La caverne de Cleveland - article ; n°1 ; vol.46, pg 297-311
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1994 - Volume 46 - Numéro 1 - Pages 297-311
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 43
Langue Français

Extrait

Aurelio Principato
La caverne de Cleveland
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1994, N°46. pp. 297-311.
Citer ce document / Cite this document :
Principato Aurelio. La caverne de Cleveland. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1994, N°46. pp.
297-311.
doi : 10.3406/caief.1994.1849
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1994_num_46_1_1849LA CAVERNE DE CLEVELAND
Communication de M. Aurelio PRINCIPATO
(Université de Palerme)
au XLVe Congrès de l'Association, le 22 juillet 1993
Cet exposé naît d'une réflexion sur le sens de l'espace
intérieur dans les romans de Prévost, à partir d'un texte
qui m'a semblé particulièrement riche en suggestions.
Les récits de Prévost, comme d'ailleurs tous les romans
qui précèdent La Nouvelle Héloïse, passent en effet
pour des textes pauvres en descriptions, si on les comp
are à l'abondance de détails qui caractérise le réalisme
du siècle suivant.
Dans un intéressant article paru il y a déjà vingt-cinq
ans, Rémy Saisselin définissait comme «cartésien» ce
roman où la chambre est le théâtre des passions, un
second lieu intérieur après celui de l'esprit humain (1);
et j'ajouterais, que l'action, la parole et la pensée des
personnages donnent l'impression d'occuper toute la
scène, et que les décors intérieurs sont le plus souvent
des éléments tout à fait accessoires, remplissables à
loisir par notre imagination comme l'étaient pour le
peintre-décorateur les fonds de scène de la dramaturgie
classique. Même dans YHistoire du chevalier des Grieux,
(1) «Room at the Top of the Eighteenth Century: From Sin to Aesthetic
Pleasure», The Journal of Aesthetics, Spring 1968, p. 345-350. 298 AURELIO PRINCIP ATO
à côté d'une remarquable précision des lieux, nous ne
savons que peu de choses sur la configuration de l'espace
raconté, et nous sommes constamment renvoyés au sa
voir ou à l'imaginaire des lecteurs de l'époque.
Toutefois, si l'on y regarde de plus près, ces descrip
tions existent. Elles concernent aussi bien les intérieurs
que l'espace extérieur, et sont d'autant plus significatives
qu'elles s'écartent de l'indétermination dominante.
Dans les pages consacrées à Rumney-hole (2), l'alte
rnance entre action et réflexion, qui caractérise notam
ment Le Philosophe anglais, permet de distinguer des
passages dynamiques, destinés au « récit d'événements »
ou de «paroles», et des passages statiques («récit de
pensées», si l'on peut dire). Entre ces deux modes du
récit se situent les descriptions de la caverne, qui ap
partiennent au contexte des événements, mais qui sont
« statiques » par nature, en tant que descriptions.
Les descriptions de Rumney-hole, où s'épaissit tout
un réseau de relations analogiques véhiculées par de
multiples directions de lecture, sont au nombre de trois.
La première nous est offerte par cette figure de femme
protectrice qu'est Mme Riding, en aval de l'aventure
concernant Cleveland. Dans un premier temps, en effet,
la caverne a servi d'asile à Bridge, fils également d'une
maîtresse répudiée par Cromwell :
Ma maison de campagne, racontait Mme Riding, est dans
une situation extraordinaire. Elle est à l'extrémité de la pro-
(2) Le texte de référence est celui des Œuvres de Prévost sous la direction
de Jean Sgard, Presses Universitaires de Grenoble, 8 vol., 1977-1986, au
vol. II, Le Philosophe anglais ou Histoire de Monsieur Cleveland, pour les
citations qui ne sont pas suivies par l'indication du volume. LA CAVERNE DE CLEVELAND 299
vince de Devonshire, qui est séparée de celle de Sommerset
par des montagnes d'une extrême hauteur, dont la plupart
consistent en un vaste rocher qui paraît être tout d'une pièce.
Il y a néanmoins, dans le fond d'une petite vallée qui m'app
artient, diverses ouvertures qui donnent un accès souterrain
jusqu'au centre de quelques-unes de ces montagnes, de sorte
que le lieu étant d'ailleurs inhabité parce qu'il est stérile, il
serait difficile de trouver un endroit plus propre à servir
d'asile contre la violence et la persécution (II, p. 29).
Les deux traits saillants de cette première description
sont le caractère sauvage et en même temps protecteur
du site. Pour autant que Prévost exploite la wilderness
dont est connoté le paysage anglais, il ne faudrait pas
croire que ses personnages se soumettent à l'incommod
ité de la vie primitive. A l'intérieur de la caverne,
pour le confort de Bridge et de sa gouvernante, Mme
Riding fait apprêter un cabinet où «le nécessaire du
moins ne manquait pas » : litote bien conforme à l'éc
onomie de détails qui est normale dans les romans de
l'époque, mais qui ne sera pas respectée dans la suite
de l'épisode, comme nous le verrons.
Pour l'instant, la concision concernant l'intérieur
contraste avec la redondance qui marque la situation
naturelle de Rumney-hole. Cet aspect naturel, pourtant
illusoire, prendra encore plus de relief dans la seconde
description. Mais avant de nous occuper de celle-ci, il
faut rendre compte des autres connotations qui s'ajou
tent à la caverne depuis que Cleveland en occupe les
souterrains.
Le premier sentiment éprouvé par le héros lors de
son arrivée à Rumney-hole est une «espèce d'horreur»
(p. 33). Pourtant, au cours des pages suivantes, il est
amené à souligner le sentiment de protection que le
refuge naturel et la proximité heureuse de sa mère lui
inspirent. Le sens profond de cette retraite réside, pour
lui, dans la régression nostalgique au sein maternel.
Elisabeth Cleveland elle-même insiste assez, d'ailleurs, 300 AURELIO PRINCIPÁTŮ
sur cette pulsion à être dévoré par la terre («la terre
nous ouvre son sein» / «quand me Fouvrira-t-elle » /
«Elle nous a ouvert son sein», p. 33). Après la mort de
sa mère, le héros lui fait « ouvrir, dit-il, une fosse dans
la chambre même où nous faisions notre demeure, pour
continuer à vivre auprès d'elle, et à l'avoir, en quelque
sorte, pour témoin de toutes mes actions et de tous mes
sentiments» (p. 35).
La caverne est donc en même temps la chambre et le
tombeau, le lieu de la présence/ absence de la femme
aimée, tout à fait semblable en cela à différents lieux
de retraite des héros de Prévost. C'est à ce propos qu'il
convient de rappeler d'autres passages qui peuvent éclai
rer notre texte par analogie ou par différence, tirés des
autres grands romans publiés entre 1728 et 1740, les
Mémoires d'un homme de qualité et le Doyen de Kille-
rine. Ces trois ouvrages semblent marqués en effet par
une opposition fondamentale entre l'espace ouvert de
l'aventure et l'espace fermé où se réalisent, dans la pé
ripétie romanesque, la retraite et le repos, mais où se
concentre néanmoins le sentiment tragique à son degré
le plus intense (3).
Force est de penser d'abord à la retraite de Venisi,
où l'homme de qualité avait «résolu de [s] 'ensevelir
tout vivant», entouré des souvenirs de Selima, après
avoir bouché les fenêtres, couvert la pièce «d'un drap
noir», dressé enfin une sorte d'autel, orné de flambeaux
et du portrait «au naturel» de la défunte (I, p. 97). Une
scène semblable se répète, comme nous le savons, dans
la Suite des Mémoires..., lorsque Renoncour observe
cette fois-ci le jeune Rosemont en train de tirer d'une
malle les objets qui lui renouvellent la mémoire de
Nadine.
(3) Voir à ce propos mon étude : // raggio netta cripta. Ricerche su Prévost
romanziere, Pisa, Pacini editore, 1988, spécialement le ch.I. LA CAVERNE DE CLEVELAND 30 1
Mais l'autre exemple d'un intérieur bien décrit que
j'aimerais confronter ici est surtout la retraite de Patrice,
à la fin du Doyen de Killerine. Prévost y représente le
penchant dépressif au suicide qu'il abordait à la même
époque par l'épisode de Saumur du Cleveland. Dans
l'e

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