Paul Bénichou et la littérature orale - article ; n°1 ; vol.56, pg 245-261
18 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Paul Bénichou et la littérature orale - article ; n°1 ; vol.56, pg 245-261

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
18 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 2004 - Volume 56 - Numéro 1 - Pages 245-261
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2004
Nombre de lectures 54
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Sylvia Roubaud-Bénichou
Paul Bénichou et la littérature orale
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 2004, N°56. pp. 245-261.
Citer ce document / Cite this document :
Roubaud-Bénichou Sylvia. Paul Bénichou et la littérature orale. In: Cahiers de l'Association internationale des études
francaises, 2004, N°56. pp. 245-261.
doi : 10.3406/caief.2004.1542
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_2004_num_56_1_1542PAUL BENICHOU ET
LA LITTÉRATURE ORALE
Communication de Mme Sylvia ROUBAUD-BÉNICHOU
(Université de Paris - Sorbonně)
au LVe Congrès de l'Association, le 8 juillet 2003
П у a quatre ou cinq ans, dans des pages restées inédites
et qui forment comme un long mémoire récapitulatif de
sa vie, Paul Bénichou, mon père, après avoir évoqué ses
origines familiales, son attachement passé et présent à la
France, et son détachement de toute croyance religieuse,
concluait ce retour sur lui-même en disant :
Plusieurs identités peuvent être le lot de tout homme. Dirais-je :
Heureux qui n'en a qu'une ? Non. On l'est aussi bien avec plu
sieurs, et légitimement, quand elles ne sont pas de celles qui peu
vent entrer en concurrence. Je suis donc quant à moi : Français
d'intention et de droit, juif de filiation et de souvenir, et libre pen
seur de conviction (1).
À ces trois appartenances, il aurait pu en joindre une qua
trième, qu'il a omise mais qu'il m'approuverait sûrement
de rappeler ici en le déclarant aussi Espagnol, Espagnol
de langue et d'inclination.
Cette fibre hispanique est celle qui, la première, Га
conduit à s'intéresser à la littérature orale ; elle est un legs
de ses lointains ancêtres maternels, juifs bannis d'Espagne
en 1492 par l'édit d'expulsion des Rois Catholiques et
(1) Citation extraite de confidences autobiographiques recueillies en 1997. 246 SYLVIA ROUBAUD-BÉNICHOU
venus se réfugier au Maroc où ils se sont transmis de géné
ration en génération la langue, désormais archaïque, de la
Castille du XVe siècle et, avec elle, les vieux romances qu'on
y chantait alors — ces créations poétiques anonymes, à la
fois rattachées, comme les ballads anglaises ou les chansons
populaires françaises, au fonds commun du folklore euro
péen et assez singulières dans leur forme et leur inspira
tion pour jouir d'un statut littéraire propre. Cet antique
héritage, mon père Га reçu très tôt, dès ses premières
années, de la bouche des femmes de sa parenté : plus
d'une fois il m'a décrit comment, dans son Algérie natale,
sa mère et ses tantes entonnaient à tour de rôle un des
vieux romances du répertoire familial afin d'endormir ou
de distraire leurs enfants à l'heure chaude de la sieste (2).
Plus tard, il allait raviver cet usage et cette transmission
d'héritage à mon intention ; dans la canicule des étés de
ma petite enfance, en Argentine, sa voix m'a bien souvent
bercée en me chantant tel ou tel des nombreux romances
dont j'apprendrais bientôt de lui le texte et la musique : sur
l'exemplaire qu'il m'offrit de son premier recueil de
romances en 1946, sa dédicace m'encourage avec bien
veillance à persévérer dans mon apprentissage.
Ce n'est pourtant qu'assez tard, il faut le souligner, et
par la voie détournée de la littérature française, que l'in
itiation précoce de mon père au Romancero a fini par porter
ses fruits et par le conduire à explorer cette part de ses
racines hispaniques. Pendant ses années de formation et
de jeunesse, adonné tout entier à la fréquentation des
grands auteurs français, c'est à eux, par priorité, qu'est
allée son attention et vers eux sans conteste que se sont
(2) « II se trouve que les Juifs d'Espagne, aussi bien ceux du Maroc que
d'Orient, ont conservé ces chansons : ils en ont un capital énorme. Je les ai
entendu chanter toute mon enfance chez ma mère et ses sœurs. Et surtout
les tantes de ma mère ; il y en avait une qui "savait" ; elle chantait pour les
enfants des romances du XIVe, du XVe siècle, entièrement conservés. Plus
tard, j'ai retrouvé les mêmes chez les vieux espagnols, et dans tous les pays
hispano-portugais » (« Parcours d'écrivain au carrefour des cultures. Entre
tien avec Paul Bénichou » par Laurence Roubaud et François Giraud, Revue
L'Autre. Cliniques, cultures et sociétés, 2001, vol. 2, n° 2, p. 224). LITTÉRATURE ORALE 247 LA
portées ses préférences et sa réflexion (3) : ses Morales du
Grand Siècle, commencées dès 1935, ont été achevées en
août 1940 à Bergerac, pendant l'exode, alors que le souven
ir des romances de son enfance, longtemps relégué à l'ar-
rière-plan de sa mémoire, ne semble lui être revenu que
vers 1938, à la lecture de l'un de ceux que cite tout au long
Corneille à la fin de Г« Avertissement » placé en tête de
l'édition de 1648 du Cid:
Delante el rey de Leon
doňa Ximena una tarde
se pone a pedir justicia
рог la muette de su padre.
Fora contra el Cid la pide,
don Rodrigo de Bivare,
que huérfana la dexó,
niňa, y de тиу роса edade. . .
(Devant le roi de Léon, /doňa Qiimène un soir /vint se
faire rendre justice /touchant la mort de son père. /Elle la
demande contre le Cid, /don Rodrigue de Vivar, /qui Га
rendue orpheline, /toute jeune et de peu d'années. . .) (4).
La coïncidence de ces vers avec ceux de la version conser
vée par sa tradition familiale l'incita alors à chercher auprès
d'un de ses collègues hispanistes, professeur comme lui au
Lycée Janson de Sailly, des informations touchant le Romanc
ero dont il ignorait jusque là la nature exacte — première
(3) « J'étais français, je parlais français, j'avais des amis français ; et je me
pénétrais studieusement et avec zèle de culture française... Les livres, la li
ttérature, c'était ma bible à moi. Je suis devenu, dès l'adolescence, un disciple
du Siècle et de la Philosophie des Lumières », ibid., p.222.
(4) Ce romance, traditionnellement intitulé Romance de las quejas de Jimena
(Ballade des plaintes de Chimène), est le second de la collection des Romances
judeo-esapňoles de Marruecos publiée par mon père ; dans ses commentaires il
signale que la version qu'il a recueillie à Oran est différente de celle, plus
tardive, que reproduit Corneille et il observe que ses informatrices connaiss
aient, à côté du texte ancien, la version cornélienne, introduite en Algérie,
lors de la colonisation française, en même temps que la lecture des clas
siques du Grand Siècle. Comme pour le reste des textes espagnols cités dans
cette étude, j'offre ici une traduction française des vers du vieux romance . 248 SYLVIA ROUBAUD-BÉNICHOU
approche qu'il allait bientôt compléter en transcrivant, lors
d'un passage en Algérie, une vingtaine de textes récités par
l'aînée de ses tantes, noyau de son futur recueil de romances
et support initial de ses recherches à venir. C'est vers la
même époque que s'est développé son intérêt pour les
chansons orales du patrimoine français, point de départ de
l'acquisition d'un vaste répertoire personnel qu'il enrichit
au cours du temps au hasard de ses lectures et de ses ren
contres amicales ; dans son mémoire autobiographique
inédit, il évoque avec émotion la jeune femme d'un de ses
amis et collègues du Lycée de Beauvais entre 1934 et 1936
qui « chantait à merveille des chansons du vieux folklore
français ». De la combinaison de ces deux expériences, l'hi
spanique et la française, sont nées ses curiosités en matière
de littérature orale et, avec elles, son désir d'approfondir le
problème de la tradition et de la variation en poésie orale, dont il ne tardera pas à élargir le champ et à pres
sentir qu'il forme « un des chapitres de la théorie générale
de la création en littérature » (5).
A vrai dire, avant son départ forcé de France à la suite de
sa révocation par le régime de Vichy, ce pressentiment allait
rester à l'état de simple in

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents