Les tentatives de libération du vers français dans la poésie de 1760 à la Révolution - article ; n°1 ; vol.21, pg 21-35
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1969 - Volume 21 - Numéro 1 - Pages 21-35
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1969
Nombre de lectures 34
Langue Français

Extrait

Monsieur Edouard Guitton
Les tentatives de libération du vers français dans la poésie de
1760 à la Révolution
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1969, N°21. pp. 21-35.
Citer ce document / Cite this document :
Guitton Edouard. Les tentatives de libération du vers français dans la poésie de 1760 à la Révolution. In: Cahiers de
l'Association internationale des études francaises, 1969, N°21. pp. 21-35.
doi : 10.3406/caief.1969.922
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1969_num_21_1_922TENTATIVES DE LIBÉRATION LES
DU VERS FRANÇAIS DANS LA POÉSIE
DE 1760 A LA RÉVOLUTION
Communication de M. Edouard GUITTON
{Rennes)
au XXe Congrès de V Association, le 24 juillet 1968.
« Au XVIIIe siècle », écrit Maurice Grammont, « la versifi
cation française ne présente pas d'intérêt particulier. C'est
le vers classique, mais employé d'une façon banale et sans
originalité » (1). Même point de vue chez Georges Lote :
« La poétique du xvine siècle, à prendre les choses en gros,
reste sensiblement la même que celle du xvne siècle (2). »
En somme, dans l'histoire du vers français, il ne se serait
rien passé de notable entre Boileau et Lamartine, entre
Racine et Victor Hugo ; une exception toutefois : André
Chénier.
Ces déclarations sont postérieures à l'enquête de Daniel
Mornet (3) et font douter de sa portée. Pour Mornet, l'alexan
drin de la fin du xvine siècle doit forcément se définir par
(1) M. Grammont, Le Vers français, son évolution, in : Le Français
Moderne, 1936, p. 109.
(2) G. Lote, La Poétique classique du XVIIIe siècle, in : Revue des
Cours et des Conférences, 1929-1930, I, p. 60 .
. (3) D. Mornet, L'Alexandrin français dans la deuxième moitié du
XVIIIe siècle, Toulouse, 1907. EDOUARD GUITTON 22
rapport au vers classique et au vers romantique, ces entités
absolues. De plus, son étude n'envisage que les coupes et né
glige le problème bien plus important des accents : il voit les
vers sans les entendre et ramène le progrès réalisé au concept
peu exact de dislocation, sans doute en souvenir de Victor Hugo.
Des travaux plus récents (4) et mes propres lectures m'inci
taient à revoir la question. Elle est techniquement complexe,
et se rattache à la révolution du langage provoquée par l'éclo-
sion d'une philosophie nouvelle, le sensualisme. Il ne s'agit
pas seulement de savoir comment le vers français a fait peau
neuve vers 1760, mais pourquoi il a voulu se transformer. Au
XVIIIe siècle plus que jamais la poésie passe par la versifica
tion, mais elle ne s'y épuise pas : elle est, elle veut être un lien
entre l'homme et la nature. En théorie, les raisonneurs des
lumières ont envisagé à peu près toutes les conquêtes réalisées
par les symbolistes et leurs successeurs (5). Dans la pratique,
jusqu'où est allée leur audace ? Voilà ce que je voudrais
vous montrer par des exemples.
A ceux qui essayaient de libérer le vers français des vieux
moules, deux voies se sont offertes : celle de l'ingéniosité et
celle du dynamisme, définissant ce que j'appellerai, pour la
commodité de l'exposé, l'école de Condillac et l'école de
Diderot, et je m'expliquerai, chemin faisant, sur cette déno
mination. Elle sera la raison de mon plan : introduire des
mètres, ou des éléments de mètre à l'intérieur du vers jusqu'à
autoriser qu'on y batte la mesure des longues et des brèves, et
d'autre part faire déborder le vers hors de son cadre en mult
ipliant les enjambements, telles sont les deux tentatives de
libération que je voudrais analyser successivement.
# #
Commençons par un exemple. Lorsque Louis Racine écrit
dans son Poème sur la Grâce (1720) :
(4) Notamment ceux de MM. Jean Fabre et Yves Le Hir, auxquels
cette étude doit beaucoup.
(5) On le savait dès 1916 grâce à l'admirable nomenclature de Hugo
P. Thieme, Essai sur l'histoire du vers français, Paris, Champion. TENTATIVES DE LIBÉRATION DU VERS FRANÇAIS DANS LA POÉSIE 23
— (De ce vil vermisseau j'entends la voix qui crie,)
Dieu m'a fait, Dieu m'a fait, Dieu m'a donné la vie (6).
il n'a pas l'intention de faire entendre à son lecteur deux dac
tyles ou d'isoler trois temps forts au milieu de temps faibles :
l'anaphore et la répétition, sans interrompre l'écoulement
sonore, intensifient la majesté des mots et suggèrent l'im
mensité du pouvoir divin. Ou encore, l'accumulation des
coupes, sans détruire la régularité sacrée du vers, crée un
effet de tension dramatique analogue à l'idée rendue, un dia
logue pathétique de l'âme avec son créateur :
— Tu me mènes, je vais ; tu parles, j'obéis ;
Tu te caches, je meurs ; tu parais, je revis.
— Il touche, il endurcit, il punit, il pardonne,
II éclaire, il aveugle, il condamne, il couronne.
S'il ne veut plus de moi, je tombe, je péris ; veut m'aimer encor, je respire, je vis (6).
Soit au contraire ces vers extraits du Jeune Malade de
Chénier :
— Apollon, Dieu sauveur, Dieu des savants mystères,
Dieu de la vie, et Dieu des plantes salutaires, vainqueur de Python, Dieu jeune et triomphant...
— Tout me pèse ; et me lasse. Aide-moi. Je me meurs.
— О coteaux d'Erymanthe ! ô vallons ! ô bocage !...
— О visage divin : ô fêtes ! ô chansons !...
— Prends mes jeunes chevreaux, prends mon cœur,
prends ma vie... (7)
Une diction syncopée, l'état de fièvre du personnage qui
parle, l'insistance des exclamations et des répétitions créent
le rythme à sauts et saccades : nous entendons encore des
alexandrins, mais nous entendons aussi des mètres scandés,
et notamment des dactyles. La psalmodie a fait place aux
pulsations.
On assiste, entre 1720 et 1780, à une mue du vers français.
A la continuité sonore des classiques (Rien n'est beau que le
vrai, le vrai seul est aimable) tend à se substituer une discon
tinuité sonore imitée des Anciens. « La structure des vers
(6) Louis Racine, La Grâce, chant I.
et (7)133. A. Chénier, Bucoliques, éd. Dimoff (Delagrave, tome I), pp. 129 EDOUARD GUITTON 24
français », écrivait un contemporain de Boileau, « ne consiste
proprement qu'en un certain nombre de syllabes, et non pas
en pieds composés des syllabes longues et brèves, comme
les vers Grecs et Latins » (8). Une manière d'entendre et de
prononcer notre langue fonde cette doctrine qui s'accorde à
une vision rationaliste ou géométrique de l'univers : l'iso-
chronisme des syllabes satisfait à la fois l'oreille et l'esprit et
permet de définir la poésie par la notion de nombre. Saint-
Lambert est le dernier en France à respecter scrupuleuse
ment ce principe dans Les Saisons (1769) et ce conservatisme
poétique déçoit beaucoup ses lecteurs. Les vers les plus sou
vent cités du poème :
Tout est morne, brûlant, tranquille, et la lumière
Est seule en mouvement dans la nature entière (9).
ne sont admirables que parce que leur immobilisme frappant
dépeint l'immobilité de la nature écrasée sous le soleil d'été :
c'est une réussite a contrario.
Car, dès le début du siècle, l'atonie du français passe pour
une infirmité et se voit dénoncée comme un vice rédhibitoire
par les adversaires de la poésie. On compare, pour l'humilier,
notre langue avec le grec et le latin ou avec les idiomes étran
gers. Des besoins linguistiques nouveaux se font sentir : le
phonétisme syllabique commence à supplanter le simple dé
compte des syllabes. La nouvelle école tiendra compte du
volume et même du poids des mots : la modulation transforme
la prononciation. L'auteur d'un poème sur La Peinture publié
en 1755 commente ainsi le vers suivant (il s'agit d'Etéocle
et de Polynice) :
L'un vers l'autre avec joye on les vit s'avancer.
« Ce vers doit être prononcé lentement, pour faire sentir l'e
spèce de joye dont je parle : joye barbare et menaçante et pour
laquelle notre langue semble manquer d'expression (10). »
(8) [Rhétorée de la Croix] , L'Art de la Poësie française ou la mé

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