Les femmes et l alphabétisation, ou, Comment et pourquoi mobiliser les femmes pour l alphabétisation
2 pages
Français

Les femmes et l'alphabétisation, ou, Comment et pourquoi mobiliser les femmes pour l'alphabétisation

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
2 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Le monde alphabétique, numéro 4, automne-hiver 1992 : Les femmes et l’alphabétisation - RGPAQJ'AI VÉCU MON ANALPHABÉTISME... EN FIN DE SEMAINEJohanne Letourneux, de la Boîte à LettresEpaisse, nouille, moule Ça fait deux jours que je voix. Ça pogne toujours.à gaufres, bachibouzouk, manque mes cours, je m'en- J'voulais tellement bien faire,bonne à rien! J'le savais que ça ferme chez moi pis je me ronge j'voulais être parfaite, lamarcherait pas, que je serais les ongles...et l'autre... le mi- meilleure. J'voulais que le profpas capable. J'comprends rien, nistre Page, qui se laissait me remarque, j'voulais...j'ai jamais rien compris. Je suis pousser les siens! Pis je me ré- j'voulais qui trouve que je lisune tarte. Faites-moi cuire! volte beaucoup. J'écoute la té- bien, que j'ai pas d'accent...Vous ne m'avez pas crue, vous lévision. Juste en français, bon. que... j'voulais qui m'aime!m'aurez cuite! J'le savais pour- J'ai le droit, pis c'est utile. J'ai tout raté. Je distor-tant. J'étais pas bonne à l'école, Tout ça a commencé sionnais. Je lisais comme unje vois pas pourquoi je serais quand le prof m'a fait lire tout ongle qui glisse sur un tableau.meilleure aujourd'hui. Mes haut devant toute la classe, un Je me voulais douce et suave,parents m'ont jamais encou- texte que j'avais jamais vu de je trompettais comme une si-ragée. C'est vrai! Y'étaient ma vie. L'enfer, la torture chi- rène d'ambulance. Après macontre... Y trouvaient ça inuti- noise. C'est pas ...

Informations

Publié par
Nombre de lectures 73
Langue Français

Extrait

J
'
AI VÉCU MON ANALPHABÉTISME... EN FIN DE SEMAINE
J
o
h
a
n
ne Letourneux, de la Boîte à Lettres
Epaisse,
nouille, moule
à
g
a
u
f
r
e
s,
b
a
c
h
i
b
o
u
z
o
u
k,
b
o
n
ne à rien! J'le
savais
que ça
m
a
r
c
h
e
r
a
it pas,
q
ue je serais
pas capable. J'comprends rien,
j
'
ai jamais rien compris. Je suis
u
ne
t
a
r
t
e. Faites-moi cuire!
Vous ne m'avez pas crue, vous
m'aurez cuite! J'le savais pour-
t
a
n
t. J'étais
p
as
b
o
n
ne à l'école,
je vois
p
as pourquoi je serais
meilleure
a
u
j
o
u
r
d
'
h
u
i. Mes
parents
m
'
o
nt
j
a
m
a
is encou-
r
a
g
é
e. C'est
v
r
a
i! Y'étaient
contre... Y trouvaient ça inuti-
le. (Encore aujourd'hui.)
F
i
n
a
l
e
m
e
nt
p
e
r
s
o
n
ne
m'aime. Pis à
p
a
rt de ça, le prof
y
m
'
e
n
n
u
ie royalement. C'est
un twit! Un... **!»#%$. Pis sur-
tout, surtout, je vais vous le
dire bien
f
r
a
n
c
h
e
m
e
n
t,
j
'
ai
peur,
j
'
ai
m
al
au ventre.
C'est fini, ni-ni. J'aban-
donne. Plus
j
a
m
a
is on me re-
p
r
e
n
d
ra à suivre des cours
d'anglais!
Q
u
a
nd je pense que
c'est moi qui ai décidé de pren-
dre ces cours-là. Pour me sentir
moins épaisse,
p
o
ur me faire
des petits
n
a
m
is
z
a
n
g
l
a
i
s
.
..
ben, pour faire comme
t
o
ut le
monde, pour me sentir utile.
Toutes mes amies sont trilin-
gues bon. Pis aussi, j'voulais
lire la constitution en
a
n
g
l
a
i
s.
(J'la comprends
p
as en fran-
çais.)
Ça fait
d
e
ux jours que je
m
a
n
q
ue mes cours, je m'en-
ferme chez moi pis je me ronge
les ongles...et l'autre... le mi-
nistre Page,
q
ui se
l
a
i
s
s
a
it
pousser les siens! Pis je me ré-
volte
b
e
a
u
c
o
u
p. J'écoute la té-
lévision. Juste en français,
b
o
n.
J'ai le droit, pis c'est utile.
T
o
ut
ça a
c
o
m
m
e
n
q
u
a
nd le prof
m
'a fait lire
t
o
ut
h
a
ut devant toute la classe, un
texte que
j
'
a
v
a
is
j
a
m
a
is vu de
ma vie. L'enfer, la torture chi-
n
o
i
s
e. C'est
p
as
h
u
m
a
i
n.
Q
u
a
nd je pense que
j'adorais
faire lire les participants et
participantes à
h
a
u
te voix.
Pauvres bêtes!
C'était affreux,
t
o
ut le
m
o
n
de
m
'
é
c
o
u
t
a
i
t.
J
'
a
v
a
is
l'impression d'être un micro
g
é
a
nt et les autres de gros
hauts-parleurs. Dans le silen-
ce de la classe, ma voix était
insupportable. Pourquoi moi?
Pourquoi pas l'autre à côté?
p
as bon. Ou pourquoi
p
as
faire ça en gang? J'pourrais
beugler avec le
t
r
o
u
p
e
au tout
en
c
a
c
h
a
nt
m
on accent de
vache espagnole pognée
d
a
ns
les barbelés.
Si vous saviez comme je
voulais bien lire, avec un bel
accent, une belle prononcia-
tion. Même que
j
'
a
v
a
is ajouté
u
ne touche sensuelle
d
a
ns
ma
v
o
i
x.
Ça
p
o
g
ne
t
o
u
j
o
u
r
s.
J'voulais tellement bien faire,
j
'
v
o
u
l
a
is
ê
t
re
p
a
r
f
a
i
t
e,
la
meilleure. J'voulais que le prof
me
r
e
m
a
r
q
u
e,
j
'
v
o
u
l
a
i
s
.
..
j'voulais qui trouve que je lis
bien, que
j
'
ai
p
as d'accent...
que... j'voulais qui
m'aime!
J'ai
t
o
ut
r
a
t
é. Je distor-
sionnais. Je lisais comme un
ongle qui glisse
s
ur un
t
a
b
l
e
a
u.
Je me voulais douce et suave,
je trompettais comme
u
ne si-
rène
d
'
a
m
b
u
l
a
n
c
e. Après ma
délecture... le silence. Les hauts-
parleurs silaient. Le prof
m
'a
juste posé
u
ne question: celle
qui fallait
p
a
s. Celle que je
posais tout le temps à mes
p
a
r
t
i
c
i
p
a
n
ts
q
u
a
nd
j
'
e
n
s
e
i-
gnais en
a
l
p
h
a
b
é
t
i
s
a
t
i
o
n.
«Qu'est-ce que
t
'
as com-
pris
d
a
ns le texte?»
what?
Qu'est-ce que
j
'
ai compris
d
a
ns
le texte,
m
a
is ça va
p
as
n
o
n!
P
e
n
d
a
nt que je m'évertue à
me faire
a
i
m
e
r, il
f
a
u
d
r
a
it
q
u
'
en plus je réfléchisse. Je suis
d
a
ns l'émotif moi monsieur, je
ne suis
p
as
d
a
ns l'intelligence
moi monsieur... enfin
p
as là,
p
as tout de suite. Repassez mon
cher! Y m'écoute
p
a
s,
y
'a le nez
d
a
ns
s
on
m
a
u
d
it
m
a
n
u
e
l.
Encourage-nous, fais quelque
chose. Dis-nous
q
u
'
on est bons.
Même si on est grands! Ça fait
longtemps qu'y a
p
as été sur
Le monde alphabétique, numéro 4, automne-hiver 1992 : Les femmes et l’alphabétisation - RGPAQ
un
b
a
nc d'école lui. Y s'en
souvient plus, c'est quoi
ap-
prendre.
Ben moi, je vais
m
'
en sou-
venir pour lui. Moi je l'ai vécu.
Ça
f
a
it
mal, ayoye bobo!
C'est
p
as l'fun du
t
o
ut du tout.
T'es toujours en
t
r
a
in de te
remettre en question pis de te
trouver
n
o
u
n
o
u
n
e.
Q
u
a
nd je
pense que
j
'
ai enseigné pen-
d
a
nt cinq
a
ns
en
me
p
e
n
s
a
nt
bien finfïnaude, bien compré-
hensive, bien à l'écoute de
leurs peurs, de leurs
besoins.
J'voulais tellement bien faire,
j'voulais les aider. J'voulais être
le meilleur
a
p
p
u
i
.
.. j'voulais,
j
'
v
o
u
l
a
i
s
.
..
t
e
l
l
e
m
e
nt
q
u
'y
aiment,
q
ue
je
l
es
aime,
pis
qu'y
s'aiment,
ô traîtrise, ô
d
o
u
ce
i
n
f
a
m
i
e,
m
o
r
b
l
e
u!
l'avais rien compris,
m
a
is rien,
rien de leurs souffrances phy-
siques et morales. J'avais pas
m
al
au ventre moi,
j
'
a
v
a
is pas
la chienne moi, j'avais pas peur
d'être ridicule pis de me trom-
per moi. Je
m
'
e
n
t
e
n
d
a
is
m
ê
me
assez bien avec moi-même.
Quelques crises d'estimation
peut-être. Mais c'était passa-
ger...
u
ne pinotte! C'est
p
as
entre les deux oreilles que ça
se passe tout ça, mais
d
a
ns le
ventre, ça tire et ça crampe,
ça bafouille et ça trébuche.
Pis ils remettent ça cette
a
n
n
é
e. Ils reviennent
d
a
ns les
ateliers, de plus en plus nom-
breux, de plus en plus masos.
Décidément, je comprendrai
j
a
m
a
is
r
i
e
n. Sont fous ces
a
n
a
l
p
h
a
b
è
t
e
s!
1. Publication collective élaborée à partir de la légende du même nom par des participantes et participants
ayant une déficience légère.
Le monde alphabétique, numéro 4, automne-hiver 1992 : Les femmes et l’alphabétisation - RGPAQ
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents