs corps et alloient çà et là : puis estans retournées
racomptoient choses incredibles, lesquelles par après tou-
tesfois on experimentoit estre véritables. Comme un Cor
nelius prestre estant à Padouë durant la guerre de Cesar
et Pompée fut tellement ravi, qu'il comptoit mieux tout
Tordre de la bataille que ceux qui y estoient presens.
Apolonius semblablement estant en Ephese, voyoit et
disoit ce qui advint à Néro dans Rome. Socrates s'est
trouvé ravy communiquant avec son esprit, sans veoir
ny congnoistre ce qui se faisoit près de luy. Platon sem
blablement entroit tous les jours en Extase certaine heure \
du jour, auquel à la fin il mourut. » (p. 47) Boaistuau
suit la Théologie platonicienne, ou plus exactement Co-
tereau — dont Le Caron fera l'interlocuteur de Rabelais
dans ses Dialogues — dans la préface à sa traduction de
Columelle où il traduit et récrit Ficin.
Ainsi, au cœur du sommeil, l'âme fîcinienne est-elle
sujette à escapades. Ce n'est pas l'avis de Ronsard, ou du
moins, la sienne ignore à l'ordinaire ce moyen de
connaissance :
Quand je dors, je ne sens rien,
Je ne sens ne mal, ne bien,
Je ne sçaurois rien cognoistre,
Je ne sçay ce que je suis,
Ce que je fus, et ne puis
Sçavoir ce que je dois estre. (7).
L'anaphore des tournures négatives exprime bien un refus,
(6) Nous renvoyons au texte et aux notes de notre édition critique (Genève,
Droz, T.L.F., 1983).
(7) Cohen, I, p. 526 RONSARD ET L'EXIL DE L'AME 29
celui de la tradition que nous citions plus haut. Il est
vain d'expliquer pareille attitude, réaffirmée tout au long
de l'œuvre et jusque dans les dernières productions, par
d'oiseuses considérations biographiques — Ronsard souff
rait d'insomnies : tout comme la surdité, l'insomnie est une
figure riche de potentialités poétiques, exprimée et ex
ploitée comme telle. Si le Vendômois adresse une pièce
votive au somme (8), c'est bien qu'il représente pour lui
autre chose que le repos espéré après un trop grand
travail :
Somme, le repos du monde,
Si d'un pavot plein de l'onde
Du grand fleuve oblivieux
Tu veux arrouser mes yeux,
Tellement que je reçoive
Ton doux present, qui déçoive
Le long séjour de la nuit,
Qui trop lente pour moy fuit...
A la vérité, le sommeil est appelé par celui que l'on voit
«(...)au matin encore/ Parmy le lict travailler,/ Et depuis
le soir veiller». Qu'est-ce à dire, sinon que le dormir est
requis par celui qui souffre, non d'insomnies, mais de

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents