Tchekhov voisins
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Extrait

Anton Pavlovitch Tchekhov VOISINS Paris, Librairie Plon, 1927 Traduction de Denis ROCHE Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits » Table des matières VOISINS .................................................................................... 4 VOLÔDIA LE GRAND ET VOLÔDIA LE PETIT ...................30 DANS UN MANOIR ................................................................ 47 GENS DIFFICILES . 59 SIMPLE RENCONTRE ........................... 71 DANS LA REMISE .................................................................. 85 LES PENSIONNAIRES ........................... 95 LA PEINE .............................................................................. 104 LA MAUVAISE ŒUVRE ........................112 ENNEMIS ............. 120 LES VOLEURS ...................................................................... 138 LES COMMÈRES ...1 61 UN MEURTRE ...... 181 LE JARDINIER-CHEF ......................................................... 221 AU TRIBUNAL..................................... 228 TÉNÈBRE ............................................ 238 LA CHANCE .......... 245 UNE FUITE .......................................... 260 REQUIEM ............................................. 271 BROUILLAMINI ................................... 279 LE RABATTEUR .................................................................. 284 GOÛSSÉV .............. 291 À propos de cette édition électronique .. 311 – 3 – VOISINS Piôtre Mikhâïlytch Ivâchine était de fort mauvaise humeur. Sa sœur, jeune et non mariée, avait été s’installer chez un homme marié, Vlâssitch. Pour se tirer le plus vite possible du triste et accablant état d’esprit qui ne le quittait ni chez lui, ni aux champs, le jeune homme appelait à son aide son sentiment de la justice, ses opinions honnêtes et généreuses ; il se trouvait avoir toujours été, en effet, partisan de l’amour libre. Mais au- cune idée ne le remontait, et, malgré lui, il en revenait à la même conclusion que la vieille bonne de la maison : à savoir que sa sœur avait mal agi, et que Vlâssitch lui avait dérobé, volé sa sœur… Et cette idée le rongeait. Sa mère, de toute la journée, ne quittait plus la chambre ; la vieille bonne parlait à voix basse et soupirait sans cesse ; la tante de Piôtre Mikhâïlytch s’apprêtait à partir ; tantôt on des- cendait ses malles dans l’antichambre, tantôt on les remontait dans son appartement. Dans la maison, dans la cour, dans le jardin régnait le plus grand silence, comme s’il y avait un mort chez les Ivâchine. La tante, les domestiques et même, semblait- il à Piôtre Mikhâïlytch, les paysans, le regardaient avec curiosité et stupeur, comme s’ils voulaient dire : on a séduit ta sœur, pourquoi n’agis-tu pas ? Et Piôtre Mikhâïlytch se reprochait sa passivité, sans savoir ce qu’il aurait dû faire. Six jours s’étaient écoulés ainsi. Le septième, un dimanche après dîner, un messager à cheval apporta une lettre. L’adresse, – 4 – d’une écriture féminine connue, était ainsi libellée : Son Excell. Anna Nicolâéïvna Ivâchine. Dans l’enveloppe, dans l’écriture, dans l’abréviation Son Excell., Piôtre Mikhâïlytch crut démêler quelque chose d’agressif, de railleur, et qui sentait le libéralisme. Or, le libéra- lisme féminin est entêté, inexorable, cruel. « Elle préférera mourir plutôt que céder à sa mère et lui demander pardon », pensa Piôtre Mikhâïlytch en portant la lettre. Sa mère était étendue tout habillée sur son lit. Voyant en- trer son fils, elle se leva précipitamment, arrangea sous son bonnet ses cheveux gris, et demanda vite : – Qu’y a-t-il ? – Voici ce que l’on envoie, dit Piôtre en lui remettant la lettre. On ne prononçait plus le nom de Zîna, ni même le pronom « elle » ; on parlait de Zîna impersonnellement. La mère recon- nut l’écriture, et son visage devint laid, désagréable. Ses cheveux gris s’échappèrent encore de dessous son bonnet. – Non ! dit-elle, en écartant les mains comme si la lettre lui eût brûlé les doigts ; non, jamais ! pour rien au monde ! Et elle se mit à sangloter éperdument de chagrin et de honte. Elle aurait assurément voulu lire la lettre, mais sa fierté l’en empêchait. Piôtre Mikhâïlytch comprit qu’il aurait dû déca- cheter la lettre et la lire à haute voix ; et soudain une colère, telle qu’il n’en avait jamais ressenti, l’envahit. Il s’élança dans la cour et cria au messager : – 5 – – Dis qu’il n’y a pas de réponse. Il n’y en aura pas. Dis-le bien, animal ! Et il déchira la lettre. Puis les larmes lui montèrent aux yeux, et, se sentant dur, répréhensible, malheureux, il partit dans les champs. Il n’avait que vingt-huit ans, mais il était déjà gros, s’habillait, comme un homme vieux, de vêtements larges et longs, et souffrait d’oppression. Tous les instincts du proprié- taire non marié commençaient à se développer en lui. Il ne s’amourachait de personne, ne songeait pas au mariage, n’aimait que sa mère, sa sœur, la vieille bonne et le jardinier Vassîlytch ; il aimait à bien manger, à faire la sieste, à parler politique et à traiter les plus hautes questions. Il avait fait jadis des études à l’Université et considérait maintenant ce temps-là comme le paiement d’une dette auquel la jeunesse est astreinte de dix-huit ans à vingt-cinq ans ; main- tenant les idées qu’il avait en tête n’avaient plus rien de com- mun avec l’Université et les sciences qu’il y avait étudiées. Dehors il faisait chaud et doux, comme quand il va pleu- voir. On était dans les bois comme dans une étuve et une forte odeur de pins et de feuilles pourries s’exhalait. Piôtre Mik- hâïlytch s’arrêtait souvent et s’épongeait le front. Il examina ses blés d’hiver et ses blés d’été, ses trèfles, d’où, par deux fois, il fit lever une perdrix et ses petits ; et, tout le temps, il pensait que cette insupportable situation ne pouvait pas se prolonger indé- finiment : il fallait en finir d’une façon ou d’une autre, – d’une façon même bête, sauvage…, – mais en finir ! « Que faire ? Comment s’y prendre ? » se demandait-il en regardant d’un air suppliant le ciel et les arbres, comme s’il de- mandait leur aide. – 6 – Mais le ciel et les arbres se taisaient. Les opinions géné- reuses de Piôtre Mikhâïlytch ne lui étaient d’aucun secours. Le bon sens lui soufflait qu’on ne pouvait résoudre le torturant problème que d’une façon stupide, et que la scène d’aujourd’hui avec le messager ne serait pas la dernière ; il était effrayant de songer à ce qui arriverait encore. Quand il rentra, le soleil baissait déjà. Il semblait mainte- nant à Piôtre Mikhâïlytch que le problème était insoluble ; on accepte ou on n’accepte pas un fait accompli, il n’y a pas de mi- lieu. Le chapeau à la main, s’éventant avec son mouchoir, il marchait sur la route. Il était à peu près à deux verstes de la maison, lorsqu’il entendit un tintement gai. C’était une combi- naison très réussie de clochettes et de grelots, faisant un bruit cristallin, qu’avait seul, dans le district, le chef de police Mé- dovski, ancien officier de hussards, ruiné, usé et malade. Parent éloigné de Piôtre Mikhâïlytch, il venait voir familièrement les Ivâchine, ressentait pour Zîna des sentiments paternels et était plein d’admiration pour elle. – Je vais chez vous, dit-il à Piôtre Mikhâïlytch quand il l’eut rattrapé ; montez, je vous emmène. Il souriait et semblait content ; il ne savait évidemment pas encore que Zîna était partie chez Vlâssitch, ou, si on le lui avait dit, il n’y croyait pas. Piôtre Mikhâïlytch se sentit dans une situation gênante. – Très heureux… murmura-t-il en devenant cramoisi, ne sachant quel mensonge inventer, enchanté, mais… Zîna est ab- sente, et maman est malade. – 7 – – Que c’est ennuyeux, dit le chef de police, regardant pen- sivement Piôtre Mikhâïlytch. Moi qui comptais passer la soirée chez vous. Où donc est allée Zinâïda Mikhâïlovna ? – Chez les Sinîtski, et, de chez eux, je crois qu’elle voulait pousser jusqu’au couvent. Je ne sais pas au juste. Le chef de police causa quelques instants avec lui et repar- tit. Piôtre Mikhâïlytch, en continuant sa route, songeait avec effroi à ce qu’éprouverait Médovski quand il connaîtrait la véri- té ; et le ressentant, lui aussi, il arriva chez lui. – Seigneur, aide-moi ! pensait-il, aide-moi !… Dans la salle à manger, pour le thé du soir, il ne trouva que sa tante. Son expression laissait voir clairement, comme d’habitude, que, bien que faible et sans appui, elle ne laisserait personne la rabaisser. Piôtre Mikhâïlytch, qui ne l’aimait pas, s’assit à l’autre bout de la table et se mit, sans dire mot, à avaler son thé. – Ta mère, aujourd’hui encore, n’a pas dîné, lui dit sa tante ; tu devrais y faire attention. Se laisser mourir de faim n’est pas un remède au malheur. Piôtre Mikhâïlytch trouvait incongru que sa tante se mêlât d’affaires qui ne la regardaient pas et fît dépendre son départ du fait que Zîna eût quitté la maison ; il voulut lui dire quelque chose d’impertinent, mais se retint. Et, en se retenant, il com- prit que le moment d’agir était arrivé ; il n’avait plus la force de se contraindre : ou agir immédiatement, ou se rouler à terre en hurlant… Piôtre Mikhâïlytch se représentait Zîna et Vlâssitch, libé- raux tous les deux, contents d’eux-mêmes, s’embrassant sous un – 8 – érable. Et tout ce qui s’était amassé en lui de pénible et de mé- chant, pendant une semaine, se déversa sur Vlâssitch. « L’un séduit ma sœur, un autre viendra tuer ma mère, un troisième incendiera la maison, ou nous volera…, et, tout cela, sous le couvert de l’amitié, des hautes idées, de la souffrance humaine !… » « Non, ce ne sera pas ! » conclut soudain Piôtre Mik- hâïlytch en frappant du poing sur la table. Il se leva et sortit en courant de la salle à manger. À l’écurie, le cheval du régisseur était sellé. Piôtre Mik- hâïlytch l’enfourcha et par
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