Les modèles contradictoires de la lecture entre formation et consommation, de l alphabétisation populaire à la lecture de masse - article ; n°1 ; vol.54, pg 361-380
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Les modèles contradictoires de la lecture entre formation et consommation, de l'alphabétisation populaire à la lecture de masse - article ; n°1 ; vol.54, pg 361-380

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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 2002 - Volume 54 - Numéro 1 - Pages 361-380
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2002
Nombre de lectures 39
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Anne-Marie Chartier
Les modèles contradictoires de la lecture entre formation et
consommation, de l'alphabétisation populaire à la lecture de
masse
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 2002, N°54. pp. 361-380.
Citer ce document / Cite this document :
Chartier Anne-Marie. Les modèles contradictoires de la lecture entre formation et consommation, de l'alphabétisation populaire
à la lecture de masse. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 2002, N°54. pp. 361-380.
doi : 10.3406/caief.2002.1470
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_2002_num_54_1_1470LES MODELES CONTRADICTOIRES
DE LA LECTURE ENTRE
FORMATION ET CONSOMMATION,
DE L'ALPHABÉTISATION POPULAIRE
À LA CULTURE DE MASSE
Communication de Mme Anne-Marie CHARTIER
(INRP, Paris)
au LIIIe Congrès de l'Association, le 5 juillet 2001
En 1984, un rapport au premier ministre Pierre Mauroy,
Des illettrés en France (1), révèle au grand public la persis
tance d'un quasi-analphabétisme grave dans la populat
ion adulte. L'incrédulité puis l'alarme déclenchée par ce
constat, largement relayé dans les médias (2), redoublent
des inquiétudes plus diffuses et plus anciennes, concer
nant la désaffection redoutée à l'égard du livre. Les débats
sur la baisse du niveau scolaire, sur les difficultés
qu'éprouvent les collégiens, les lycéens et même les étu
diants à se servir de l'écrit, la fréquentation toujours faible
des bibliothèques, les difficultés de l'édition, la stagnation
des achats en libraire, paraissent autant d'indices d'une
grave crise de la lecture et, plus largement, de la culture
écrite.
(1) Véronique Espérandieu, Antoine Lion et Jean-Pierre Bénichou, Des illet
trés en France, Rapport au Premier ministre, Paris, La Documentation Français
e, 1984.
(2) Bernard Lahire, L'Invention de l'illettrisme, Paris, La Découverte, 1999. 362 ANNE-MARIE CHARTIER
Au même moment, un certain nombre d'indicateurs
contredisent pourtant ce pessimisme. L'illettrisme n'est-il
pas un phénomène ancien, resté longtemps occulté, puis
qu'il touche en priorité des populations âgées ? (3) L'en
quête sur les pratiques culturelles des Français (4) parue
en 1982 ne montre-t-elle pas une fréquentation des livres
(achats, lecture) toujours croissante en milieu populaire ?
De là l'idée d'une enquête (5) sur le siècle pour détermi
ner si les Cassandre prévoyant la défaite de l'écrit devant
d'autres médias, cheval de Troie de l'inculture, ne font
que répéter des topot classiques, ou si, au contraire, il faut
prendre acte de changements inédits (et peut-être
« inouïs ») en cours. D'où la nécessité d'enquêter dans la
durée, en partant de l'instauration de la IIIe République,
au moment où les grandes lois scolaires excluent la cultu
re catholique de l'enseignement public et cristallisent les
oppositions idéologiques sur les références à transmettre
aux jeunes générations. L'enquête, centrée sur les discours
prescriptifs énonçant les normes du bien lire, a cherché à
les éclairer par « la lecture mise en scène », dans les auto
biographies, les manuels scolaires, les images, qui en
énonçaient les effets attendus ou éprouvés. À travers ces
représentations, des expériences singulières pouvaient
être reçues comme des évidences partagées.
(3) L'enquête d'Infométrie en 1988 montre qu'un illettré sur deux à plus de
soixante-cinq ans et trois sur quatre plus de cinquante ans.
(4) Ministère de la Culture, Service des Études et de la Recherche, Pratiques
culturelles des Français, description socio-démographique, Évolution 1974-1981,
Paris, Dalloz, 1982.
(5) Émanant de la Direction du Livre et de la lecture du Ministère de la
Culture, cette enquête confiée au Service des Études et de la recherche de la
Bibliothèque Publique d'information (Centre Georges Pompidou) fit l'objet
d'un appel d'offre en 1984. La rédaction d'une synthèse issue des différents
rapports de recherche a été assurée par Anne-Marie Chartier et Jean
Hébrard, Discours sur la lecture, 1880-1980, Paris, BPI-Centre Georges Pompi
dou, 1989. Une seconde édition complétée a paru depuis (Discours sur la lec
ture, 1880-2000, Fayard-BPI, 2000). ENTRE FORMATION ET CONSOMMATION 363
LA LECTURE : UNE EXPÉRIENCE VITALE
Souvenirs de lectures, portraits de lecteurs, parcours
livresques d'enfants ou d'adultes (6), tout au long du
siècle abondent les témoignages qui disent le pouvoir du
livre sur celui qui lit, absent du cercle des vivants, sou
dain absorbé (7) par le texte. On se souvient du récit de
Jean-Paul Sartre dans Les Mots, devant sa mère en train de
lui faire la lecture :
Ma mère s'était absentée : pas un sourire, pas un signe de
connivence, j'étais en exil. Et puis je ne reconnaissais pas son
langage. Où prenait-elle cette assurance ? Au bout d'un ins
tant, j'avais compris : c'était le livre qui parlait (8).
Si l'enfance est le temps des lectures à voix haute, l'ado
lescence est celle des partages plus secrets, des scènes de
lecture solitaire, dérobée, qui inaugurent les transgres
sions émancipatrices. Chacun se cherche en cherchant
« son » livre. Ainsi dans L'Enfant de Jules Vallès :
« Matoussaint et son ami le journaliste m'ont prêté des
volumes que j'ai emportés jeudi. Le dimanche suivant, je
n'étais plus le même. J'étais entré dans l'histoire de la
Révolution » (9). L'événement qui marque le plus la prime
adolescence d'Oscar Wilde est le suicide de Lucien de
Rubempré, et Simone de Beauvoir, jeune fille encore ran
gée de la pension Désir, fait « grâce à Jacques, la fou-
(6) Jean-Claude Pompougnac, « Récits d'apprentissage », Discours sur la
lecture, 1880-2000, op. cit., p. 495 -526 ; Daniel Gestin, Scènes de lecture. Le
jeune lecteur en France dans la première moitié du XIXe siècle, Rennes, Presses
Universitaires de Rennes, 1998.
(7) Pour Michael Fried, la représentation de cette « primauté de l'absorbe-
ment » est un lieu commun fondateur de la peinture moderne : Absorption
and Theatncafity Painting and Beholder in the Age of Diderot, Chicago, Univers
ity of Chicago Press, 1988 (trad, fr La Place du spectateur. Esthétique et origine
de la peinture moderne, Paris, Gallimard, 1990) ; sur les images de la lecture,
Martine Poulain, « Scènes de lecture dans la peinture, la photographie, l'af
fiche, de 1881 à 1989 », [in] Discours sur la lecture, 1880-2000, op. cit., p. 528-
560.
(8) Jean-Paul Sartre, Les Mots, Paris, Gallimard, 1964, p. 34.
(9) Jules Vallès, L'enfant, [1879], [in] Oeuvres, t. II, Paris, Gallimard, Biblio
thèque de la Pléiade, p. 362. 364 ANNE-MARIE CHARTIER
droyante révélation de la lecture contemporaine » (10).
Les récits de vie révèlent l'importance des expériences
précoces, le rôle décisif joué par les médiateurs, la force
d'attraction des lectures défendues, l'irréversibilité des
initiations. Les témoignages singuliers convergent alors
suffisamment pour que personne ne mette en doute leur
valeur universelle, même s'ils proviennent presque tous
d'écrivains devenus célèbres se retournant sur leur passé.
« ILS LISENT TROP, ILS LISENT N'IMPORTE QUOI »
Qu'il s'agisse de familiarisation progressive ou de
« foudroyante révélation », ce qui se passe à travers la lec
ture est si important et engage à tel point le devenir des
personnes, que ceux qui ont en charge les lectures des
autres ne sauraient être trop attentifs. De fait, c'est au
milieu du XIXe siècle, au moment où une alphabétisation
de masse méthodique commence à produire ses effets que
les discours sur la lecture s'installent dans l'espace public.
Deux institutions, l'Église et l'École, sont en concurrence
pour encadrer les lectures du public inculte, pour définir
les usages et les fins des textes que le peuple, les femmes,
les enfants devraient fréquenter. Au moment où la révolu
tion industrielle de l'édition et

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