La lumière et les lumières - article ; n°1 ; vol.20, pg 167-177
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1968 - Volume 20 - Numéro 1 - Pages 167-177
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1968
Nombre de lectures 47
Langue Français

Extrait

Pr. Jacques ROGER
La lumière et les lumières
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1968, N°20. pp. 167-177.
Citer ce document / Cite this document :
ROGER Jacques. La lumière et les lumières. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1968, N°20. pp.
167-177.
doi : 10.3406/caief.1968.906
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1968_num_20_1_90614?
LA LUMIÈRE ET LES LUMIÈRES
Communication de M. Jacques ROGER
{Tours)
au XIXe Congrès de V Association, le 27 juillet 1967.
Il est aujourd'hui courant de parler en français des lu
mières pour désigner le xvnie siècle. Le célèbre ouvrage
d'Ernst Cassirer, enfin traduit, a reçu tout naturellement
pour titre La Philosophie des Lumières. Un livre récent de
M. René Pomeau s'intitule L'Europe des Lumières. Cet usage
admis désormais résulte certainement d'influences étran
gères, celle de Y Enlightenment anglais et surtout celle de VAuf-
klàrung allemande. Si l'on peut parler de « l'homme des lu
mières », c'est parce que l'Allemand parle de « der Aufklàrer »,
et Mme de Staël a été une « Aufklàrerin » avant d'être une
« femme des lumières ».
Or cet usage semble récent et la formule ne s'est fixée que
lentement, bien avant de s'imposer. C'est que l'image est
importante, et que l'emploi du pluriel ou du singulier n'y
est pas indifférent. Lorsque Taine définit le xvine siècle comme
« le siècle des lumières » — entre guillemets, comme une image
encore insolite, et qu'il accepte plutôt qu'il ne la propose — ,
c'est pour le définir aussitôt après comme un « âge de rai
son » de l'humanité (1). Le siècle des lumières devient ainsi
une étape, unique par son caractère comme par sa date,
(1) Origines de la France contemporaine, III, tome II, p. 2. 68 JACQUES ROGER 1
dans l'histoire de l'esprit humain. Au contraire, lorsque
d'Alembert oppose « les siècles de lumière » aux « siècles
d'ignorance » (2), il donne à l'image un contenu intellectuel
différent, et l'emploi inversé du pluriel et du singulier sup
pose une philosophie de l'histoire et une idée de la vérité
philosophique bien éloignées de la pensée tainienne. Il serait
donc intéressant de rechercher quel usage le xvine siècle lui-
même a fait de cette image. A défaut de cette étude systémat
ique, nous voudrions rassembler ici quelques textes et en
tirer quelques conclusions provisoires.
# # #
La consultation des dictionnaires montre que l'emploi
métaphorique du mot lumière est parfaitement banal à la fin
du xvne siècle. En laissant de côté une foule de sens qui ne
nous intéressent pas ici, disons que le mot, au pluriel, désigne
des connaissances, dont on indique la source dans des fo
rmules telles que « les lumières de la foi » ou « les lumières de
la raison » (Bossuet). Au singulier, il s'agit plutôt d'une puis
sance de connaître, dont l'homme dispose et doit correct
ement user. Théologiquement, on distingue la lumière de la
Révélation et la lumière naturelle. La première émane de
l'Écriture et permet de comprendre les desseins de Dieu sur
la nature et sur l'homme, à ceux du moins qu'illumine la
grâce de la foi. La seconde réside naturellement en l'homme,
sans que son origine soit moins divine pour autant. « L'en
tendement est la lumière que Dieu nous a donnée », écrit
Bossuet (3), fidèle en cela à Descartes, qui parle de « la fa
culté de connaître que Dieu nous a donnée, que nous appe
lons lumière naturelle » (4), mais fidèle en même temps à la
longue tradition des Pères de l'Église et des théologiens du
Moyen Age. Révélée ou naturelle, la lumière est toujours
émanation de l'Absolu, don gratuit de Dieu, dont les temps
et les modalités peuvent varier, fruit d'une grâce particulière
(2) Œuvres, III, p. 36.
(3) (3) Connaissance de Die\ Dieu et de soi-même, I, 7. " - - - - - - (4) Principes de la Philosophie, I, 30. 4) LA LUMIÈRE ET LES LUMIÈRES l6g
ou attaché à la nature humaine depuis le jour de la création,
mais dont la seule origine est et ne peut être que Dieu.
A la base de cette tradition chrétienne, il y a évidemment
le texte célèbre du Prologue de l'Évangile de saint Jean :
En lui [le Verbe] étoit la vie, et la vie étoit la lumière
des hommes.
Et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne
l'ont point comprise.
[. . .] C'était la vraie lumière, qui illumine tout homme venant
en ce monde (5).
Mais saint Augustin avait eu une particulière prédilection
pour cette image, et l'on n'est pas surpris de voir qu'elle re
çoit un traitement privilégié chez Malebranche, le plus augus-
tinien sans doute de tous les philosophes chrétiens de cette
époque si augustinienne. Sans entreprendre une analyse dé
taillée (6), disons seulement que Malebranche tend à con
fondre, sinon la nature, du moins le mouvement de la lu
mière révélée et de la lumière naturelle, qui n'est plus
« insita, sive inseminata », comme disait saint Augustin (7),
semence déposée en l'homme, mais émanation, effusion de
la lumière divine. « О Sagesse éternelle, s'écrie Malebranche,
je ne suis point ma lumière à moi-même [...] Faites-moi
voir la lumière en votre » (8). En outre, la dynamique
de l'image est si forte chez lui qu'elle commande une autre
image fondamentale, celle de la parole, réduite chez Male
branche à une parole délivrée, révélée, qui exclut toute idée
de dialogue ; contamination qui témoigne du caractère « cen
trifuge » de la lumière. Cette valeur de l'image n'est sans doute
pas nouvelle ; elle est même fondamentale. Mais elle reçoit
chez Malebranche un caractère si marqué qu'il est nécessaire
de le reeonnaître.
Il est frappant, par comparaison, de voir que Fontenelle
(5) Évangile selon saint Jean, ch. I, w. 4, 5 et 9. Traduction de Lemaistre
de Sacy. Les traductions modernes sont sensiblement différentes, pour
le début du v. 4 et surtout la fin du v. 9.
(6) Nous avons évoqué ce problème dans L'expression littéraire chez
Malebranche (in : Malebranche, l'homme et l'oeuvre, publié par le Centre
International de Synthèse, Paris, Vnn, 1967).
(7) De baptismo, I, 25.
(8) Méditations chrétiet hrétiennes, Prière liminaire. I7O JACQUES ROGER
parle beaucoup plus rarement de la lumière, mais le plus
souvent des lumières ; et, s'il lui arrive d'évoquer « les lu
mières naturelles de la raison» (9), il est évident que, pour lui,
les lumières sont surtout les connaissances acquises progres
sivement par l'humanité, cette humanité que Fontenelle,
après Pascal, compare à un homme, dont la jeunesse a su
ccombé à tous les prestiges de l'imagination, mais qui « est
maintenant dans l'âge de virilité, où il raisonne avec plus de
force et a plus de lumières que jamais » (10). Aujourd'hui,
on « a déjà l'esprit éclairé par ces mêmes découvertes que l'on
a devant les yeux » (11); les modernes sont « éclairés par les
vues des Anciens et par leurs fautes mêmes » (12). Les lu
mières sont le fruit de l'expérience ; elles s'accumulent, comme
nécessairement, dans la suite des siècles, et l'on comprend
pourquoi le mot n'apparaît guère en dehors des textes où
interviennent des préoccupations historiques. Mais ces lu
mières qui éclairent l'esprit ne le transforment pas, ne l'il
luminent pas. Pour désigner la révolution philosophique du
xviie siècle, dont l'importance est capitale à ses yeux, Font
enelle écrit que « la manière de raisonner s'est extrêmement
perfectionnée dans ce siècle » (13). Les grandes époques de la
culture occidentale, le d'Auguste et celui de Louis XIV,
sont pour lui « le temps où l'on a eu le plus d'esprit » (14). Le
mot de lumières ne vient pas alo

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