Héritage
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Description

Héritage « Et voilà Monsieur Grandin, les clés et les papiers ! L’appartement est à vous. Bien sur, comme je vous l’ai dit, si vous préférez le louer au lieu de le vendre, vous n’hésitez pas, je peux gérer ça pour vous. » Antoine Grandin sourit au notaire, décline l’invitation, puis redescend dans la rue et rejoint sa voiture en serrant les clés de sa nouvelle propriété dans sa paume. C’est vrai, après tout, il pourrait décider de louer. Bien sûr, il y aura des travaux à faire, mais même pour le vendre il faudra faire des travaux, sinon, il n’en tirera pas grand-chose. Antoine se doute, même s’il n’a pas vu l’appartement depuis des années, qu’il n’a pas été remis à neuf depuis très longtemps, donc, avant d’accepter l’héritage, il a fait plein de calculs, mais même avec les frais de succession, il s’est vite rendu compte qu’un appartement situé en plein centre de Paris, après réfection, se vendrait extrêmement facilement et à un très bon prix. Une fois la décision prise, tout est allé vite, et en ce début d’après midi, Antoine se trouve être le nouvel heureux propriétaire d’un appartement de quatre pièces principales en plein quartier Bastille, un secteur dont la quotte ne cesse de monter. Mais maintenant qu’il en a les papiers et les clés, Antoine se dit que finalement il n’a pas particulièrement envie d’aller voir son nouvel investissement.

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Publié le 12 octobre 2013
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Licence : Tous droits réservés
Langue Français

Extrait


Héritage



« Et voilà Monsieur Grandin, les clés et les papiers !
L’appartement est à vous. Bien sur, comme je vous l’ai dit, si
vous préférez le louer au lieu de le vendre, vous n’hésitez pas, je
peux gérer ça pour vous. »
Antoine Grandin sourit au notaire, décline l’invitation, puis
redescend dans la rue et rejoint sa voiture en serrant les clés de
sa nouvelle propriété dans sa paume.
C’est vrai, après tout, il pourrait décider de louer. Bien sûr, il y
aura des travaux à faire, mais même pour le vendre il faudra
faire des travaux, sinon, il n’en tirera pas grand-chose. Antoine
se doute, même s’il n’a pas vu l’appartement depuis des années,
qu’il n’a pas été remis à neuf depuis très longtemps, donc, avant
d’accepter l’héritage, il a fait plein de calculs, mais même avec
les frais de succession, il s’est vite rendu compte qu’un
appartement situé en plein centre de Paris, après réfection, se
vendrait extrêmement facilement et à un très bon prix.
Une fois la décision prise, tout est allé vite, et en ce début
d’après midi, Antoine se trouve être le nouvel heureux
propriétaire d’un appartement de quatre pièces principales en
plein quartier Bastille, un secteur dont la quotte ne cesse de
monter.
Mais maintenant qu’il en a les papiers et les clés, Antoine se dit
que finalement il n’a pas particulièrement envie d’aller voir son
nouvel investissement. Cela fait pas loin de 15 ans qu’il n’y est
Marie-Christine L’Heureux, Lettre d’adieu et autres nouvelles, Héritage
pas allé et les souvenirs qui y sont liés ne sont pas toujours les
plus heureux.
Sans savoir encore s’il y va ou pas, Antoine remonte dans sa
voiture, met le contact et roule. Il conduit machinalement,
tandis que son cerveau passe en revue tous les souvenirs liés à
cet appartement.
Pour Antoine, c’était une sorte de parenthèse dans l’ancien
temps, celui d’avant la guerre, et même peut-être d’avant la
précédente. Il revoit les couloirs, les portes, et se surprend à se
souvenir du bruit des battants du buffet du séjour. Le parquet
qui craque, les pas de son arrière-grand-mère qui piétine dans la
cuisine, sur le carrelage à tous petits carreaux blancs et noirs, les
soupirs très sonores de sa grand-tante qui ne souriait jamais,
l’odeur de la naphtaline, les motifs à fleurs énormes sur les
tapisseries du salon. Tout lui revient en mémoire sans qu’il ait
d’effort à faire, et quand il reprend le contrôle de son esprit, sa
voiture est garée dans une petite rue à deux pas de la place de
la Bastille.
Antoine se dit que si la voiture est arrivée là, c’est qu’il l’y a
conduite, et donc que la décision est prise, il doit aller à
l’appartement. Sans beaucoup d’entrain, comme un condamné,
il sort de sa voiture et se dirige vers l’immeuble qu’il retrouve
sans même vérifier le numéro au-dessus de la porte.
Sur le trousseau de clés que le notaire lui a remis, il y a un petit
carton avec le numéro du code de l’immeuble. Ça, ça a changé,
se dit Antoine. En revanche, le hall est toujours le même, la cage
d’escalier a eu droit à un coup de peinture mais l’escalier en lui-
même a toujours ses marches irrégulières, et le vieil ascenseur
en bois toujours sa grille en fer forgé et ses grillages en laiton.
Soudain un peu claustrophobe, Antoine décide de monter les
trois étages à pieds et il se met à gravir les marches lentement,
comme pour retarder le plus possible le moment où il se
Marie-Christine L’Heureux, Lettre d’adieu et autres nouvelles, Héritage
retrouvera devant la porte d’entrée de l’appartement de Tante
Lucie.
Tante Lucie. En montant l’escalier, Antoine voit son visage
flotter devant ses yeux. Ce visage pâle, avec sa peau si fine
qu’elle semblait transparente, ses cheveux qu’Antoine ne se
souvient pas avoir vu d’une autre couleur que blanc, ses yeux
clairs et tristes, sa démarche lente et résignée, ses pieds
trainant…
Antoine respire de moins en moins bien, alors qu’il entame la
deuxième volée de marches. Ses pieds se font de plus en plus
lourds, il monte de plus en plus lentement. Arrivé sur le palier
du second, il est obligé de faire une pause. Son cœur s’est mis à
battre la chamade et sa respiration est courte. Ses jambes
commencent à trembler et il a l’impression qu’il va s’évanouir.
Au troisième, Antoine s’approche lentement de la porte
d’entrée. En tremblant, il sort le trousseau de sa poche, et se
concentre pour introduire la clé dans la vieille serrure. Elle, elle
n’a pas changé, et le bruit caractéristique qu’il entend quand il
tourne la clé non plus.
Antoine ouvre la porte, et machinalement, il lève le pied pour
franchir le seuil. Un sourire se dessine brièvement sur son
visage. Il a fait ce mouvement sans réfléchir et il se souvient
pourquoi il fallait toujours lever les pieds en entrant : depuis
l’époque où l’arrière-grand-père était encore vivant, la
moquette du couloir d’entrée ne tenait jamais sous la barre de
seuil. Régulièrement, elle se déplaçait et on avait tendance à se
prendre les pieds dedans quand on entrait. Antoine se souvient
aussi qu’un jour, son père était venu avec un marteau et des
clous et avait fixé ensemble la moquette et les tapis qui la
couvraient au ras de la barre de seuil, pour éviter que la grand-
tante Lucie ne tombe.
Antoine cherche l’interrupteur machinalement et se surprend à
se souvenir de son emplacement, derrière la porte d’entrée.
Marie-Christine L’Heureux, Lettre d’adieu et autres nouvelles, Héritage
Quelle idée de l’avoir mis là. Le père d’Antoine avait plusieurs
fois voulu le déplacer, mais Tante Lucie n’avait jamais voulu. Elle
disait que c’était là qu’il avait été mis et que c’est là qu’il devait
rester.
Antoine bascule l’interrupteur sans savoir si l’électricité est
toujours branchée, et le lustre du couloir s’allume. D’un coup,
Antoine se retrouve au milieu de ses souvenirs.
Les murs, les lumières, l’odeur, l’ambiance, tout lui saute aux
yeux et à la gorge d’un seul coup. Antoine chancelle, mais il se
redresse et prend une grande respiration. Ce n’est pas à son âge
qu’il va se laisser impressionner par un appartement en mauvais
état. Mais là, c’est un peu comme s’il visitait un château hanté
et qu’à chaque seconde, il craignait de se faire surprendre par
un fantôme.
Lentement, Antoine avance dans le couloir, ouvre toutes les
portes et allume toutes les lumières. Puis il va ouvrir les rideaux
et les fenêtres de la pièce principale, histoire de faire rentrer de
l’air frais dans ces vieux murs. Ensuite, lentement, Antoine se
retourne et prend le temps de regarder ce qui se trouve autour
de lui.
Tout ce qui compose la salle à manger est exactement à la
même place qu’à l’époque où il y venait. Les mêmes meubles,
les mêmes bibelots, les mêmes assiettes exposées dans la vitrine
du buffet haut, les mêmes fauteuils défoncés au velours élimé
jusqu’à la trame, les vieux coussins en canevas, les napperons au
crochet, les tapis. L’intérieur n’a rien perdu de son atmosphère,
et Antoine a du mal à se dire qu’il n’est plus un petit garçon de
10 ans.
Il se revoit dans cette même pièce, le soir de l’enterrement de
son arrière grand-mère. Grand-mère Charlotte, la sœur de Tante
Lucie, lui avait proposé de l’aider pour trier les affaires de leur
mère, mais Lucie avait dit que rien n’était pressé, et finalement,
Marie-Christine L’Heureux, Lettre d’adieu et autres nouvelles, Héritage
Antoine croit se souvenir que les vêtements de l’arrière grand-
mère n’ont jamais bougé de leur penderie.
Quelques années plus tard, Grand-mère Charlotte était partie à
son tour, puis ça avait été les parents d’Antoine. Décès brusque,
dans un accident d’avion, à l’autre bout du monde. Le téléphone
qui sonne, l’ambassade, le rapatriement des corps, la
reconnaissance, l’enterrement. Tante Lucie y était. Antoine lui
avait présenté sa fiancée, mais au moment du mariage, il n’avait
pas souhaité qu’elle vienne. Cela lui aurait sans doute fait très
plaisir. Après tout, ils étaient les deux seuls membres restant de
la famille. Mais Antoine n’avait pas envie de l’entendre se
plaindre du sort de ses parents, de se faire plaindre par cette
grand-tante qui avait un peu pris la

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