La néologie d André Gide - article ; n°1 ; vol.25, pg 77-90
15 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

La néologie d'André Gide - article ; n°1 ; vol.25, pg 77-90

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
15 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1973 - Volume 25 - Numéro 1 - Pages 77-90
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1973
Nombre de lectures 76
Langue Français

Extrait

Professeur Christian Angelet
La néologie d'André Gide
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1973, N°25. pp. 77-90.
Citer ce document / Cite this document :
Angelet Christian. La néologie d'André Gide. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1973, N°25. pp.
77-90.
doi : 10.3406/caief.1973.1024
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1973_num_25_1_1024NÉOLOGIE D'ANDRÉ GIDE LA
Communication de M. Christian ANGELET
{Louvain et Gand)
au XXIVe Congrès de l'Association, le 24 juillet 1972.
Toucher à un fait caractéristique du style d'un grand
écrivain, c'est toujours, d'une manière ou d'une autre,
s'engager dans le tout de ce style, c'est accepter d'exa
miner des aspects très divers de son œuvre. Cette obser
vation implique une définition totalisante du style sur
laquelle je sais bien que les stylisticiens sont loin de s'accor
der. Mais cette définition ne m'appartient pas. Elle est
implicitement contenue dans les textes où André Gide
s'interroge sur la nature de l'œuvre littéraire. On n'aurait
pas trop de mal à montrer que les idées de Gide, en matière
de style, se rapprochent des options fondamentales de la
stylistique génétique et psychologisante élaborée par, le
premier Spitzer. L'idée que toute œuvre est unique et
incommensurable à toute autre, la conception de l'œuvre
comme une totalité au centre de laquelle se trouve l'esprit
de son auteur, ces idées directrices de Spitzer apparaissent
aussi sous la plume de Gide, et tout au long de sa carrière.
En 1900, dans la conférence intitulée De l'influence en
littérature, s'agissant des imitateurs, Gide écrit ceci :
Ce qu'ils cherchent, c'est le secret tout extérieur (croient-ils) de
la manière, du métier, — ce qui précisément n'existe qu'en rela
tion intime et profonde avec la personnalité même de l'artiste,
ce qui demeure le plus inaliénable de ses biens (III, 269) (I).
(1) Sauf pour le Journal, consulté dans la « Bibliothèque de la
Pléiade », référence sera faite aux Œuvres Complètes d'André Gide,
parues à la NRF de 193 1 à 1939. — Le chiffre romain indique le tome,
le chiffre arabe, la page. * 78 CHRISTIAN ANGELET
...Et dix-sept ans plus tard, dans la préface aux Fleurs
du Mal :
La forme est le secret de l'œuvre. Cette harmonie des contours
et des sons, où l'art du poète se joue, Baudelaire ne l'accepte
jamais tout acquise, il l'obtient par sincérité (...). Où trouver,
sinon dans l'âme du poète, l'excuse et la dictée d'une mélodie
si fidèle ? (VII, 500-503).
L'œuvre conçue comme un monde autonome, l'idée d'un
auteur qui se trouverait derrière le texte, autant de cho
ses que la critique d'aujourd'hui a fortement battues en
brèche. Et que dire alors de cette exigence de sincérité qui,
pour Gide, unit l'auteur à son œuvre ? C'est la sincérité
qui assure la réussite esthétique de l'œuvre, son original
ité qui est nécessairement préciosité :
L'exigence de la sincérité entraîne toujours (et en peinture et
en musique également) certaine contention de style, de métier,
qui forcément doit paraître tout d'abord préciosité ; recherche,
artifice même — simplement à ne pas verser dans le convenu
(VI, 36-37).
La préciosité gidienne n'est pas affaire d'images, mais
de syntaxe et de vocabulaire. Un examen, même rapide,
de son lexique, devrait aider à la cerner. Dans quelle
mesure la néologie d'André Gide nous renseigne-t-elle sur
l'originalité de son style ? Voilà la question à laquelle je
vais essayer de fournir une réponse.
Force est de s'arrêter d'abord aux nombreux néolo-
gismes en -ance qui se rencontrent chez Gide. On sait que
ce suffixe avait pris chez les Symbolistes un essor extra
ordinaire. Alexis François, dont il faut nécessairement
rappeler l'étude classique, considère que le témoin le plus
considérable est ici André Gide « qui, dit-il, n'a jamais
cessé d'être Symboliste » (2). Il relève chez notre auteur
vingt-deux mots en -ance. Je crois qu'il y en a davant
age, mais peu importe.
Une (a) « pédale Alexis François, » de la langue La désinence et du style, « ance Genève, » dans Droz, le vocabulaire 1950, p. 23. français. LA NÉOLOGIE D'ANDRÉ GIDE 79
Aucun de ces vocables n'est à proprement parler une
création gidienne, même pas cet ambiance dont M. Piron
nous a récemment appris la curieuse évolution et que Gide
a été un des premiers à employer, en 1891, deux ans après
Fénéon, six ans après Villiers de l'Isle-Adam (3).
Il en va de même pour plaisance et déplaisance, fréquents
chez Gide, mais qu'on trouve déjà chez Stendhal en 1827 ;
bruyance, qui figure chez les Goncourt, en 1867 ; stag-
nance, qu'on rencontre Laclos ; mouvance, qui est dans
Balzac ; nuisance enfin, qu'avait ressuscité Chateaubriand
et qui semble bien s'être réinstallé dans la langue, avec
l'acception précise que l'on sait.
Gide n'a pas créé ces termes. Pourtant, ils n'apparaissent
pas non plus chez lui comme des emprunts. Un mot comme
nuisance, courant jusqu'au dix-septième siècle, n'est ce
rtainement pas un archaïsme dans la phrase du Journal :
« Proposer cette définition du péché : tout ce qui comporte
nuisance » (4). D'abord, parce que le mot, dans ce contexte,
est dépourvu de tout effet par évocation. Ensuite, parce
qu'il peut parfaitement être éprouvé comme réinventé à
partir d'un modèle existant. Ces substantifs s'appuient
en effet sur un adjectif ou un participe présent. La preuve
que ces mots en ance ne peuvent être tenus pour des em
prunts à l'ancienne langue, c'est le mot remémorance offert
par les Cahiers d'André Walter (I, 146), alors qu'il exis
tait un vieux mot remembrance, cher à Chateaubriand. Mais
remémorance est formé à partir de remémorer, et c'est sans
doute cette conscience de la dérivation qui crée, chez le
lecteur, le sentiment d'une impulsion néologisante en
action dans le texte. D'ailleurs, le suffixe ance lui-même
n'est pas éprouvé comme archaïsant mais comme propre
ment poétique, expressif , etc.
A ce suffixe, les Symbolistes ont voulu trouver une
valeur sémantique. On connaît le commentaire de Jacques
grammaire 1966, (3) p. Maurice 271-280. française Piron, offerts Sur l'évolution à Maurice d' t Grevisse, ambiance Gembloux, », in : Mélanges Duculot, de
(4) Journal, 1. 1, p. 651, 18 avril 1918. CHRISTIAN ANGELET
Plowert dans son célèbre Petit glossaire j>our servir à l'intell
igence des auteurs symbolistes et décadents : «Ance marque
particulièrement une atténuation du sens primitif qui devient
moins déterminé, plus vague ... ». Y a-t-il vraiment une
différence de sens entre stagnance et stagnation, déplaisir
et déplaisance ?... En 1949, Gide devait noter dans son
Journal qu'il avait relu Honorine, où Balzac emploie le
mot : « compatissance ». Et il. ajoutait : « Curieux de cher
cher s'il figure dans le Littré. Il me semble que « compass
ion » suffisait » (5). Le même commentaire s'applique
aux nombreux néologismes en ance lancés par Gide même.
Ils ont pour fonction de détacher le vocable en créant
un effet de surprise facile. Ils établissent le droit de l'écr
ivain sur les mots ; ils nous signalent ainsi que nous som
mes bien dans la littérature qu'ils connotent un peu à la
manière du passé simple, dont R. Barthes écrit qu'il fait
partie d'un système de sécurité des Belles-Lettres. La néo
logie d'André Gide manifeste d'abord son souci du bien-
écrire.
Plus nombreux que ces dérivés en ance, plus intéressants
aussi, les néologismes obtenus par préfixation négative :
désassentiment, désinstruction... Déjà Ramon Fernandez,
en 1931, notait l'importance de ces vocables, chez Gide,
et il ajoutait : « Les néologismes constructifs, dans son œuv
re, sont rares,

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents