Passage du poème : interrogation du seuil - article ; n°1 ; vol.30, pg 225-243
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1978 - Volume 30 - Numéro 1 - Pages 225-243
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1978
Nombre de lectures 39
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Professor Mary Ann Caws
Passage du poème : interrogation du seuil
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1978, N°30. pp. 225-243.
Citer ce document / Cite this document :
Caws Mary Ann. Passage du poème : interrogation du seuil. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises,
1978, N°30. pp. 225-243.
doi : 10.3406/caief.1978.1174
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1978_num_30_1_1174IV
LE PASSAGE DU POÈME :
INTERROGATION DU SEUIL
Communication de Mme Mary Ann CAWS
(New York)
au XXIXe Congrès de V Association, le 27 juillet 1977.
I. — PASSAGE ET PROJECTION
Parmi les rites de passage qui nous intéressent, la poésie est
prédominante. Séparation, liminalité, réagrégation : les étapes
que distingue Van Gennep suffisent à nous montrer un chemin
pour nos recherches, chemin proprement cyclique et englobant
entièrement la personnalité de celui qui participe aux rites, le
passager du poème en mouvement, le célébrant toujours
éphémère mais dont la lignée se renouvelle, dont les expériences
peuvent pourtant se répéter « Toujours pour la première
fois ».
Le titre de la nouvelle revue Poésie est coupé en son centre par
un signe généralement réservé à la comptabilité, ce et qui indique
à la fois, selon la rédaction de la revue, conjonction et disjonc
tion. C'est précisément le signe de ce que nous entendons ici
par le mot passage : ce qui lie et sépare, se trouvant entre deux
choses ou deux étapes, par extension, entre deux attitudes ou
deux endroits, comme la galerie couverte et ouverte à la fois.
Nous optons pour cette voie ouverte, dans laquelle nous incluons
également une formule d'Edmond Jabès, « Je, voix vécue »
(E., 24) (1). Compte tenu du passage voie-voix que la phonétique
nous facilite, notre propre se fera au carrefour de ces
(1) Edmond Jabès, Le Livre des questions (Gallimard, 1963) (LQ.); Le Retour
au Livre (Gallimard, 1965) (RL.); Yael 1967) (Y.); Elya (Gallimard,
1969) (E); Aely (Gallimard, 1972) (A); El ou le dernier livre
1973) (El).
15 226 MARY ANN CAWS
deux voies, entre chemin et parole. Tout en refusant la stabilité
de ce que Jacques Réda appelle « l'œil fixe » (R., 64) (2), notre
vision, si ouverte soit-elle, aura quand même de la peine à se
faire œil nomade au sens extrême — « œil sans foyer », dirait
Réda, et d'autres : « œil décentré » — . Par contre, cet « œil
circulaire » dont il nous parle se rapproche peut-être davantage
de notre propre voie ouverte, mais non vouée au vagabondage
absolu. Car la vision est quand même retenue par un certain
contexte matériel, par quelques préférences ou obsessions; il
y a une limite passionnelle à l'errance, une détermination
innée qu'il faut accepter. Ceci dit, nous allons tenter, sans autre
excuse pour notre parti-pris, de méditer une poétique du pas
sage qui pourra maintenir un centre et une volonté de mou
vance — un centre mobile, dirait Octavio Paz (3).
A. — Jardin, fissure
Autrefois, suppose-t-on, il existait une enceinte bien clôturée
pour les poèmes, qui fleurissaient à l'abri : « ces hauts jardins
renfermés » (l'expression est de Jacques Dupin) avaient leur
lieu à l'écart des passages ordinaires. Le code du poème était
autrefois clair : il s'appliquait même aux naufrages et aux
doutes. Il avait de l'espace, privilégiait certains moments, qui
garantissaient le centre de cohérence. La poétique formait un
domaine en soi.
Prolifèrent à présent les images de cruche cassée, de murs
lézardés, de poème comme une robe ou une feuille déchirée, de
mots déjà fendus, Dupin les décrit :
Commencer comme on déchire un drap, le drap dans les plis
duquel on se regardait dormir (G., 76) (4).
Il vaut la peine de remarquer que, si Breton mettait le feu à la
chambre pour se libérer de son corps, ici on déchire les appuis,
(2) Jacques Réda, Récitatif (Gallimard, 1970).
(3) Octavio Paz, « Centre mobile », Renga (Gallimard, 1971) (R), p. 119-129.
(4)Dupin, Gravir 1963) (G.); L'Embrasure (Gallimard,
1969) (Em.); Dehors (Gallimard, 1976) (De.). LE PASSAGE DU POÈME : INTERROGATION DU SEUIL 227
les alentours, ce qui a l'air de laisser le narrateur à distance du
drame. Mais le geste n'en est pas moins efficace. Depuis un
certain temps, les titres choisissent le discontinu : Bifur, Rupture,
Brèche, Faille, Clivages, Le Livre en deux. Les hauts jardins ont
été pénétrés et le seront toujours dorénavant par de nouvelles
fentes.
Marcelin Pleynet, ayant vu autrefois la poésie « en attente
du paysage », avoue que partout, à présent, « le paysage s'inte
rrompt » et se tourne vers des textes de rupture (5). A l'époque de
la poésie ininterrompue d'Éluard succède l'époque de la poésie
interrompue qui est la nôtre. En témoigne Philippe Sollers, dans
son texte récent intitulé Paradis :
comme elle est rare de moins en moins rare la sensation que tout
est covivant cocrevant, que c'est devenu miette à miette perçant
lézardant la coque en nullant... (6).
L'ancienne déclaration optimiste d'Éluard : « Je suis au centre du
temps je cerne l'espace » correspondait à celle de Breton, égale
ment optimiste, d'un Breton sûr de sa « Vigilance », dont le der
nier vers est : « Je tiens le fil. » Ces deux déclarations s'effacent à
présent devant la conviction opposée : que le labyrinthe est
mobile, que le fil est multiple, et que le temps fait son passage
sans que l'esprit humain lui fournisse un centre, sans qu'il lui
accorde le droit de passage dans son champ de conscience.
Puisque nous sommes dépourvus de situation privilégiée, avant
et après, dedans et dehors, au centre et partout, la possibilité
d'interroger seule nous reste et nous forme; en fait, dit Jabès,
« La question nous écrit » {Ely a, 123). Puisque, dit-il, tout écrit
est aussi récit, histoire et verbe se mêlent à toute la question
passionnelle de passage, temporel ou spatial, ou les deux. A
l'interrogation jabésienne : « La question du livre est-elle ques
tion du chemin? », la réponse, ambivalente, concerne encore
une fois l'origine et englobe la question en son centre : « La
question toujours précède la » (A., 82). La question
sert à frayer passage, à ouvrir le texte, la phrase, le mot même.
(5) Marcelin Pleynet, Paysages en deux, suivi de Lignes de la prose (Seuil,
1963) (PD.).
(6) Tel Quel, été 1977, ne 70. 228 MARY ANN CAWS
Comme le doute : là où le mot ou le texte paraîtra trop clair,
ouvrons un passage imprévu. C'est ainsi que, pour parler de
cette opération positive qu'est le passage, et de la nature de
notre poésie qui le permet, l'encourage, le demande même, nous
voudrions partir de ce qui offre l'apparence du négatif — la
brèche, la faille, la fente dans le mur — , dans le moment où
ce qui a été autrefois accepté comme un tout — linguistique,
littéraire, psychologique — se montre essentiellement dans sa
rupture, surface autrefois lisse et maintenant entamée. Ce serait
comme le rite d'un passage, celui du poète et le nôtre en même
temps.
Ce passage se fera par une brèche, dans le code — ouverture
qui rapprochera le poème de la blessure, souvent de la blessure
de la naissance. Jacques Garelli, poète de la rupture s'il en fut,
prend sa place entièrement dans la brèche : « Sur cette œuvre
repliée, face à vous, je romps... (В., 43) (7). A la place des « Jar
dins clos / Jardins d'hiver » (LP., 61-62), il contemplera « la
fissure à l'œuvre se mouvant... » Pour fleurir, le jardin n'avait-il
pas besoin d'une ouverture violente et par là-même productrice?
Il est dit que la bêche ouvrira ce ton
plus haut dans le jardin que l'arbre fleurira (В., 47).
Edmond Jabès utilisera aussi ces outils de jardinage, de
moisson, pour que le mot fleurisse. Comme le jardin de Garelli,
dont le sol est ouvert par la brèche, le vocabulaire jabésien se
trouvera multiplié par l'action de cette faux qu'il choisit. Elle
sépare les mots pour en recréer d'autres : la solitude, par
exemple, donnera le sol pour son savoi

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