Les Aventures de Charlot
100 pages
Français

Les Aventures de Charlot

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Description

Ce roman nous conte les aventures de Charlot. À travers ce récit, nous apprenons la vie des pêcheurs et paysans bretons de la fin du XIXe, les colonies, le vocabulaire de la marine...

Informations

Publié par
Nombre de lectures 23
EAN13 9782824700755
Langue Français

Extrait

Alfred de Bréhat
Les Aventures de Charlot
bibebook
Alfred de Bréhat
Les Aventures de Charlot
Un texte du domaine public. Une édition libre. bibebook www.bibebook.com
1 Chapitre
La famille Morand. – Charlot. – Kéban le bélier.
près avoir fait son temps de service à bord des navires de l’Etat, Antoine Morand était revenu dans son pays breton, au petit bourg de Lanmodez et à la chère demeure où s’était écoulée son enfance. Lanmodez est situé près de la mer. Ad’herbe hachée), composent la commune. Dans l’unique chambre de ces cabanes, Une quarantaine de maisons groupées autour de l’église, quelques cabanes de pêcheurs couvertes en chaume, faites enbouzillagede terre glaise et (mélange chaque lit forme un petit appartement. Ils sont en noyer ou en chêne et fermés comme des armoires. Les deux battants sont pourvus d’un volet de bois qui s’ouvre la nuit pour donner de l’air au dormeur. Enfin l’on y parvient en gravissant deux ou trois marches dont chacune renferme un tiroir. Si l’aisance est au logis, ces tiroirs sont remplis de gros linge solide, solidement cousu, d’habits de drap portés aux grandes fêtes depuis trois générations, de coiffes brodées par les arrière-grand’mères.
Chez Antoine, il en était ainsi. De plus, il possédait un petit jardin, une vache et deux chèvres ; sa barque était citée parmi les meilleures ; lui-même était regardé comme un habile pêcheur et un honnête garçon. Quand il eut épousé sa promise Marianne, qui l’attendait depuis huit ans, il se trouva plus heureux qu’un roi.
Bientôt la famille s’augmenta. De petites têtes blondes, des joues rouges comme des pommes d’api apparaissaient dans les grands lits. Ce fut d’abord Charlot, un gros gars qui à trois ans courait tout seul ; vinrent ensuite Denise, puis Rosalie, et dans tous les coins du jardin, de la rue, sur la grève et dans les rochers se traînaient et trottaient les trois marmots. Leurs petites voix emplissaient de bruit la maison. On admirait leur force, et les vieillards avouaient qu’ils n’avaient pas vu souvent de si beaux enfants.
Aussi, lorsqu’après une dure journée de travail, Antoine revenait chez lui le soir, au milieu de la pluie, de la neige ou du vent, il ne sentait point la fatigue ; mais son cœur battait de joie dès qu’il apercevait de loin une petite lumière tremblante qui lui souhaitait la bienvenue. – Arrive, disait-elle, on t’attend. Le fagot est préparé pour être jeté dans le feu et flamber gaiement quand tu entreras. Ta chaise est à sa place. Les petits sont à la fenêtre et te cherchent dans l’obscurité. Ta femme s’inquiète, et le vieux voisin, à demi endormi au coin de l’âtre, lève parfois la tête pour demander si tu es là.
Plus tard, les enfants, devenus grands, s’en allaient ensemble au devant de leur père quand il revenait de la pêche. Denise et Rosalie prenaient place sur chacun de ses bras. Charlot, à cheval sur son cou, au-dessus de la hotte remplie de poisson, babillait avec Denise, en se retournant quelquefois pour surveiller une pince de homard ou une gueule de chien marin dont le voisinage lui semblait inquiétant pour le fond de ses culottes.
Au moment où commence notre histoire, Charlot avait neuf ans. Il était très fort pour son âge, mais, en revanche, si lourd et sipataud,comme disent les paysans, qu’on lui avait donné le sobriquet de l’Endormi.Il mangeait beaucoup, travaillait peu et ne réfléchissait pas du tout. Par ailleurs c’était un bon enfant, aimant ses parents, point menteur, incapable de faire volontairement du mal à quelqu’un. Son rêve était d’être marin. En attendant, il nageait comme un poisson, grimpait comme un écureuil et ne craignait rien, si ce n’est la malice de
sa sœur Denise.
Celle-ci était, à sept ans, mignonne, presque délicate pour une enfant bretonne. Mais elle savait déjà coudre et tricoter, elle aidait sa mère dans les soins du ménage, et elle trouvait encore le temps de jouer à son frère aîné cent tours qui lui faisaient voir combien la faiblesse peut l’emporter sur la force. Charlot enrageait et se tourmentait la cervelle pour être habile ; mais jamais il n’obtenait les honneurs de la guerre. D’ailleurs, s’il se fâchait, Rosalie se mettait de la partie. Elle avait quatre ans, elle trottait comme personne et formait une alliée tout à fait redoutable, car, tandis que de ses petits bras elle attaquait vigoureusement son frère, celui-ci s’efforçait de la convaincre par la seule force du raisonnement. Il n’obtenait rien qu’un succès de fou rire ; lui-même s’y laissait gagner ; tout finissait gaiement, mais Charlot comptait chaque fois une défaite de plus.
Comme il grandissait, on l’avait nommé pâtre de la vache, des deux chèvres et d’un bélier, nouveau commensal du logis, et on lui avait adjoint, en qualité d’auxiliaire, un grand chien noir à museau pointu nomméKidu,mot qui signifiechien noir en breton. A Lanmodez on ne parle que le breton, qui est l’ancienne langue des Celtes, premiers habitants du pays. Kidu et Charlot étaient grands amis. Tous deux avaient un faible pour le bélier, qui s’appelait Kéban et qui était bien la bête la plus malicieuse et la plus fantasque que l’on pût voir. Mais il avait de l’esprit, il intriguait pour attraper du sel, et sa part était presque toujours plus grosse que celle des autres. Cela n’était pas juste ; aussi Charlot regrettait sa partialité quand il voyait Kéban, plus insoumis que jamais, répondre à ses appels en lui tournant le dos, lui montrer les cornes et se livrer à mille cabrioles ironiques si Kidu allait le relancer. Malheureusement, Kidu et Charlot s’amusaient de ces tours, et le bélier ne s’amendait point. Un matin, comme Antoine allait partir pour la pêche, il vit au fond du lit de son garçon deux grands yeux tout ouverts et brillants comme des étoiles. « Déjà éveillé, dit le père. – Emmène-moi, demanda l’enfant. Je conduirai le bateau avec toi. – Grand merci ! dans quatre ou cinq ans j’accepterai tes services, mais aujourd’hui je ne puis t’enrôler que pour m’aider à porter mes filets jusqu’à la grève. Si cela te va, lève-toi. » Charlot fut bientôt prêt. Le père et le fils s’en allèrent ensemble et furent rejoints par deux autres pêcheurs, compagnons accoutumés d’Antoine. Ils trouvèrent la barque ensablée ; on la mit à flot au moyen de roulots passés sous la quille, et elle se balança coquettement tandis qu’on préparait ses voiles. « Vois-tu bien, dit l’un des pêcheurs à notre ami, les grands bâtiments ont trois mâts : à [1] [2] l’avant celui de misaine , à l’arrière celui d’artimon , au milieu le grand mât, le seul que nous possédions. Cette barre de bois transversale à laquelle est adaptée la voile nous a servi à la carguer (rouler) ; maintenant elle nous aidera à la hisser. Retiens tout cela, si tu veux être marin. – Certainement je serai marin, dit Charlot. Je sais déjà bien des choses. Voulez-vous que je vous dise comment on appelle l’avant de la barque ? C’est la proue ; et de l’autre côté c’est la poupe. Voici tribord à droite et bâbord à gauche. – L’enfant n’est point sot, » dirent les pêcheurs. Et Antoine sourit avec fierté. « Emmène-moi, je t’en prie, » continua Charlot s’adressant à son père. Mais celui-ci lui rappela ses devoirs de pâtre. Que penseraient Kéban, Kidu, la vache noire et les deux chèvres s’ils ne le voyaient pas de la journée ? Et les pêcheurs ne rentreraient que le soir ; encore était-ce par exception, car souvent ils restaient absents deux ou trois jours. Ce n’était pas la petite Rosalie qui mènerait les bêtes au pâturage, elle qui avait si peur du bélier. Denise était occupée à la maison ; chacun avait sa tâche, il fallait que Charlot remplît la sienne. Il se résigna donc en soupirant, et quand l’embarcation se fut éloignée, il reprit le chemin du logis.
Il vit en arrivant Rosalie grimpée sur le banc près de la porte, en train de manger une énorme tartine de lait caillé. Quatre ou cinq poulets piaillaient autour d’elle et réclamaient leur part du régal ; ils poussaient même l’indiscrétion jusqu’à la chercher dans la petite main de l’enfant, quand elle se rencontrait à portée de leur bec. C’est pourquoi elle s’était perchée un peu haut et tenait sa tartine en l’air. Chaque fois qu’elle l’abaissait pour y mordre, elle en détachait cependant quelques miettes et les jetait au peuple vorace. Notre ami, voyant cette tartine, ce lait et les petites dents blanches de sa sœur qui brillaient au travers, pressa le pas et entra dans la chaumière. « Je savais bien que Charlot ne manquerait pas l’heure du déjeuner ! s’écria Denise. – Jamais ! » dit Charlot, qui n’était point honteux de ses opinions. Il suivit sa mère vers le bahut et la vit couper une superbe tranche de pain de toute la longueur de la miche. Elle étendit là-dessus du lait caillé, tandis que l’Endormi, très éveillé cette fois, ouvrait la bouche à l’avance. Quand la tartine fut entre ses mains, il y mordit si vivement qu’il se barbouilla le nez jusqu’aux sourcils. Sa mère, pour l’embrasser, fut obligée de refaire une place nette sur sa bonne figure. « Maintenant, dit-elle, va détacher les bêtes ; voilà Kidu qui s’impatiente. » En effet, le chien sautait autour de son maître, jappait et lui rappelait clairement qu’il était temps de partir. Charlot, que sa bouche pleine empêchait de parler, fit à Denise un signe de tête en guise d’adieu et sortit.
Malheureusement pour lui, il n’était pas le seul qui eût bon appétit ce matin-là. Dans l’étable on mourait de faim. Kéban avait déjà donné dans la porte force coups de cornes. Les chèvres, plus patientes, s’agitaient cependant, et la vache elle-même, si calme d’ordinaire, avait poussé de longs cris d’appel.
Quand l’Endormi, qui ne se pressait jamais, eut ouvert à demi la porte aux prisonniers, Kéban se précipita dehors si impétueusement qu’il l’envoya rouler à quelques pas sur le fumier. La tartine vola d’un autre côté. Charlot se releva furieux et voulut punir le coupable ; mais les poules, bêtes vigilantes, s’étaient aperçues de l’accident et couraient vers la tartine ; il fallait aller au plus pressé. Charlot ressaisit d’abord son déjeuner et se calma un peu en voyant que le lait était resté en dessus. Kidu courut après le bélier et lui mordit les jambes pour lui apprendre la politesse. Kéban n’en trotta que plus vite en faisant sonner sa sonnette. Les chèvres suivirent, et la vache, que tous ces incidents avaient laissée indifférente, continua de marcher d’un pas lourd et cependant rapide, pressée qu’elle était d’arriver au pâturage. Le petit pâtre, pour ne pas rester seul, dut prendre le même chemin que ses bêtes. Il savait que Kéban courait plus vite que lui, et Kéban le savait aussi. Dans ces conditions, l’indulgence était de rigueur. Dix minutes plus tard, il était assis sur un tas de pierres, au bord du chemin qui conduisait du village à la grève. La vache que Marianne avait nommée Bellone, en souvenir de la frégate sur laquelle Morand avait fait son temps de service, s’était installée au beau milieu d’une douve profonde. Elle tondait l’herbe qui en garnissait les bords et guignait de l’œil certaine brèche donnant sur un beau champ de trèfle. Brunette, la chèvre noire, avait grimpé sur le revers du talus, au milieu des épines. Kéban et l’autre chèvre cherchaient aussi leur vie sur le bord du chemin, surveillés par Kidu, qui les empêchait de s’écarter.
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2 Chapitre
Fanchette. – Le festin improvisé. – Mésaventure de Charlot.
n était auxjours du mois de mai. Le soleil s’était levé en laissant à premiers l’horizon de grandes traces rougeâtres. La grive s’éveillait et lançait dans l’air ses premières notes fraîches et un peu perçantes, comme la brise qui les portait. Les O fleurs d’or des genêts étaient encore couvertes de rosée. Le bruit lointain des vagues, les clochettes des animaux troublaient seuls le grand silence des champs. Nonchalamment assis, Charlot, sa tartine à la main, mangeait lentement, se dandinait, presque sommeillant et tout pénétré du plaisir de vivre. Comme il était dans cette heureuse disposition d’esprit, une petite fille de six à sept ans vint à passer. Elle était vêtue d’une robe trouée, ses pieds étaient nus, ses cheveux s’échappaient ébouriffés d’un petit bonnet noir. Elle s’arrêta devant le pâtre, la tête basse, et ses yeux, deux grands yeux noirs attristés, regardaient en dessous la tartine de lait caillé. « Tu manges, toi ! » murmura-t-elle en essuyant une larme qui roulait sur sa joue pâle. Nous sommes obligés de convenir que le premier mouvement de Charlot fut de mettre son morceau de pain à l’abri. La petite fille, comprenant ce geste, soupira et fit un mouvement pour s’éloigner. « Je ne suis pas une voleuse, dit-elle en même temps. – Ecoute ! » lui cria Charlot déjà revenu à sa bonté naturelle. Elle se retourna. « Où est-ce que tu vas ? (Il avait ouvert son petit couteau d’un sou et l’agitait avec l’air indécis qui lui était habituel.) – Je vais au village. – Faire quoi ?
– Demander la charité.
– Ta mère ne t’a donc rien donné à déjeuner ce matin ?
– Je n’ai ni père, ni mère. »
Et la petite se mit à pleurer.
« Tiens ! » dit Charlot attendri eu coupant la moitié de son pain qu’il tendit à la mendiante. Seulement il garda le morceau où était le lait caillé.
« Comment est-ce que tu t’appelles ? reprit-il, tandis que la petite mangeait.
– Fanchette. Et toi ?
– Charlot. »
Fanchette s’assit à côté de lui.
« Tu es bon, dit-elle, merci. – Tiens ! » fit encore Charlot, touché de cette parole. Et par un mouvement majestueux, il mit la moitié de son lait caillé sur le pain de la mendiante. Cette fois, sa conscience lui disant qu’il avait complètement rempli son devoir, il se sentit le cœur tout joyeux. « C’est bon, hein ? dit-il à Fanchette. – Oh ! oui, » répondit-elle. Mais elle grelottait.
« Est-ce que tu as froid ?
– Un peu. – C’est drôle. Moi je n’ai pas froid. – Tu as une grosse veste de drap, et je n’ai qu’une jupe et un casaquin de toile ; encore il est tout percé. – Si tu veux, nous allons faire un trou dans le talus et nous y allumerons du feu. » La pauvre Fanchette ne demandait pas mieux. « Ce sera bien amusant, dit-elle. – Toi, tu vas chercher du bois ; moi, je ferai le trou. – Avec quoi ? – Avec mon couteau donc ! c’est mon père qui me l’a acheté auPardon (fête patronale) de Pleumeur. » Ranimée par le repas qu’elle venait de faire, Fanchette ramassa quelques branches mortes. Pendant ce temps, Charlot travaillait à creuser une petite excavation sur le revers du talus, à l’endroit où il n’y avait point d’herbe. « Oui, mais comment allons-nous allumer notre feu ? demanda la petite. – Tu vois bien la cheminée qui est là-bas ! Eh bien, c’est la ferme à Yvan Kernosie ; il faut y aller chercher du feu dans ton sabot. – Je n’ai pas de sabots. – Pourquoi ça ? – Dam ! parce que je n’ai pas de quoi en acheter.
– Prends le mien alors, » dit Charlot.
La petite se mit à courir vers la ferme de toute la vitesse de ses jambes affaiblies par de longs jours de jeûne et de misère. Elle revint bientôt, rapportant dans le sabot de Charlot un peu de braise recouverte de cendres.
« Les vilaines gens ! dit-elle en versant la braise dans le trou qu’avait creusé le petit garçon. Ils m’ont reçue quasiment comme un chien. »
Cela étonna un peu notre ami, car il n’y a pas de pays où l’on accueille les pauvres d’une façon plus hospitalière qu’en Bretagne. Il savait d’ailleurs par expérience qu’Yvan Kernosie était un excellent homme. « C’est drôle, » dit-il en soufflant de toute la force de ses poumons. Au bout de quelques minutes, les branches s’enflammèrent en lançant de brillantes étincelles. « Chauffe-toi, dit Charlot en poussant la petite vers le foyer. Hein, comme je fais bien le feu ? C’est Alain, le fils du fermier, qui m’a montré.
– Où demeures-tu ? demanda Fanchette en étendant ses mains devant la flamme. – Tu vois bien la fumée qui monte-là bas ? eh bien, ma maison est au-dessous. Et toi, où est la tienne ? – Je n’ai pas de maison.
– Où couches-tu ?
– Dans les champs.
– Et pour dîner ?
– Je mange n’importe où… quand j’ai de quoi manger.
– Oh ! fit Charlot tout songeur.
– A quoi penses-tu ? demanda la petite.
– Ecoute : à midi j’irai dîner. Tu viendras avec moi, et ma mère te donnera du pain et du lait… peut-être aussi descoques(sorte de coquillage).
– Elle ne me renverra pas ? murmura Fanchette d’un ton craintif.
– Oh ! non ; jamais on ne renvoie les pauvres chez nous. Un jour Kidu… c’est mon chien… Kidu avait mordu un pauvre, et ma mère l’a battu. Kidu, en se sauvant, a marché sur les petits de notre chatte qui l’a griffé… Kidu faisait une drôle de grimace en se frottant le museau ! » Charlot se mit à rire en se rappelant la grimace de Kidu. Et le chien, qui avait entendu son nom, s’approcha en frétillant et vint appuyer sa bonne grosse tête sur les genoux du petit garçon. Tandis que les deux enfants le caressaient en souriant, un fermier du voisinage, qui se rendait au marché, vint à passer près d’eux. « Qu’est-ce que tu fais là, mon gars ? dit-il à Charlot qu’il connaissait. – Je chauffe la petite fille que voilà, répondit Charlot. – C’est bien, mon ami. Tiens, fourre ça dans le feu pour t’amuser, reprit le brave homme en tirant de son panier cinq ou six grosses pommes de terre. – Merci, merci, Pierre ! » s’écria Charlot, joyeux de cette aubaine inattendue. Il glissa les pommes de terre dans son petit four et les recouvrit de cendre sur laquelle il entassa de la braise. Tandis qu’elles cuisaient ainsi, on reprit l’entretien. Charlot, tout entier à la cuisine et à la conversation, oublia de veiller sur ses animaux. Bellone, la belle vache blanche, venait de franchir la brèche qui la séparait du champ voisin, et Brunette, la chèvre noire, forçant le rempart d’ajoncs épineux, était en train de brouter les jeunes pousses d’un arbre. Cependant Kidu, assis près de son maître, et en apparence aussi intéressé que lui par ce qui se disait, ne voyait rien. Cette négligence pouvait avoir des suites d’autant plus fâcheuses pour les oreilles du jeune Charlot, que la ferme voisine avait changé de maître depuis la veille. Un homme du pays de Langounec, avare et dur, avait remplacé Kernosie de qui Charlot connaissait l’indulgence. Il causait donc toujours et questionnait sa petite compagne avec une hardiesse de curiosité qu’on pardonne à des enfants, mais qu’on blâmerait chez de grandes personnes. « D’où viens-tu ? demandait-il. – De Louannec. – Que faisait ton père ? Le mien va à la pêche. – Je n’ai connu ni mon père ni ma mère. La vieille Marguerite m’a dit qu’ils étaient morts dans un naufrage.
– Qu’est-ce que c’est que la vieille Marguerite ? – C’est une pauvre femme de Louannec qui m’a recueillie et qui me donnait à manger. – Elle n’est pas avec toi ? – Elle est morte aussi il y a huit jours, murmura Fanchette en essuyant une larme. – Ah ! fit Charlot. » Puis il ajouta philosophiquement : « Dis donc, il n’y a plus de bois. – Elle me battait souvent, continua Fanchette tout entière à ses souvenirs, mais c’était quand elle avait bu trop de cidre. – Alors il ne faut pas la pleurer, dit Charlot, puisqu’elle te battait… Il n’y a plus de bois, dis donc. – Je l’aimais tout de même, la pauvre Marguerite, car elle n’était pas méchante au fond. Et puis c’est si triste d’être toute seule ! – On s’ennuie, c’est vrai… Il n’y a plus de bois. » Fanchette se leva et passa dans le champ voisin pour ramasser encore quelques branches mortes. « Oh ! mon Dieu, dit-elle en revenant tout à coup, ta vache est au milieu du trèfle ! – Et les chèvres ? » s’écria Charlot en regardant avec inquiétude. Les chèvres avaient aussi pénétré dans le champ. Charlot et Kidu se mirent à courir pour rappeler les vagabonds, et Fanchette les suivit. Malheureusement il était déjà trop tard. Un grand garçon d’une vingtaine d’années, au visage dur et brutal, arrivait, un gros bâton à la me main. Il commença par en caresser rudement les côtes de M Bellone, dont la gourmandise fut ainsi punie. Puis, apercevant le pauvre Charlot, il courut à lui, le saisit par le collet de sa veste et le battit sans plus de ménagement que s’il avait eu affaire à un garçon de son âge. Il est vrai que Charlot lui avait répondu assez vertement ; mais ce n’était pas un motif pour abuser de sa force contre un enfant. Kéban le jugea sans doute ainsi, car, prenant son élan, il se précipita contre le butor et lui asséna un si violent coup de cornes dans les jambes qu’il le fit tomber sur le nez. Le petit pâtre voulut profiter de l’occasion pour s’enfuir, mais le paysan furieux le rattrapa. Alors Fanchette, faible comme elle était, vint bravement au secours de son nouvel ami. Mal en prit à la pauvre enfant ; elle reçut un coup qui la renversa. « Ah ! petit drôle, s’écriait le méchant paysan, qui était le fils du fermier, c’est ainsi que tu laisses tes bestiaux s’engraisser à mes dépens. Je t’apprendrai à veiller sur eux ! – Laissez-le, s’écriait Fanchette en pleurant, il ne le fera plus. » Charlot ne disait rien. Fier déjà comme un petit breton qu’il était, il ne voulait point demander grâce. Cependant il avait grand’peur et tremblait de tous ses membres, quand le paysan, le jetant sous son bras comme un paquet de chanvre, l’emporta vers la ferme. Sur ces entrefaites, Kidu ayant ramené les chèvres, apparut sur le champ de bataille. Comme le bélier, il s’élança au secours de son maître et mordit si vigoureusement les mollets de l’ennemi que celui-ci poussa un cri de détresse. Malheureusement pour Charlot, les tentatives de Kéban et de Kidu ne firent qu’augmenter la colère du brutal Mathurin qui frappa de nouveau le pauvre enfant. « Je vais te renfermer dans le cellier, lui dit-il ; tu y resteras jusqu’à demain matin sans boire ni manger et sans voir clair. Si tu cries, je te fouetterai ; donc, tais-toi ou je tape ! » Tout en parlant, il s’acheminait vers la ferme, suivi de Fanchette, de Kidu et de Kéban, qui trottinaient par derrière, à distance respectueuse toutefois du bâton de Mathurin. Au moment d’être enfermé, Charlot fit une tentative désespérée pour se sauver, mais il n’y gagna que des taloches. Le paysan, qui se trouvait seul à la ferme en ce moment, le poussa dans le cellier et ferma la porte à clé. Puis, détachant son chien de garde, il le lança contre le
pauvre Kidu.
Bien qu’il fût de moitié moins gros que le dogue de Mathurin, Kidu se défendit avec courage. Il finit cependant par rouler sous son adversaire qui le mordit cruellement, aux grands éclats de rire du paysan. Notre pauvre ami chien se serait fait tuer sur place si Fanchette n’était parvenue à l’emmener.
Se rappelant que la maison de Charlot était au-dessous de la petite colonne de fumée qu’on voyait à peu de distance, elle se mit à courir dans cette direction. Kidu, devinant sa pensée, la suivit. En voyant partir Kidu, qu’ils regardaient comme le lieutenant de leur maître, la vache blanche, les deux chèvres et le bélier se mirent aussi en marche pour retourner au logis.
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3 Chapitre
Le matelot. – Les jouets. – Les crêpes. – On va au secours de Charlot.
eu de tempsaprès le départ de Charlot pour les champs, un homme à cheval s’était arrêté devant la chaumière des Morand. Sa monture était une de ces bêtes de louage comme on en trouvait partout autrefois en Bretagne, et qui, malgré leur chétive Pl’animal à son propriétaire. Que le cheval trotte ou galope, le pauvre diable ne le apparence, font quinze à vingt lieues dans la journée et recommencent le lendemain. Un gamin d’une douzaine d’années suivait le cavalier, afin de ramener quitte pas. Je vous laisse à juger du mal et de la fatigue qu’il se donne pour gagner cinq ou six sous, juste de quoi ne pas mourir de faim. « N’est-ce pas ici que demeure Antoine Morand, ma petite fille ? demanda l’étranger à Denise, qui lavait des coquillages devant la porte. – Oui, monsieur. – Est-il là ? – Non, monsieur.
– Et sa femme ?
– Elle est dans la maison. – Tu es leur fille, n’est-ce pas ? reprit le voyageur, qui débouclait les courroies d’un sac de marin attaché sur la croupière de la selle en guise de portemanteau. – Oui, monsieur ; mon père est à la pêche. – Mon mari reviendra probablement ce soir, dit Marianne, qui était arrivée au bruit. – Tant mieux ! s’écria joyeusement le nouveau venu. Je suis Jobic Letallec, et j’étais avec lui. – A bord de laBellone, interrompit Marianne ; oh ! il nous a parlé de vous bien souvent. – Vrai ? – Oui, dit la petite Denise, c’est bien vrai ; l’autre jour encore, il a bu à votre santé. – Soyez le bienvenu chez nous, » reprit la mère. Le matelot jeta la bride du cheval au gamin qui l’accompagnait et embrassa cordialement son hôtesse. Pendant ce temps, Denise s’était emparée du sac du marin et cherchait à le soulever. « C’est trop lourd pour toi, ma petite, dit le matelot en souriant. Comment t’appelles-tu ? – Denise, monsieur. – Eh bien, Denise, tu es très gentille, veux-tu m’embrasser ? » Denise lui tendit ses joues fraîches et rosées. « Et toi, petite joufflue ? » demanda-t-il en s’avançant vers Rosalie qui, cachée derrière sa mère, dont elle tenait le tablier, regardait curieusement le nouveau venu.
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