Montesquieu et l humanisme latin - article ; n°1 ; vol.35, pg 235-250
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1983 - Volume 35 - Numéro 1 - Pages 235-250
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1983
Nombre de lectures 57
Langue Français

Extrait

Madame Corrado Rosso
Montesquieu et l'humanisme latin
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1983, N°35. pp. 235-250.
Citer ce document / Cite this document :
Rosso Corrado. Montesquieu et l'humanisme latin. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1983,
N°35. pp. 235-250.
doi : 10.3406/caief.1983.2415
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1983_num_35_1_2415ET L'HUMANISME LATIN MONTESQUIEU
Communication de M. Corrado ROSSO
(Bologne)
au XXXIVe Congrès de l'Association, le 22 juillet 1982.
Afin d'éclairer l'humanisme latin de Montesquieu, nous
énumérerons ici certains traits caractéristiques composant le
type de l'humanisme et ses attitudes dominantes. Il s'agit d'un idéal, systématiquement et artificiellement bâti, qui nous
permet de saisir des lignes directrices et des tendances privilé
giées tant dans la réalité culturelle de l'humanisme que dans
l'anthropologie des humanistes. Il va sans dire que cette
méthode typologique renvoie à celui qui l'a fondée et magis
tralement illustrée, à Max Weber.
Nous n'étudierons pas la place de Montesquieu parmi les
archéologues du xvnť siècle. C'est une place plutôt modeste,
comme l'a fait remarquer Wilamowitz : Voltaire et d'autres
illustres contemporains de notre écrivain n'en occupent pas,
d'ailleurs, une meilleure. Nous n'avons pas davantage l'inten
tion d'examiner la connaissance que Montesquieu avait de
la langue latine. Nous n'essayerons pas non plus d'identifier
les auteurs et les lieux de nombreuses citations latines que
nous trouvons dans son œuvre. Nous n'étudierons pas ses
jugements sur la civilisation ou l'histoire romaine, et nous ne
dresserons pas un inventaire critique des auteurs latins pré
sents dans son œuvre. Il va sans dire enfin que l'humanisme
dont il est question ici est surtout d'inspiration latine ; pour
Montesquieu et la civilisation grecque, nous renvoyons à la
mise au point très utile de Raymond Trousson (1).
(1) Montesquieu et les Grecs, dans : Bulletin de l'Association
Guillaume Budê, 1968, pp. 273-282. 236 CORRADO ROSSO
Dans son élan passionné vers les Anciens, l'humaniste finit
par les assimiler à ses contemporains. Il s'adresse à eux comme
s'ils le côtoyaient : d'autant plus que leur langue est désormais
ressuscitée, purifiée, arrachée à l'ombre et à la poussière
des cloîtres, exempte de déformations médiévales. D'où la
tentation de considérer le latin comme une langue vivante et
de s'en servir.
Montesquieu lui aussi se sert du latin comme d'une langue
vivante. Dans une lettre à Berwick (2), il raconte avec un
plaisir évident une conversation qu'il a eue à Presbourg avec
un évêque de Belgrade. Ici le latin joue le rôle d'une langue
intermédiaire permettant de se comprendre : mais presque
certainement les deux interlocuteurs se sont pris à ce jeu
« humaniste » :
Le second jour de mon arrivée, un évêque de Belgrade,
nommé Nadasti me prit si fort en affection chez M. le
Palatin, qu'à force de me porter des santés excellentissimo
domino palatino, serenissimo principi primáti, ad ordines
et status regni Hungariae, ad principům christianorum
concordiam nous nous enivrâmes mutuellement et il me
disait toujours : Veni mecum Belgradium, habeo bonos
equos qui пес denarium tibi constabunt et moi je lui répond
ais : Vestra Reverentia tam bene bibit ut me occideret
prima die.
Ici Montesquieu et son gai compagnon ont créé de toutes
pièces un discours en latin. Le plus souvent, d'après un
procédé fort pratiqué par les humanistes, il applique, à la
réalité, des vers ou des sentences qu'il emprunte aux auteurs.
Il est des cas où la sentence latine fait penser à un pastiche
dont on a du mal à repérer l'original (mais existe-t-il seule
ment ?), comme ici :
Les Moines : Genus hominum quod damnabitur semper et
semper retinebitur (3).
(2) Lettre du 2 juillet 1728, de Vienne. Nous citons, en modernisant
l'orthographe, d'après l'éd. Masson, Œuvres complètes, Paris, Nagel,
t. 1П, 1955, pp. 897-898. Le morceau a été biffé par l'auteur.
(3) Pensées, 1323-902 (sauf pour la correspondance, nous citons
d'après l'éd. de la Pléiade, en modernisant l'orthographe ; pour les
Pensées, le premier chiffre est celui de la Pléiade, le deuxième celui
du manuscrit). ET L'HUMANISME LATIN 237 MONTESQUIEU
Le latin contribue à donner à l'expression une force irré
versible. Roma locuta est, lis finita est... Dans d'autres cas,
le recours au latin sert à rendre le jugement plus impératif et
plus tranchant, comme ici :
Je disais des « Journaux de Trévoux * que, si on les lisait,
ils seraient le plus dangereux ouvrage qu'il y eût, dans leur
projet de se rendre maîtres de la littérature : Ut haberent
instrumenta servitutis et ephemerides (4).
Assez souvent, le vers ou la sentence, cités ou forgés, ont
pour fonction de ponctuer le discours (par exemple dans la
correspondance), de souligner, de rehausser, de commenter
les qualités d'un personnage ou d'un individu, le caractère
d'une nation ou d'un groupe de personnes, etc. Ce procédé se
situe à mi-chemin entre l'épigraphe et l'illustration. Pour s'en
rendre compte il suffit de s'arrêter sur l'ensemble des Pensées
que Barckhausen a réunies dans la section Citations (5). Un
aspect du style de Montesquieu est même éclairé par le recours
à un vers latin. Le vers que Virgile emploie pour Ascagne
(Qualis gemma micat, fulvum quae dividit aurum) (6) est
repris par Montesquieu quand il fait allusion aux traits sail
lants, qui « ne doivent être que sur les tissus d'or : ils sont
puérils lorsque le sujet est puéril. »
Mais le latin est aussi le véhicule de la tradition sacrée la
plus importante de l'Occident : la langue de l'Eglise, de la
Bible et des auteurs chrétiens. On pourrait aligner ici les
citations latines empruntées à la Bible (ou aux auteurs chré
tiens) qui émaillent l'œuvre de Montesquieu. Mais, pour les
(4) Ibid., 948-1954.
(5) Œuvres complètes, Bibl. de la Pléiade, 1. 1, Paris, 1949, pp. 1043-
1046.
(6) Pensées, 800-1955. Il s'agit d'un vers de YEnêide, X, 134. A.
Bellessort traduit : « ... Brille comme une pierre précieuse qui, sertie
d'or fauve... » (Paris, Les Belles Lettres, p. 260). Montesquieu devait
aimer ce vers, puisque nous le trouvons aussi dans les Choses que
je n'ai pas mises dans ma « Défense » {Œuvres complètes, Pléiade,
t. П, Paris, 1951, p. 1167). 238 CÛRRADO ROSSO
fins que nous nous proposons (7), cela n'aurait pas grand
intérêt. Remarquons plutôt que ce mélange que Montesquieu
réalise plus ou moins inconsciemment de la tradition chré
tienne et de la tradition classique dans l'unité d'une langue
doublement sacrée évoque les rapports étroits entretenus par
les humanistes avec le christianisme. Aucun historien sérieux
aujourd'hui n'oserait opposer l'humanisme au christianisme
avec la brutalité ou le schématisme de jadis. Notons cependant
que le mariage de Montesquieu avec la Bible n'est pas toujours
aussi solennel et aussi respectueux que le sacrement l'exigerait.
Nous trouvons parfois des pastiches et des étincelles d'ironie.
Il est des cas où l'humaniste joue avec le philosophe, comme
ici :
Quand Helvétius passa à Bordeaux, on courait à lui comme
à l'ombre de Saint-Pierre : Non inverti tantam fidem in
Israël (8)
ou comme ici :
Spiritus ubi vult spirat, sed non ultra Alpes, car il faut
que le Pape soit italien (9).
Dans nos travaux précédents (10), nous avons souligné
l'importance décisive qu'a pour Montesquieu la forme de la
« maxime ». Montesquieu, tout comme les humanistes, est
fortement attiré par la maxime latine, qu'elle soit une consé
cration glorieuse ou bien une simple inscription qui fixe un
événement en lui conférant un halo doxologique, ou, encore,
mais moins souvent, une épitaphe. Ce goût épigraphique est
partout présent dans son œuvre : à preuve le trop célèbre
Prolem sine matre creatam pour YEsprit des Lois (11), Ut
lapsu graviore ruant pour les Considérations, etc.
(

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