Revue littéraire de l’AllemagneXavier MarmierRevue des Deux Mondes4ème série, tome 25, 1841Revue littéraire de l’Allemagne (tome 25)La presse allemande vient de faire une rude campagne Depuis le mois de mai del’année dernière jusqu’à la nuit de la Saint-Silvestre, nous ne croyons pas qu’elle aitcessé un instant d’être en colère, et quand cette presse allemande est en colère,elle emploie un petit dictionnaire d’invectives auprès duquel celui de nos journaux,dans leur plus grande violence, pourrait fort bien passer pour un manuel d’urbanité.Si, jusqu’à présent, nous n’avions pas été parfaitement convaincu que la vraievocation de l’Allemagne est dans ses études spéculatives, dans ses rêvespoétiques, nous le serions aujourd’hui. Elle a deux bons génies dont elle devraitêtre toujours heureuse et fière, le génie de l’étude qui conduit par la main sessavans à travers les routes obscures du temps passé, et la muse qui lui enseignese ballades mélodieuses, ses légendes naïves et ses douces chansons. Sitrompée par les vagues rumeurs qui lui viennent de loin, elle essaie d’y mêler savoix ; si, quittant le foyer où ses honnêtes pénates la charment encore par depieuses coutumes, elle se jette dans l’arène turbulente des autres peuples, la nobleAllemagne s’égare. Elle ne sait pas, elle qui sait tant de choses, se ployer au ton deces discussions, si amères au fond, si nuancées et si modérées dans la forme. Aulieu de prendre ces petites flèches flottantes et acérées ...
Revue littéraire de l’AllemagneXavier MarmierRevue des Deux Mondes4ème série, tome 25, 1841Revue littéraire de l’Allemagne (tome 25)
La presse allemande vient de faire une rude campagne Depuis le mois de mai del’année dernière jusqu’à la nuit de la Saint-Silvestre, nous ne croyons pas qu’elle aitcessé un instant d’être en colère, et quand cette presse allemande est en colère,elle emploie un petit dictionnaire d’invectives auprès duquel celui de nos journaux,dans leur plus grande violence, pourrait fort bien passer pour un manuel d’urbanité.Si, jusqu’à présent, nous n’avions pas été parfaitement convaincu que la vraievocation de l’Allemagne est dans ses études spéculatives, dans ses rêvespoétiques, nous le serions aujourd’hui. Elle a deux bons génies dont elle devraitêtre toujours heureuse et fière, le génie de l’étude qui conduit par la main sessavans à travers les routes obscures du temps passé, et la muse qui lui enseignese ballades mélodieuses, ses légendes naïves et ses douces chansons. Sitrompée par les vagues rumeurs qui lui viennent de loin, elle essaie d’y mêler savoix ; si, quittant le foyer où ses honnêtes pénates la charment encore par depieuses coutumes, elle se jette dans l’arène turbulente des autres peuples, la nobleAllemagne s’égare. Elle ne sait pas, elle qui sait tant de choses, se ployer au ton deces discussions, si amères au fond, si nuancées et si modérées dans la forme. Aulieu de prendre ces petites flèches flottantes et acérées du picador qui aiguillonnentl’attaque et prolongent le combat, elle prend une massue et tâche d’un seul coupd’assommer le taureau. Son honnêteté de caractère, son patriotisme ardent, et, ilfaut le dire, sa susceptibilité scolastique, ne lui permettent pas de rester dans lesbornes d’une polémique calme et mesurée. Si elle se croit atteinte, elle s’exagèrebien vite le sentiment de son offense. Elle passe en un instant du raisonnement àl’apostrophe, de l’admiration à l’outrage. Hier elle louait encore l’esprit, le caractèredu pays qui l’avoisine ; demain, elle le condamne sans pitié. Hier, elle rendaitjustice à vos travaux, elle vous proclamait un de ses disciples, elle vous adressait,avec des paroles flatteuses, des diplômes honorifiques ; demain, elle efface d’untrait de plume tout le passé et vous appelle un ignorant. Il n’y a pas long-temps queM. Heine faisait encore école en Allemagne par sa prose et par ses vers. Le livrequ’il a récemment publié sur Boerne lui a attiré de la part des mêmes journaux quile louaient tant autrefois des invectives que nous rougirions de traduire. Les bruitsde guerre qui nous ont tant occupés l’été dernier, les menaces de propagande,quelques lettres écrites sur les bords du Rhin par M. Frédéric Soulié, ont fait sortirde l’atelier de la presse allemande toutes les paroles haineuses et envenimées quenous croyions profondément ensevelies depuis 1813. Une éloquente brochure denotre ami Edgar Quinet a réveillé, avec toute sa fougue, l’esprit de la vieilleTeutonie. Pour peu que cette effervescence allemande continue, les choses enviendront au point que nous n’oserons plus prononcer le nom du Rhin, chanter lachanson de Claudius, répéter les vers de Byron, ou jeter un regard du côté deJohannisberg, sans être véhémentement soupçonnés d’esprit d’usurpation et depropagandisme. Le mieux serait, si nous voulons avoir la paix, d’effacer de noscartes le nom de ce fleuve ennemi, de rayer dans notre histoire les jours où il futfranchi par nos armées victorieuses, d’oublier qu’il existe, qu’il arrose une partie denos frontières, et soupire au bord des provinces qui furent à nous !Dans cette guerre engagée entre la presse d’Allemagne et la France, nous avonseu aussi notre part de récriminations, nous humble explorateur de littératuregermanique. En voyant avec quelle animosité les journaux de par delà le Rhins’emparaient des deux derniers articles que nous avons donnés dans cetteRevuesur les publications de l’Allemagne, nous nous sommes demandé d’où pouvait venirtant de colère, et nous nous le demandons encore. Avons-nous donc d’une plumesacrilège attaqué les grands noms dont l’Allemagne se glorifie ? Non, nousprofessons pour eux une sorte de culte et une profonde admiration. Avons-nous niéle mérite des vrais poètes comme Uhland, Ruckert et Tieck, des vrais savanscomme Grimm, qui restent encore à l’Allemagne ? Non, et nous en appelons autémoignage même de ces hommes qui n’ont pas encore oublié, nous en sommessûr, le jour où nous allions pieusement les visiter dans le cours de notre pèlerinagepoétique. Avons-nous mis en doute la science des écoles, l’autorité des universitésallemandes ? Non, nous nous honorons d’appartenir nous-même à l’une de cesuniversités, et nous n’avons pas coutume d’insulter le lendemain ceux à qui nousdemandions des leçons la veille. Enfin avons-nous calomnié le caractère de