Sorel et les préfaces de Francion - article ; n°1 ; vol.42, pg 137-149
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1990 - Volume 42 - Numéro 1 - Pages 137-149
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 19
Langue Français

Extrait

Jonathan Mallinson
Sorel et les préfaces de Francion
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1990, N°42. pp. 137-149.
Citer ce document / Cite this document :
Mallinson Jonathan. Sorel et les préfaces de Francion. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1990,
N°42. pp. 137-149.
doi : 10.3406/caief.1990.1734
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1990_num_42_1_1734SOREL
ET LES PRÉFACES DE FRANCION (i)
Communication de M. Jonathan MALLINSON
(Cambridge)
au XLP Congrès de l'Association, le 25 juillet 1989
Nombreux sont les romanciers qui, au début du
XVIIe siècle, se servent d'une préface pour expliquer et
défendre leurs intentions (2), pour persuader le lecteur que
leurs textes, malgré les apparences, possèdent une grande
valeur morale. La première préface de Francion, avec son
titre prometteur, Advertissement d'importance aux lecteurs,
semble suivre la même voie lorsqu'elle met en contraste
dès le début deux conceptions du roman : d'un côté, le
texte divertissant, folastre, facétieux ; de l'autre, l'œuvre
morale qui sert à :
(p. 61) ...monstrer aux hommes les vices auxquels ils se laissent
insensiblement emporter.
La juxtaposition de ces deux visions semble refléter
l'idée classique du texte littéraire qui a un contenu sérieux
(1) Sorel, Histoire comique de Francion, éd A Adam, Romanciers du
XVII1 siècle. Bibliothèque de la Pléiade (Paris, Gallimard, 1958)
(2) Cf Camus, Agathonphile (1621), Gombauld, Endimion (1624); Mares-
chal, Im Chrysolite ou le Secret des romans (1627), Gerzan, Histoire afnquame
de Cléomède et de Sophonisbe (1627), Boisrobert, Histoire indienne ďAnaxandre
et ďOrazie (1629) , Boissat, Histoire nègre-pontique (1631). JONATHAN MALLINSON 138
sous une forme trompeusement frivole, idée souvent
évoquée à cette époque par J.-P. Camus qui écrit, dit-il :
...afin que la lecture... eust la delectation jointe au profit (3).
Dans la préface de Francion, pourtant, la présence de
ces formules traditionnelles n'est elle-même qu'une appa
rence trompeuse, et au lieu de proclamer simplement une
distinction entre forme et contenu dans le roman qui va
suivre, l'auteur examine de plus près la valeur d'une telle
lecture de son texte.
En effet, à un certain niveau, la préface met en doute
cette conception même de la fiction morale. Comme bien
des auteurs, Sorel se distingue de ceux qui cherchent à
corriger les hommes à force de moraliser, et il loue sa
stratégie supérieure qui prend en considération le carac
tère du lecteur :
(p. 62) ...il faut user d'un certain apast pour attirer le monde...
Il faut que j'imite les Apoticaires qui sucrent par le dessus les
breuvages amers afin de les faire mieux avaler...
L'image de l'apothicaire, utilisée plus d'une fois par
Camus (4), sous-tend une théorie de lecture selon laquelle
le sens moral du texte se révèle au lecteur, naturellement
résistant aux leçons, au moment où il l'attend le moins —
comme le goût amer de la pilule à la surface sucrée. Et
pourtant Sorel n'est pas aveugle aux problèmes que cache
cette métaphore de convention. Au moment de la lecture,
ce n'est pas le texte qui s'impose, c'est le lecteur qui
interprète, et la présence seule de quelques maximes
édifiantes ne garantit en rien leur effet. Pour ce qui est de
(3) Hermiante ou les Deux Hermites contraires (Lyon, J. Gaudion, 1623),
p. 560.
(4) Voir Agathonphile, éd. P. Sage, T.L.F. (Genève, Droz, 1951):
(p. 1 10) « Ce Pharmacien qui avoit trouvé le secret de faire prendre ses
drogues ameres aux malades comme des confitures, ne seroit-il pas grandement
désirable ? »
et aussi les préfaces à Élise (1621), Dorothée (1621), Parthénice (1621), Her
miante (1623), Anstandre (1624). SOREL ET LES PRÉFACES DE FRANCION 139
son roman, Sorel suggère que l'apparence divertissante
risque de militer contre l'effet moral, plutôt que de
l'assurer ; elle est suffisamment persuasive pour tromper le
lecteur quant à ses intentions, d'autant plus que le lecteur
moyen est considéré comme peu intelligent :
(p. 61) ...ils sont si stupides pour la plupart qu'ils croiront que
tout cecy est fait plus tost pour leur donner du passetemps que
pour corriger leurs mauvaises humeurs.
Situé dans ce contexte, la théorie de l'œuvre classique,
qui implique une harmonie de forme et de fond, de texte
et de lecteur, est réduite à une formule vaine. Un roman a
beau se déclarer profondément moral, aucun effet moral
n'est possible si le lecteur ne le lit pas comme il faut.
Ayant mis en doute une telle lecture de son roman,
l'auteur continue à brouiller la signification de son texte.
D'une part, il lui attribue une vision morale tout à fait
orthodoxe, dont le but serait de montrer aux lecteurs :
(p. 61)... la brutalité de leurs semblables et la leur qui n'est pas
moindre.
mais cette apparence d'œuvre morale, camusienne à bien
des égards, va bientôt se dissoudre pour faire place à celle
d'un texte plus provocateur, à un niveau tant philoso
phique que social. Dans ce contexte, la stratégie de dégui
sement est dotée d'une fonction complètement différente.
S'il revêt la signification de son texte d'une apparence
frivole, cela ne serait plus maintenant pour assurer
l'influence morale du roman sur le lecteur, mais plutôt
pour se protéger dans un siècle qui ne lui permet pas
d'exprimer sans ambages des choses que jamais personne
n'a eu la hardiesse de dire (p. 62). L'auteur se croit
vulnérable, non cette fois à de mauvaises lectures attri-
buables à la sottise du lecteur moyen, mais paradoxale
ment à de bonnes lectures de la part de ceux qui se
sentiront visés. Ainsi conçu, le texte qu'il introduit 140 JONATHAN MALLINSON
cherche à cacher son sens à ceux qui ont le pouvoir de lui
nuire, mais à le révéler à ceux qui apprécieront la finesse
et le courage de ses jugements.
Évidemment, cette nouvelle conception du roman
implique une nouvelle conception du lecteur. Au cours de
la préface, la santé morale du lecteur imaginaire est
censée se manifester dans sa capacité de lire et de
comprendre le texte. Dès le début, le lecteur moyen est
considéré comme peut idéal, parce qu'il a le jugement offusqué
(p. 61) par des habitudes de lecture moralement et
intellectuellement méprisables. Et il devient clair que le
lecteur visé par le texte n'est pas celui qui doit reconnaître
ses vices, c'est plutôt le lecteur intelligent qui saura
reconnaître la signification plus profonde du roman. En
fait, lire Francion sera se soumettre à un exercice plus
exigeant de déchiffrage, qui est à la portée de ceux
seulement qui, à la différence des ignorons, auront bonne
veue (p. 62).
Il est pourtant évident que cette préface nécessite le
même genre de lecture pénétrante que le roman qu'elle
introduit. Le lecteur est constamment obligé de se mettre
sur ses gardes : toute affirmation cache une ambiguïté, se
met en doute. Sorel prétend distinguer son texte de tous
les autres, et aux romans fabuleux dont il se moque
constamment, il substitue son propre roman qui est, selon
lui, plus substantiel. Il ne se contente pas ďentasser
paroles sur paroles (p. 63), tout a un sens :
(p. 63) ...je n'ay rien dit sans raison. Sur le moindre succez je
veux que mes considérations soient preignantes.
Cependant de telles protestations, loin de constituer
une attitude originale, sont bien traditionnelles. A la fin
ďAgathonphile, Camus prétend :
(p. 113) ...il n'y a rien en tout le cours de cette œuvre qui ne
soit vray, soit en faict, soit en allégorie ou moralité et dont on
ne puisse tirer de l'instruction (5),
(5) Cf. aussi Espinel, préface aux Relations de Marc ďObregon (trad. 1618),
ou encore Mareschal, Préface à la Chrysolite (1634). SOREL ET LES PRÉFACES DE FRANCION 141
et de telles formules se retrouvent au XVIe siècle (6). Se
déclarer différent des autres, c'est le moyen le plus sûr de
leur ressembler le plus. Sorel invite le lecteur à chercher le
sens de son texte, mais la validité de cette entreprise est
simultanément mise en question. Si, d'un côté, il affirme
la valeur de son roman, il exprime d'un autre sa méfiance
totale de to

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