Reider2386
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Mademoiselle Vallantin Reider, Paul Mademoiselle Vallantin A propos de eBooksLib.com Copyright 1 Mademoiselle Vallantin I la boutique de Jean Dieudonné Pirlet, fabricant de couteaux, à l'entrée de la rue souverain−pont, était une des mieux achalandées de la ville de Liège. Sa femme, le véritable maître du logis, mourut tout à coup, un soir, en revenant d'un sermon où le prédicateur avait dépeint trop crûment les supplices que le bon Dieu a préparés en enfer pour les réprouvés. Pendant le temps du deuil, Dieudonné Pirlet calcula son doit et son avoir. S'étant trouvé posséder une fortune très ronde, il fit descendre son enseigne de dessus sa porte et remercia ses pratiques. Il avait alors cinquante−cinq ans. C'était un homme de petite taille, replet, rougeaud, ayant les yeux à fleur de tête, le nez carré du bout. Il lui restait encore toute sa chevelure, roide, courte et commençant à grisonner. Une fois retiré des affaires, l'ex−coutelier se donna ses aises, largement. −il dormait tard, déjeunait de chocolat, buvait de l'absinthe avant le dîner et n'épargnait pas son vin de Bourgogne au dessert. Après table, aux heures où les ouvrières sortent des magasins, il s'en allait par la ville, à l'aventure, fraîchement rasé, coiffé d'un chapeau dans tout son lustre, un gros brillant dans la cravate, tenant par le 2 Mademoiselle Vallantin milieu sa canne à pommeau d'argent, et tirant de sa main gauche, étincelante de bagues, les poils de sa moustache taillée en brosse. On ne le rencontrait plus que vêtu de sa redingote à collet de velours et de son gilet de satin noir, réservés jusqu'alors pour les dimanches et les jours de fête à garder. Chez lui, il portait une robe de chambre vert et jaune, et des pantoufles avec lesquelles il s'entendait à peine marcher. De préférence au bonnet grec, il s'était acheté une casquette de velours amarante, aux oreillettes toujours soigneusement rabattues, dans la crainte des courants d'air. En cet état, il s'accoudait à sa fenêtre, fumait, se penchait, toussait et crachait au milieu de la rue, quand il ne passait personne. Comme il trouvait la vie bonne et facile, aujourd'hui ! Et qu'il était déjà loin le temps où, réveillé en sursaut, au matin, par sa femme qui le poussait, il descendait en hâte ouvrir ses vitrines. Six heures sonnaient. Il restait un instant sur sa porte, regardait le ciel à droite et à gauche, le corps enveloppé d'un grand tablier bleu, les pieds dans des savates de cuir, nu−tête. Il rentrait. Bientôt tout le monde était debout. Quelles rudes journées ! Sans cesse poursuivi par la voix de feu Léocadie Pirlet, qui l'appelait pour servir la pratique, l'envoyait à 3 Mademoiselle Vallantin l'atelier surveiller les ouvriers, le faisait redemander pour chasser les gamins qui salissaient le trottoir, le chargeait vingt fois par jour de lui retrouver sa tabatière ou ses lunettes laissées quelque part, dans sa chambre, au magasin, dans la salle à manger ou dans la cuisine. Jamais tranquille, jamais ! Sa femme, ses deux filles, les ouvriers, la servante, les livres, les payements, les marchands, les acheteurs et les concurrents ! Il était avec cela obligé de convenir qu'il ne maigrissait pas, au contraire. Maintenant, quelle différence ! Mollement, en se souriant dans le miroir, il passait au−dessus de son épaule sa bretelle de cuir jaune, −à dix heures du matin ! Il vivait sans soucis, sans tracas. Sa fille cadette, mariée à un rentier, nommé Vanières, habitait Bruxelles. Il lui restait à la vérité son aînée, Mlle Isabelle, −oh ! Tout la mère, celle−là ! −qui le contrariait un peu, trouvant à redire à cette existence de paresseux. Et pas un prétendant ! Il eût donné son consentement les yeux fermés. Pourtant, au bout de quelques mois, Dieudonné Pirlet fut pris de la nostalgie de son activité régulière d'autrefois. Il rentrait le soir, harassé, rongé d'ennui, l'oeil éteint. Il passait dans le nouveau salon qu'il s'était fait arranger. Debout, les bras derrière le dos, il considérait la tapisserie rouge, l'or de la pendule, des candélabres, de la glace, puis la table ronde d'acajou, le tapis bariolé, à grandes rosaces, 4 Mademoiselle Vallantin les fleurs artificielles dans de la porcelaine peinte, sous des globes, et les longs rideaux de tulle brodé qui pendaient de chaque côté des fenêtres, jusqu'à terre. Un bâillement lui tordait la bouche, et il se laissait aller dans son canapé de velours, sans prendre garde. Les oreilles à pleines mains, les coudes sur ses larges cuisses, il se mettait alors à songer. Il finissait quelquefois par s'endormir. Habituellement, vers le milieu de la soirée, son ami François Vallantin venait le trouver. C'était un marchand de drap, de la rue petite−tour. Ils allaient ensemble au café et faisaient la partie de whist jusqu'à onze heures, minuit assez souvent. La tête lourde, les yeux rougis par la fumée de tabac, la langue épaissie par la bière et les liqueurs, ils s'en revenaient le long des magasins fermés, en causant. On reprenait, une dixième fois, la discussion entamée sur la dernière séance de la chambre des représentants ; puis, on jetait un coup d'oeil sur la situation extérieure, et enfin, il était question des injustices du gouvernement et des actes maladroits de la majorité du conseil communal. Dieudonné Pirlet ne répondait pas de l'avenir « si des mains plus fermes ne saisissaient pas les » rênes. " −ah ! Si j'étais là, moi, s'écriait−il, les choses marcheraient autrement, allez ! 5 Mademoiselle Vallantin Il se sentait encore si guilleret, si vert, qu'il espérait bien ne pas mourir sans avoir été l'objet des « suffrages de ses concitoyens. » devenir un des « édiles de la cité » c'était son rêve ! Il le faisait tout éveillé. Vallantin ne put retenir une exclamation de surprise en apprenant le but de l'ambition de son ami. −oui, je veux gérer les affaires de ma ville natale, répéta Pirlet, en le saisissant par un bouton de sa redingote. Et il reprit : −toi, Vallantin, tu t'imagines que c'est un métier difficile que celui de conseiller communal. Mais si je te disais qu'il suffit pour cela d'être au courant de la politique et d'avoir une appréciation saine et raisonnée des choses ? ... ah ! L'ex−coutelier se fit un jour la réflexion qu'il portait seul, depuis trop longtemps, sa chaîne de rentier. Il décida en lui−même qu'il aurait pour compagnon son ami François Vallantin. Lorsque, pendant la semaine, endimanché des pieds à la tête, il traversait la rue petite−tour, il l'apercevait dans son comptoir, en courte veste et en casquette, les mains pleines de travail. Cela lui faisait honte. Il le pressa donc de laisser là son commerce, et il vanta les douceurs de sa vie nouvelle. −« mais j'ai un fils, gémissait Vallantin hésitant, un fils qui me mange la laine sur le dos ! Si je ne travaille plus, à ma 6 Mademoiselle Vallantin mort il se trouvera sans un sou. » −donnons−lui ma fille, répondit un jour Pirlet. Le marchand de drap, possesseur d'une assez mince fortune, crut que son ami plaisantait. Mais le rentier avait parlé sérieusement. Il s'était dit que Vallantin, une fois débarrassé de son fils, n'aurait plus de prétexte pour continuer à vendre ses étoffes. Rentiers tous deux ! Quelle perspective ! Ensemble ils dîneraient, boiraient, se promèneraient, joueraient aux cartes et se mêleraient de politique. Pirlet ne s'ennuierait plus. à la saint−Dieudonné, ils s'embrassèrent. Le mariage fut décidé ce jour−là. Les dots étaient inégales. Léon avait vingt−deux ans, Isabelle vingt−huit. Il était blond, beau de visage et de corps, élégant de manières ; elle était noire, très grande, d'un aspect de planche, presque laide, sans grâce, de tenue vulgaire. Lui aimait le luxe, les plaisirs ; il voyait un monde dissipé, dépensait à tort et à travers, fréquentait le théâtre, les bals, et n'allait pas à l'église. Mlle Pirlet, au contraire, dévote à 7 Mademoiselle Vallantin l'excès, avait des goûts simples ; d'une nature froide et peu communicative, il lui fallait les joies de la famille, la vie d'intérieur, toute calme. Son éducation était bornée ; elle la tenait de sa mère, et, comme elle, aimait l'argent, le bon ordre, l'économie. Les beaux−pères ne triomphèrent pas facilement. Léon montra de la répugnance, malgré la dot, à s'associer une aussi disgracieuse compagne. Isabelle refusa net. Elle sentait cette union impossible, et son esprit positif lui dépeignait l'avenir sous de sombres couleurs. Il y eut des pleurs d'un côté, quelques emportements de l'autre. −c'est une femme d'or ! Dit le marchand de drap à son fils. −oui, en barre, répondit Léon, en songeant à la conformation de sa future. Mais il s'adoucit. Ce mariage allait payer toutes ses dettes, et lui permettre conséquemment d'en faire de nouvelles pour un chiffre double. Isabelle plia sous la volonté d'un père que son égoïsme rendit inexorable. Trente cierges furent allumés à l'église paroissiale, et, devant le parvis, après la cérémonie, défilèrent vingt voitures emportant un couple morose et cinquante invités 8 Mademoiselle Vallantin bruyants. Quelle belle coutellerie au repas ! M et Mme Vallantin se fixèrent à Bruxelles. Ce qu'Isabelle Pirlet avait prévu arriva. Elle fut délaissée au bout de quelques semaines. Après ce temps, son mari se replongea dans la débauche. Il eut des maîtresses, et s'afficha partout avec elles, sans gêne aucune. à chaque instant ses excès le forçaient de se mettre au lit. Ce ne fut bientôt plus qu'un débris de souper fin. Sa femme le soignait. Il l'en remerciait par des injures. Elle souffrait avec résignation, essayant par mille moyens de le ranger un peu. Mais ses continuelles attentions, ses prévenances, ne faisaient que l'irriter. Il s'emportait en paroles dures, et lui riait au nez de sa douceur, qu'il disait hypocrite. Sa dévotion surtout l'exaspérait. Un jour, il brisa à coups de canne les statuettes, dont elle avait orné plusieurs pièces de
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