Nerval, Gautier et le type biondo e grassotto - article ; n°1 ; vol.18, pg 189-204
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1966 - Volume 18 - Numéro 1 - Pages 189-204
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1966
Nombre de lectures 44
Langue Français

Extrait

Monsieur Georges Poulet
Nerval, Gautier et le type "biondo e grassotto"
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1966, N°18. pp. 189-204.
Citer ce document / Cite this document :
Poulet Georges. Nerval, Gautier et le type "biondo e grassotto". In: Cahiers de l'Association internationale des études
francaises, 1966, N°18. pp. 189-204.
doi : 10.3406/caief.1966.2317
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1966_num_18_1_2317GAUTIER NERVAL,
ET LE TYPE BIONDO E GRASSOTTO
Communication de M. Georges POULET
(Zurich)
au XVIIe Congrès de V Association, le 30 juillet 1965
I
Le thème qui est l'objet de cet exposé apparaît pour la
première fois dans le poème bien connu de Nerval, intitulé
Fantaisie, qui date de 1832. Il faut le citer intégralement :
II est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très-vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets !
Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit...
C'est sous Louis treize ; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert que le couchant jaunit,
Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que, dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue... et dont je me souviens !
La précision du détail est remarquable. Le poème consiste
en un système d'informations relatives à une figure centrale I9O GEORGES POULET
et au cadre dans lequel elle fait son apparition. Voici le lieu,
qui est la haute fenêtre d'un château de brique à coins de
pierre, gîté en son grand parc. Voici l'époque, située deux
cents ans avant celle où vit le poète-témoin. Et voici l'heure,
qui est celle du couchant. En ce cadre déterminé, une figure
féminine se découvre, celle d'une blonde aux yeux noirs,
revêtue d'un costume ancien. Le poème se ramène à ces deux
éléments, un type et son cadre. Or, ces deux éléments, d'où
Nerval les a-t-il tirés ?
Pour ce qui est de la femme, point de doute. Nerval ne
l'a pas rencontrée dans quelque existence antérieure mais dans
les livres. Cette figure est tout simplement un type de beauté
mis à la mode par les poètes romantiques. On en connaît
l'origine. Celle-ci ne se trouve nullement dans la vie de Nerval
mais dans celle d'un écrivain infiniment plus célèbre que lui
à cette époque, Lord Byron.
En janvier 1819, dans le second chant de son Don Juan,
Byron faisait en ces termes le portrait de son héroïne :
Her hair, I said, was auburn, but her eyes
Were black as death.
Haidée, héroïne du poème byronien, est la première des
blondes aux yeux noirs qui seront chantées dans la poésie
romantique. Elle n'est d'ailleurs, dans le Don Juan, que la
transposition fidèle d'un être réel, la fameuse maîtresse du
poète, la Comtesse Guiccioli : « Ses cheveux, dit de cette der
nière une contemporaine, Lady Blessington, sont de ce blond
d'or particulier aux femmes de Titien et de Giorgione... Elle
a le buste et les bras d'une beauté exquise, rappelant les meil
leurs types de l'école vénitienne. »
Remarquons en passant cette première association de la
femme blonde avec le type de beauté préféré par les peintres
vénitiens. Nous en verrons plus tard l'importance. Conten
tons-nous pour l'instant de souligner le succès de cette figure
byronienne. C'est elle qu'on retrouve, par exemple, dans un
poème imité du Don Juan, le Mardoche d'Alfred de Musset.
Voici comment s'y trouve décrite l'héroïne : GAUTIER ET LE TYPE BIONDO E GRASSOTTO ICI NERVAL,
•4
J'adore les yeux noirs avec les cheveux blonds.
Tels les avait Rosine.
Et pour que le lecteur n'oublie pas cette particularité,
quelques lignes plus loin Musset la lui rappelle :
Lecteur, remarquez bien cependant que Rosine
Était blonde, l'œil noir...
Si, quelque temps à peine après la publication de Mar-
doche, la blonde aux yeux noirs fait son apparition dans le
poème de Nerval, n'allons donc pas en chercher la cause dans
un épisode de la vie de celui-ci. Comme Musset, Nerval
s'inspire d'un idéal littéraire, il retrace un type inventé, ou
plutôt poétisé, par un écrivain qu'il admire, Pourtant — et
ceci à la différence de Musset comme de Byron, — la blonde
nervalienne ne commence pas par être associée à un décor
vénitien. Elle apparaît reliée à un cadre différent : un château
Louis XIII, ceint de grands parcs. Il est donc permis de se
demander d'où vient cette intrusion d'un décor français
auprès d'une figure indubitablement exotique. Or, pour
répondre à cette question, il faut se rappeler un certain
nombre de faits, d'ailleurs bien connus. D'abord, l'amitié
extrême qui lie Nerval à un autre poète, Théophile Gautier.
Ils se connaissent depuis le lycée. Ils collaborent. Ils se
relaient pour écrire le même feuilleton. Ils rêvent d'écrire
ensemble certain recueil collectif et même un roman qui aurait
pour titre Confessions galantes de deux gentilshommes périgour-
dins. Enfin, ils vont vivre en commun, Impasse du Doyenné.
Bref, ils échangent expériences, sentiments et idées. D'autre
part, en 1830, les parents Gautier viennent s'installer avec leur
fils place Royale, juste à côté de la maison où, quelque deux
ans plus tard, Victor Hugo habitera à son tour. Donc, pen
dant les années qui avoisinent la publication du poème de
Nerval, la place Royale, future place des Vosges, ne peut
manquer de jouer un rôle dans l'expérience, dans les souven
irs, dans l'imagination, d'abord de Théophile Gautier,
ensuite, comme par contamination, de son ami Nerval.
Ceci n'est pas une pure hypothèse. En 1832, l'année même 10.2 GEORGES POULET
où il publie Fantaisie, Nerval fait paraître un récit dont les
premières lignes contiennent une description de la place
Royale :
Rien n'est beau comme ces maisons du siècle dix-septième dont
la place Royale offre une si majestueuse réunion. Quand leurs faces
de brique entremêlées et encadrées de coins de pierre, et quand leurs
fenêtres hautes sont enflammées des rayons splendides du couchant,
vous vous sentez, à les voir, la même vénération1 que devant une
cour des parlements assemblée en robes rouges à revers d'hermine.
Ici, sans doute, le personnage central est absent, la scène
reste vide. Mais si, dans ce conte qui est la Main enchantée,
la fille blonde aux yeux noirs manque au décor, celui-ci se
présente à nouveau sous le double aspect local et temporel
que nous lui connaissons : façade de brique à coins de pierre,
heure du couchant. Si précises toutefois que soient ces simi
litudes, le rapprochement entre le conte et le poème de Nerv
al resterait chose douteuse, si nous n'avions précisément
un texte de Gautier qui fait le pont entre les deux parties du
thème et qui décrit même le mouvement d'imagination par
lequel elles se joignent.
Ce texte est de juin 1834. Il a paru dans la France littéraire.
C'est un passage de l'article consacré par Gautier à Théophile
de Viau, dont il fera par la suite un chapitre des Grotesques.
Gautier y pratique ce qu'on appellera plus tard le genre
Louis XIII.
Dans ce texte, il commence par décrire, non pas la place
Royale, mais un parc de château. C'est le parc de Chantilly,
où Viau décrivit Sylvie. Paysage non plus citadin mais rus
tique, où se retrouvent pourtant les traits essentiels d'une
architecture Louis XIII : « Ce sont des terrasses avec des
angles de pierre, écrit Gautier, de grandes fleurs épanouies
dans des vases de marbre, des rampes à pente douce et à
balustres ventrus. C'est un parc Louis XIII dans toute sa
magnificence. » Or ce parc est peuplé, peuplé non seulement
d'êtres vivants mais de statues. Elles attirent le regard du
poète et excitent son imagination plastique. Il s'agit de nym
phes qui le font penser aux néréides

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