Le thème des Bohémiens en voyage dans la peinture et la poésie, de Cervantès à Baudelaire.. - article ; n°1 ; vol.18, pg 227-238
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Le thème des Bohémiens en voyage dans la peinture et la poésie, de Cervantès à Baudelaire.. - article ; n°1 ; vol.18, pg 227-238

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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1966 - Volume 18 - Numéro 1 - Pages 227-238
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1966
Nombre de lectures 38
Langue Français

Extrait

Madame Melâhat
Menemencioglu
Le thème des Bohémiens en voyage dans la peinture et la
poésie, de Cervantès à Baudelaire..
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1966, N°18. pp. 227-238.
Citer ce document / Cite this document :
Menemencioglu Melâhat. Le thème des Bohémiens en voyage dans la peinture et la poésie, de Cervantès à Baudelaire.. In:
Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1966, N°18. pp. 227-238.
doi : 10.3406/caief.1966.2320
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1966_num_18_1_2320THÈME DES BOHÉMIENS EN VOYAGE LE
DANS LA PEINTURE ET LA POÉSIE
DE CERVANTES A BAUDELAIRE
Communication de Mme Melâhat MENEMENCIOGLU
{Besançon)
au XVIIe Congrès de Г Association, le 30 juillet 1965.
Qu'ils soient issus de l'antique race des Atlantes, ou que,
plus prosaïquement, ils proviennent des bords de Г Indus,
les Égyptiens, Bohémiens ou Tziganes, comme on les a
appelés en France, depuis qu'ils y sont venus au début du
xve siècle (1), ont toujours excité l'intérêt des artistes de
l'Europe Occidentale, poètes comme Ronsard, Schiller,
Hugo, Baudelaire ou Apollinaire, musiciens comme Lulli et
Campra, peintres surtout, depuis l'auteur de la fameuse
suite de tapisseries de Tournai, au xve siècle, jusqu'à Van
Gogh, en passant par Callot, Téniers, Caravage, Boucher et
bien d'autres. La destinée exceptionnelle de ce peuple en
marge de l'histoire, la résistance des Bohémiens à toute
forme d'assimilation (sauf dans le domaine religieux), le
pittoresque de leurs costumes, leur vie errante, leurs mœurs,
leur aptitude à prédire l'avenir, leurs talents de danseurs et
de musiciens — pensons au cas du fameux Django Reinhard
(1) Pour une bonne documentation à jour sur le problème des Bohé
miens en général, on se reportera au livre de M. de Vaux de Foletier, Les
Bohémiens dans l'ancienne France, Hachette, 1962. L'équivalent manque
malheureusement pour la période postérieure à la Révolution française. 228 MELAHAT MENEMENCIOGLU
qui portait le nom d'un des plus connus des capitaines de
Bohémiens du xvne siècle, ou à l'influence de la musique tz
igane sur le flamenco espagnol —, tout cela avait de quoi sé
duire les artistes. Dans cette ample matière, nous avons choisi
comme centre d'intérêt le problème que pose le mystérieux
sonnet de Baudelaire intitulé d'abord, dans le manuscrit de
1852, la Caravane des Bohémiens, puis, la version défini
tive des Fleurs du Mal, Bohémiens en Voyage. Ce problème
réside dans une dualité d'inspiration, qu'une simple lecture
rendra peut-être sensible, avant même que nous procédions
à une analyse plus détaillée :
La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s'est mise en route, emportant ses petis
Sur son dos, et livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.
Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes,
Le long des chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.
Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson ;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,
Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs pour lesquels est ouvert
L'empire familier des ténèbres futures.
Le tourment, l'inquiétude, la mélancolie étant des cons
tantes de l'âme baudelairienne, on ne s'étonne pas d'en trou
ver l'expression dans les deux premières strophes de ce
poème. Cependant, la forme poétique que revêtent ces sen
timents est trop particulière pour être due au hasard. En
d'autres termes, quelle source a pu suggérer à Baudelaire l'idée
de les incarner dans ces Bohémiens errants ? La réponse à
cette question a été donnée, indépendamment, par Emile
Bernard et par M. Jean Pommier (2). Ils ont assigné comme
(2) Voyez, du premier, l'article intitulé Esthétique de Baudelaire, dans
le Mercure de France du 16 octobre 1919, et du second un article paru
dans la Revue d'Histoire Littéraire en 1933, cité dans l'ouvrage les Che
mins de Baudelaire. LE THÈME DES BOHÉMIENS EN VOYAGE 229
source au poème deux planches de Callot, sous le titre
de Bohémiens en marche. Une analyse des deux premières
strophes va nous permettre de confirmer ce fait, tout en mar
quant certaines particularités de la transposition opérée par
Baudelaire.
Analyse des deux premières strophes, disions-nous. C'est
là seulement, en effet, que se retrouve la vision empruntée
à Callot. Comme chez le peintre, les Bohémiens sont saisis
dans leur marche, et même une marche qui dure depuis quel
que temps. Comme chez Callot, les enfants jouent un grand
rôle ; mais des divergences apparaissent. Sur le tableau,
notamment sur la planche intitulée V arrière-garde, qui four
nit les rapprochements les plus intéressants, deux femmes
seulement portent leurs enfants sur leur dos. D'autres, qui
sont à cheval, les portent en croupe, ou devant elles si elles juchées sur un âne ; enfin, celles qui sont assises dans
les chariots les ont sur leurs genoux. Ainsi, Baudelaire n'a
retenu que le plus caractéristique de ces modes de transport
et Га généralisé. Mieux, dans son poème, ce ne sont pas les
femmes isolées, c'est la tribu elle-même qui porte les petits
sur son dos : transposition remarquable, non seulement sur le
plan artistique, mais aussi sur le plan moral, puisqu'elle
ravale la tribu au rang d'une bête de somme succombant sous
la charge.
A noter encore, pour en finir avec cette strophe, que les
mamelles offertes aux enfants sont décrites comme pendantes,
ce qui, si l'on y réfléchit, n'est guère compatible avec le fait
qu'elles soient pleines de lait (le « trésor toujours prêt » du
poème). Chez Callot, la femme qui porte un bébé sur un
âne a au contraire les mamelles rebondies. Il est clair qu'en
étendant aux mères nourricières ce trait qui, chez Callot,
n'existait que. chez les vieilles femmes, Baudelaire a voulu
accentuer le caractère de pauvres gueux affamés qu'il donne
à sa troupe, dans ce début du poème.
Dans la seconde strophe, les modifications ne sont ni moins
subtiles, ni moins significatives. Gardant le détail des armes
portées par les hommes — détail très exact au XVIIe siècle,
quand les Bohémiens, excellents armuriers, étaient toujours MELAHAT MENEMENCIOGLU 23О
munis d'armes bien entretenues, mais anachronique au
xixe siècle, — Baudelaire les avait d'abord dites pesantes, ce
qui soulignait le caractère de passivité douloureuse des Bohé
miens. La correction de pesantes en luisantes, qui évite aussi
la répétition avec appesantis qui suit, renonce surtout à créer
cette idée de résignation, et, sans suggérer aucune opulence,
suggère plutôt quelque chose d'inquiétant. Du reste, alors
que, chez Callot, les hommes marchent la tête haute, ont
assez fière allure, et, avec leurs panaches et leurs épées, re
ssemblent plus à des comédiens ambulants qu'à des gueux,
Baudelaire étouffe en quelque sorte cette impression de fierté
en écrasant ses Bohémiens sous le poids d'une fatalité à l
aquelle ils ne peuvent échapper, et fait d'eux comme le parfait
symbole de l'éternelle nostalgie des « chimères absentes ».
Selon nous, ce dernier vers qui, dans le ton ténébreux
propre à Baudelaire, évoque puissamment la fatigue, la faim,
l'absence d'espérance, n'amorce nullement une interpréta
tion qui se développerait dans les strophes suivantes. Il
marque, au contraire, la fin du regard proprement baudelai-
rien jeté sur la tribu errante et son destin.
Ce vers est donc comme une conclusion, une chute digne
du sonnet lui-même. On n'en est que davantage étonné par
le spectacle qui se déploie alors dans les tercets. Le per
sonnage le plus inattendu dans un poème baudelairien fait
son apparition, un grillon qui «redouble sa chanson». Chans
on, ou plutôt cri joyeux de gai luron sans complexe, si l'on
nous permet l'expression ; et chanson qui s'adresse évidem
ment aux bohémi

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