Mémoire : art et hallucination chez Rimbaud - article ; n°1 ; vol.23, pg 163-179
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1971 - Volume 23 - Numéro 1 - Pages 163-179
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1971
Nombre de lectures 74
Langue Français

Extrait

John C. Lapp
Mémoire : art et hallucination chez Rimbaud
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1971, N°23. pp. 163-179.
Citer ce document / Cite this document :
Lapp John C. Mémoire : art et hallucination chez Rimbaud. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises,
1971, N°23. pp. 163-179.
doi : 10.3406/caief.1971.980
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1971_num_23_1_980« MEMOIRE » : ART ET HALLUCINATION
CHEZ RIMBAUD
Communication de M. John С. LAPP
{Université Stanford)
au XXIIe Congrès de Г Association le 23 juillet 1970.
On connaît l'importance, dans les Illuminations, de l'hallu
cination : « Je m'habituais à l'hallucination simple : je voyais
très franchement une mosquée à la place d'une usine, une
école de tambours faite par des anges, des calèches sur les
routes du ciel, un salon au fond d'un lac... Puis j'expliquais
mes sophismes magiques par l'hallucination des mots ! » (1).
Comme on va le voir, il ne fallait pas attendre les Illumi
nations ou Une Saison en Enfer pour mesurer les effets de
l'hallucination dans l'œuvre poétique de Rimbaud. J'espère
en effet montrer que Mémoire, poème d'apparence régul
ière, divisé en cinq parties composées chacune de deux quat
rains, en offre un exemple particulièrement significatif.
L'hallucination, en tant qu'activité littéraire, surtout celle
que provoquait la drogue, avait déjà depuis quelque temps
droit de cité à l'époque où Rimbaud écrivait Mémoire :
écrivains, critiques et théoriciens s'occupaient de ses effets,
et y cherchaient une confirmation pseudo-scientifique de
(1) Rimbaud, Œuvres, éd. S. Bernard (Garnier, i960), « Alchimie du
Verbe », p. 230. Les références renvoient à cette édition. JOHN C. LAPP 164
l'inspiration platonicienne. Parmi les écrits divers consacrés
au sujet, et dont le plus remarquable reste, bien entendu, les
Paradis artificiels de Baudelaire, très influencés par De Quin-
cey, on décèle certains dénominateurs communs par rapport
à l'expérience hallucinatoire : i) Le dédoublement : « Vous
gardez, il est vrai, la faculté de vous observer vous-même. »
2) Suppression du temps : « Tout à l'heure l'idée du temps
disparaîtra complètement. » 3) Disparition de la personnal
ité et confusion de l'être avec le monde extérieur : « De
temps en temps la personnalité disparaît. L'objectivité...
devient telle que vous vous confondez avec des êtres exté
rieurs. » De plus, Baudelaire suggère un rapport entre l'hall
ucination et la mémoire en écrivant : « Demain vous aurez
conservé le souvenir de quelques-unes de vos sensations » (2),
mais ceci, semble-t-il, n'a trait qu'à la possibilité de conserver
en tant que matériel littéraire l'expérience produite par
l'hallucination. C'est Flaubert qui, dans une lettre à Taine
que j'ai citée dans un article sur l'hallucination dans Madame
Bovary, relie le plus spécifiquement hallucination et mémoire,
en parlant de ses propres accès : « II y a toujours terreur, on
sent que votre personnalité vous échappe, on croit qu'on va
mourir. Puis, tout à coup, comme la foudre, envahissement
ou plutôt irruption instantanée de la mémoire, car l'hallu
cination proprement dite n'est pas autre chose — pour moi,
du moins — . C'est une maladie de la un relâch
ement de ce qu'elle recèle. » Une fois ces hallucinations
subies, Flaubert devait poursuivre toute sa vie l'effort de
les reconstituer : « Je tâchais, par l'imagination, de me donner
facticement ces horribles souffrances. J'ai joué avec la démence
et le fantastique comme Mithridate avec les poisons (3). »
De cette façon Flaubert passe de la spontanéité de l'expé
rience hallucinatoire à la recherche du matériel littéraire,
se rencontrant ici avec Baudelaire, qui nous confie : « J'ai
cultivé mon hystérie avec jouissance et terreur (4). » Fina-
(2) Baudelaire, Œuvres (Bibliothèque de la Pléiade, 195 1), pp. 427,
426, 455, 427.
(3) Voir mon article, « Art and Hallucination in Madame Bovary »,
French Studies, XII (1957), p. 145-156.
(4) Œuvres, éd. citée, p. 480. « MÉMOIRE » : ART ET HALLUCINATION CHEZ RIMBAUD 165
lement, dans un intéressant post-scriptum à son livre sur
Proust, G. Poulet rapproche de la mémoire involontaire un
phénomène qui a intéressé Bergson : « l'aperception hyper-
mnésique de leur vie entière par certaines personnes en
danger de mort ou en train de mourir (5). » Poulet cite le
livre de Ribot, publié en 1881, dont le titre Les Maladies de
la mémoire fait étrangement écho à la phrase de Flaubert.
Ribot souligne un passage de Quincey qui décrit l'expérience
d'une parente qui se noyant, aurait vu « en un moment
sa vie entière dans ses plus infimes incidents déployée
devant elle simultanément comme dans un miroir ». Ainsi
s'ajoute à la tradition le rôle de la mémoire en tant que source
des visions hallucinatoires dans une atmosphère de terreur
et de mort.
A bien des égards, la poétique de la célèbre lettre « du
Voyant » correspond à cette tradition ; « Je est un autre »
exprime avec netteté l'idée du dédoublement. Le poète
est témoin de lui-même, et reste détaché : « J'assiste à l'éclo-
sion de ma pensée : je la regarde, je l'écoute...». Finalement,
Rimbaud propose à son tour la tentative de reconstitution
de l'expérience : « Le poète se fait voyant par un long, immens
e et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes
d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il
épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les
quintessences. » Cette recherche se retrouve dans Les poètes
de sept ans, où le personnage de l'enfant, « Gisant au pied du
mur enterré dans la marne... pour des visions écrasait son
œil darne » (6).
J'aimerais donc examiner le poème très complexe qu'est
Mémoire à la lumière de ce que l'on pourrait appeler la
méthode hallucinatoire ; c'est-à-dire, l'effort conscient du
poète pour reproduire dans ce poème l'activité de la mémoire
au moment de l'hallucination. J'insisterai sur deux aspects :
les visions, et la technique poétique. Il faut dire tout de
suite que ces deux aspects se rejoignent, car emprunter la
Œuvres, G. Poulet, p. 95. L'Espace proustien (Gallimard, 1963), p. 141.
Ш l66 JOHN С. LAPP
méthode hallucinatoire - on a vu s'il s'agit bien d'une —, c'est faire exploser les cadres de l'expérience
traditionnelle et en partie, comme le dit J. L. Baudry dans
deux articles intéressants, tenter de « détruire la fonction
expressive et représentative du langage » (7). De même la
technique du poème, comme j'essaierai de le montrer, récuse
systématiquement un certain type de poésie de la mémoire
où le poète se rappelle complaisamment les événements de
sa vie passée {Souvenir de Musset).
Je ne compte apporter aucun éclaircissement quant à
l'exégèse du poème. Non seulement il serait difficile d'aller
plus loin que n'ont fait les études récentes, et notamment
celle de R. Chambers (8), mais j'aimerais, plutôt que d'essayer
d'expliquer Mémoire selon un quelconque ordre représent
atif, l'interroger en tant qu'exemple d'œuvre hallucinatoire,
suivant les diverses caractéristiques que je viens d'énu-
mérer.
On se rappelle que, quant à l'aspect visuel de l'halluci
nation, Rimbaud disait voir entre autres « une mosquée à
la place d'une usine ». Je verrais dans ce phénomène où une
vision vient se mettre à la place d'une autre un effet de
superposition qui correspond au dédoublement halluci
natoire. Ainsi, dans le dyptique des deux premières strophes,
chacun des substantifs avec l'article défini, au lieu de cons
tituer une accumulation d'objets ou de visions, a pour effet
de remplacer le précédent, sans pour autant le supprimer.
On pourrait

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