L expérience du temps dans l œuvre d André Chénier - article ; n°1 ; vol.42, pg 245-263
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1990 - Volume 42 - Numéro 1 - Pages 245-263
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 42
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M Jean-Luc Steinmetz
L'expérience du temps dans l'œuvre d'André Chénier
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1990, N°42. pp. 245-263.
Citer ce document / Cite this document :
Steinmetz Jean-Luc. L'expérience du temps dans l'œuvre d'André Chénier. In: Cahiers de l'Association internationale des
études francaises, 1990, N°42. pp. 245-263.
doi : 10.3406/caief.1990.1742
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1990_num_42_1_1742L'EXPÉRIENCE DU TEMPS
DANS L'ŒUVRE
D'ANDRÉ CHÉNIER
Communication de M. Jean-Luc STEINMETZ
(Nantes)
au XLP Congrès de l'Association, le 26 juillet 1989
La réalité de lecture par laquelle l'œuvre de Chénier
s'impose à nous fait connaître une certaine expérience du
temps — temps de l'inspiration poétique, heures intimes
de l'écrivain, temps reconstitué par lui dans ses poèmes
(selon la loi de genres particuliers), en dernier lieu temps
de l'œuvre posthume en ses partitions de mots et de
silence. Notre étude se servira moins des éléments gram
maticaux que des sensations ontologiques révélées par les
textes. Il s'agit ici de percevoir le temps humain d'un
poète à travers les formes qu'il adopta et les textes qu'il a
constitués.
A maintes reprises, la poésie de Chénier célèbre le
phénomène de l'inspiration. Moment quasi physiologique,
consciemment mis en rapport avec la notion d'enthou
siasme, chère aux Anciens. Ce n'est point cependant un
dieu qui vient dans la poitrine du chanteur, et les
références qu'il se donne ne supposent chez lui aucune
croyance en quelque intervention surnaturelle. D'ores et
déjà, néanmoins, il sait conférer aux divinités antiques, JEAN-LUC STEINMETZ 246
Apollon, les Muses une vérité non plus mythologique
mais mythique. L'instant de la poésie est bien déterminé.
Il intervient dans l'écoulement du temps, comme une
marque de feu, une éruption. La rapidité, l'imprévu le
caractérisent. « C'est ainsi que Minerve, en un instant
formée » (1), note Chénier pour expliquer la venue du
poème qui pourrait dès lors faire songer à un quasi-
automatisme.
Un langage imprévu, dans son âme produit,
Naît avec sa pensée, et l'embrasse et la suit. (2)
L'immédiateté de la parole poétique vient d'un lieu,
l'âme, et non point de l'intelligence calculatrice. Le cœur
est poète, est-il assuré, selon une espèce de transparence
qui « produit les vers » sans les fabriquer. Le cœur, dans
une certaine mesure, devance la forgerie du texte. Dans
l'intervalle qui sépare l'irruption des vers de leur rigou
reuse composition une dégradation risque de se produire,
mettant à distance l'immédiat, la vérité de la poésie et
constituant, après coup, une poésie reliquat, cause parfois
pour celui qui la voulait originelle de déception et
d'amertume. Dans une épître à Bailly (3), Chénier distin
gue fort bien ces phases de la création : celle de la fureur,
le furor des Anciens (encore rappelé par Breton dans le
Second Manifeste du surréalisme (4)) où s'exprime le cœur,
où l'émotion parle, temps d'ardeur, de feu où « les vers
tumultueux » roulent « en désordre » de la « bouche
éloquente », moment où l'être abusé par sa facilité
(1) Ces notes renvoient à l'édition en trois volumes des Œuvres complètes
d'André Chénier publiées par P. Dimoff, Pans, Delagrave, 1966. II, p. 10
(L'Invention).
(2) H, p 9
(3) III, p 190 {Epître à Bailly)
(4) A Breton, Second Manifeste du surréalisme (1930), nouv éd , Gallimard
1969, p 136 « Tout ce que je salue est le retour de ce furor duquel Agrippa
distinguait vainement ou non quatre espèces. Avec le surréalisme, c'est bien
uniquement à ce furor que nous avons affaire. » L'EXPÉRIENCE DU TEMPS DANS L'ŒUVRE D'ANDRÉ CHÉNIER 247
« s'écoute chanter, se récite, se plaît », et le temps de
relecture de ces premiers vers, période révélatrice où l'on
peut mesurer tout ce qui sépare le projet de sa réalisation.
Chénier — me semble-t-il — sera la perpétuelle victime
d'une conception toute sensuelle de l'inspiration. D'un
côté, il croit à la flamme poétique qui bouleverse
l'homme inspiré; de l'autre, sa théorie de l'invention
imitatrice le condamne à se dégager de l'immédiateté, à
recomposer une poésie, dès lors deux fois née, comme les
Anciens surnommaient Bacchus. La confiance qu'il manif
este envers le premier jet nous a sans doute valu
l'inachèvement de son œuvre. Il paraît, en effet, ne vouloir
recueillir que ce qui du cœur, de la voix jaillit, selon
l'automatisme de l'enthousiasme. En disciple d'Écou-
chard-Lebrun, mais en disciple qui ne ferait plus de
l'inspiration un motif obligé pour rivaliser avec Pindare, il
croit au tumulte des vers, à leur aspect torrentueux de
laves en fusion. Il suffit de le lire pour s'apercevoir que,
loin de traiter un thème connu, il semble retranscrire un
processus physiologique où, avec quelque audace, on
pourrait deviner aussi les élans d'une jeune sexualité. Sa
poésie se confond parfois aussi avec quelque illumination ;
elle rayonne dans le présent, soulève d'un séisme le corps,
provoque des « extases choisies », des sortes d'échappées
hors du temps — celles-ci permettant dès lors la venue
de la sensation dans le texte. Le présent de la création
n'est pas, ici, attention portée aux choses externes, ni
même au sujet du poème ; il est survenue, soudaineté :
Muse, Muse nocturne, apporte-moi ma lyre.
Comme un fier météore, en ton brûlant délire,
Lance-toi dans l'espace [...]. (5)
Dans ce beau passage de L'Amérique, l'instant poétique
prend une force cosmique; l'élévation n'est point seule-
(5) H, p. 106 (L'Amérique). JEAN-LUC STEINMETZ 248
ment métaphore. Quittant l'ici-bas, le poète est projeté
dans un temps sidéral. Cette soudaineté correspond à
l'énergie de l'émotion envahissant le corps :
La sainte poésie et m'échauffe et m'entraîne
Et ma pensée, ardente à quelque grand dessein,
En vers tumultueux bouillonne dans mon sein (6).
Presque toujours, le Je est dominé par une force qu'il
ne lui reste plus qu'à reconnaître, comme une loi. La
poésie agit sur le moi, le transforme, rend la pensée fluide
et fusible. De là l'image admirable du poète fondeur (7)
faisant couler dans mille canaux divers le métal de la
matière poétique. Le présent originel de la poésie corre
spond donc à un moment où cèdent les résistances de la
pensée rigide, minérale ; l'âme s'abandonne aux « trans
ports ». Instant irrésistible. En proie à l'inspiration, le
poète quitte la société, s'enferme dans une retraite et,
« sous le Dieu qui le vient oppresser. Seul [...] s'interroge
et s'écoute penser» (8). Formée des transports de l'âme
qui, désormais, quitte son aire habituelle et s'élève,
extatique, la poésie n'est donc pas affaire de contrainte.
Le constant polissage réclamé par Boileau est négligé par
Chénier, génie du feu poétique « enivré de ses jeunes
fureurs ». La période de travail, de composition, il la sait
nécessaire; il lui arrive de la conseiller, mais on ne peut
s'empêcher de penser qu'elle est bien étrangère à son
désir. Amateur du présent ou spéculateur d'infinies rêve
ries, Chénier ne semble guère supporter les heures passées
sur une besogne. Il répugne à un usage usuel du temps où
l'écriture ouvrière façonnerait patiemment ce que souve
rainement livre une pure émotion.
Sa paresse (qui le rapproche d'un de ses maîtres, La
Fontaine) explique on ne peut mieux les heurts et
(6) III, p. 16 (Voyage en Italie).
(7) III, p. 205.
(8) II, p. 39 (Hermès). L'EXPÉRIENCE DU TEMPS DANS L'ŒUVRE D'ANDRÉ CHÉNIER 249
malheurs

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