Le bestiaire islamique de Birago Diop - article ; n°1 ; vol.31, pg 59-72
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1979 - Volume 31 - Numéro 1 - Pages 59-72
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1979
Nombre de lectures 89
Langue Français

Extrait

Professeur Dorothy S. Blair
Le bestiaire islamique de Birago Diop
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1979, N°31. pp. 59-72.
Citer ce document / Cite this document :
Blair Dorothy S. Le bestiaire islamique de Birago Diop. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1979,
N°31. pp. 59-72.
doi : 10.3406/caief.1979.1184
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1979_num_31_1_1184BESTIAIRE ISLAMIQUE LE
DE BIRAGO DIOP
Communication de Mme Dorothy S. BLAIR
(Johannesbourg)
au XXXe Congrès de V Association, le 24 juillet 1978.
C'est un fait bien connu que les folkloristes du siècle dernier,
frappés par des données universelles de maints contes recueillis
en Europe, en Asie et en Amérique du Nord, se sont mis à la
recherche d'une origine commune et ont accrédité l'hypothèse
d'une source indienne (1). La théorie de la dissémination mond
iale du fablier indien fut émise sous forme d'un dogme par
l'Allemand Theodor Benfey dans l'Introduction de son édition
de la Panschantranta (2). Selon lui, le répertoire indien, traduit
dès le Xe siècle en persan et en arabe, aurait été rapidement
diffusé partout où s'étendaient les conquêtes islamiques. Ainsi,
les conquérants arabes auraient apporté en Afrique Noire, en
même temps que l'Islam, un bagage culturel dont la fable aurait
été un élément important.
Cependant, les folkloristes contemporains, notamment Bé-
dier, adoptent une attitude plus prudente, moins dogmatique (3).
Aussi, en traitant du bestiaire islamique dans les contes de
Birago Diop, ne me suis-je pas proposé de ressusciter cette
ancienne querelle sur les origines. Il ne s'agira pas ici de repérer
des sources islamiques éventuelles de ce bestiaire. Je prendrai
plutôt, comme point de départ de mon analyse, le fait incontesté
(1) V. surtout A. Loiseleur Deslongchamps, Essai sur les fables indiennes,
Paris, 1838.
(2) Theodor Benfey, Die Panschantranta, fiinf Bûcher indischer Fables, Mâr-
chen und Erzâhlungen, 2 vol., Leipzig, 1859.
(3) V. J. Bédier, Les Fabliaux, nouvelle éd., Paris, Honoré Champion, 1964 :
« L'histoire ne nous permet pas de supposer qu'il ait existé un peuple privilégié,
ayant reçu la mission d'inventer les contes (...). Elle nous montre, au contraire,
que chaque peuple a créé ses contes qui lui appartiennent... » (p. 15). 60 DOROTHY S. BLAIR
de la répartition des fables négro-africaines dans deux cycles
animaliers importants, selon deux aires culturelles distinctes :
celle qui est marquée par la culture et l'enseignement musul
mans, et celle où les religions et croyances traditionnelles se
sont farouchement opposées à toute pénétration islamique.
Or, les pays de l'Afrique Occidentale qui ont résisté aux in
fluences musulmanes, qui sont restés attachés à l'animisme et
au fétichisme, les régions de la forêt, forment l'aire culturelle du
cycle de fables dont l'Araignée est le personnage principal (4).
Par contre, ce sont les pays situés en bordure du Sahara, les
régions de la savane, là où l'influence des Arabes et la présence
de l'Islam sont les plus fortes, qui constituent l'aire culturelle
du cycle du Lièvre.
Birago Diop est né au Sénégal ; il a exercé son métier de
médecin vétérinaire au Mali et en Haute Volta dans les années
1930. C'est donc dans ces pays de la savane qu'il a entendu
narrer par des griots — des conteurs traditionnels — comme par
sa mère et sa grand-mère dans son enfance, des contes et fa
bles qui tournent autour de Leuk-le Lièvre. Les régions côtières
lui étaient également familières, là où se trouvent des cycles
secondaires, celui de l'Antilope et celui de la Tortue. C'est
Leuk le héros préféré de ses propres contes — j'entends ceux
qui mettent en scène le bestiaire traditionnel — , contes qu'il
attribue au griot Amadou Koumba (5). La Biche et la Tortue
n'en sont pas absentes, mais l'Araignée n'y joue aucun rôle (6).
(4) Cf. Les Légendes africaines de l'Ivoirien Bernard Dadié, qui comprennent
quelques contes qui tournent autour des aventures et les exploits de Какой
Anazè, l'Araignée rusée (in : Légendes et Poèmes, Paris, Seghers, 1966). Au
Nigeria, le cycle du Lièvre coexiste avec celui de l'Araignée, bien que celui-ci
soit le plus répandu.
(5) Les Contes d'Amadou Koumba, Paris, Fasquelle, 1947, rééd. Présence
Africaine, 1960. Les Nouveaux Contes ď Amadou Koumba, Paris, Présence Afri
caine, 1948. Contes et Lavanes, Paris, Présence Africaine, 1963.
(6) Pour cette question de la répartition des aires culturelles de l'Afrique
Occidentale, V. Mohamadou Kane, Les Contes d'Amadou Coumba, du conte
traditionnel au conte moderne d'expression française, Dakar, Publications de la
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, 1968 : « ... Il existe donc une
géographie du conte liée à la nécessité de choisir ses personnages et la matière
de son conte dans le milieu environnant (...). L'aire des pays de la savane, les
plus fortement marqués par l'Islam, se distinguerait de celle des pays de la forêt, particulièrement attachés aux religions et cultures traditionnelles » (p. 30). BESTIAIRE ISLAMIQUE DE BIRAGO DIOP 61 LE
Les raisons de la popularité de l'Araignée ou du Lièvre en
fonction de la géographie et des croyances dominantes ne nous
concernent pas ici. Mais il va de soi que la conversion à l'Islam
entraîna la remise en question de certains concepts d'ordre
social et moral. En tout état de cause, les histoires de l'Araignée
se distinguent fondamentalement des exploits du Lièvre par
le fait qu'elles ne comportent pas de morale. Racontées sur
un ton humoristique, elles visent tout simplement à distraire.
Par contre, les aventures de Leuk-le Lièvre et de ses camarades
de la savane, de la brousse et des marigots sont en majeure
partie des apologues qui comprennent une leçon de morale
pratique, basée sur l'éthique utilitaire d'une communauté plus
ou moins refermée sur elle-même : respecter les biens d'autrui,
surtout si l'on est le plus faible ou d'une intelligence limitée ;
respecter les hiérarchies traditionnelles ; rester fidèle à sa
propre nature et surtout éviter des mauvaises rencontres et
ne pas fréquenter de mauvaises compagnies, au risque d'être
volé, berné, rossé.
Que des africanistes versés dans les religions comparées nous
précisent les rapports qui existent entre ces leçons de vie sociale
enseignées par les bêtes et les préceptes islamiques profondé
ment enracinés dans la vie de ceux que les griots réunissaient
au clair de lune ou autour du feu la nuit. Je vais essayer plutôt
de faire la part de l'Islam dans la version française de ce fablier
traditionnel que nous livre Birago Diop.
Ismaël Birago Diop vous est sans doute moins connu que
son compatriote, ami et contemporain, Leopold Sédar Senghor.
Comme 80 % des Sénégalais, il est musulman. Il m'avoua
avoir été un traditionaliste toute sa vie. Il fréquenta l'École
Coranique à Dakar avant d'entrer à l'école primaire française.
Son beau-père, El Hadj Pedre, fut l'Imam de Dakar. C'est
dire son appartenance à un milieu islamique, sa piété et son
dévouement sincère à l'Islam. Néanmoins, on aurait tort de
croire que c'est un didactisme inspiré par sa foi qui l'a incité
à reprendre les fables traditionnelles de son terroir.
Admis à l'Institut Vétérinaire à Paris, dans l 'entre-deux-
guerres, il fut initié par Senghor et Aimé Césaire au mouvement DOROTHY S. BLAIR 62
de la négritude, qui pour lui ne s'exprima pas par une littérature
de combat, mais par un effort pour empêcher l'héritage litté
raire oral de l'Afrique Noire de disparaître. Ce retour dans le
passé commença quand, étudiant à l'École Nationale Vétéri
naire à Toulouse, il cherchait à tempérer son exil, à adoucir sa
nostalgie (7).
Senghor publia quelques-uns des contes dont Diop se sou
venait à cette époque. Entre 1935 et 1938, au cours de ses tour
nées professionnelles sur les rives du Niger et dans les plaines

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