Tchekhov voisins ocr
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Extrait

COLLECTION D'AUTEURS ÉTRANGERS PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE CHARLES DU BOS ANTONE TCHEKHOV VOISINS Traduit du russe par DENIS ROCHE (Seule traduction autorisée par l'auteur) PARIS LIBRAIRIE PLON LES PETITS-FILS DE PLON ET NOURRIT IMPRIMEURS-ÉDITEURS — 8, RUE GARANCIÈRE, 6" Oa AAitinr, TCHÉKHOV A MÉLIKHOVO E.\ 1S97 COLLECTION D'AUTEURS ÉTRANGERS PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE CHARLES Du BOS' ANTONE TCHÉKHOV VOISINS TRADUIT DU RUSSE PAR DENIS ROCHE (Seule traduction autorisée par l'auteur.) PARIS LIBRAIRIE PLON LES PETITS-FILS DE PLON ET NOURRIT IMPRIMEURS - EDITEURS S, RUE OARANCIKRE Tous droits réservés VOISINS Piôtre Mikhâilytch Ivâchine était de fort mau­ vaise humeur. Sa soeur, jeune et non mariée, avait été s'installer chez un homme marié, Vlâssitch. Pour se tirer le plus vite possible du triste et accablant état d'esprit qui ne le quittait ni chez lui, ni aux champs, le jeune homme appelait à son aide son sentiment de la justice, ses opinions honnêtes et généreuses ; il se trouvait avoir tou­ jours été, en effet, partisan de l'amour libre. Mais aucune idée ne le remontait, et, malgré lui, il en revenait à la même conclusion que la vieille bonne de la maison : à savoir que sa soeur avait mal - agi, et que Vlâssitch lui avait dérobé, volé sa sœur... Et cette idée le rongeait. Sa mère, de toute la journée, ne quittait plus la chambre ; la vieille bonne parlait à voix basse et soupirait sans cesse ; la tante de Piôtre Mikhâi­ lytch s'apprêtait à partir ; tantôt on descendait ses malles dans l'antichambre,t on les remon­ tait dans son appartement. Dans la maison, dans la cour, dans le jardm régnait le plus grand silence, 1 VOISINS 2 comme s'il y avait un mort chez les Ivâchine. La tante, les domestiques et même, semblait-il à Piôtre Mikhâilytch, les paysans, le regardaient avec curiosité et stupeur, comme s'ils voulaient dire : on a séduit ta sœur, pourquoi n'agis-tu pas? Et Piôtre Mikhâilytch se reprochait sa passivité, sans savoir ce qu'il aurait dû faire. Six jours s'étaient écoulés ainsi. Le septième, un dimanche après dîner, un messager à cheval apporta une lettre. L'adresse, d'une écriture féminine connue, était ainsi libellée : Son Excell. Anna Nicolâéïvna Ivâchine. Dans l'enveloppe, dans l'écriture, dans l'abré­ viation Son Excell., Piôtre Mikhâilytch crut démêler quelque chose d'agressif, de railleur, et qui sentait le libéralisme. Or, le libéralisme féminin est entêté, inexorable, cruel. « Elle préférera mourir plutôt que céder à sa mère et lui demander pardon », pensa Piôtre Mik- hâïlytoh en portant la lettre. Sa mère était étendue tout habillée sur son lit. Voyant entrer son fils, elle se leva précipitamment, arrangea sous son bonnet ses cheveux grig, et demanda vite : — Qu'y a-t-il? — Voici ce que l'on envoie, dit Piôtre en lui remettant la lettre. On ne prononçait plus le nom de Zîna, ni même le pronom « elle » ; on parlait de Zîna imperson­ nellement. La mère reconnut l'écriture, et son vi­ sage devint laid, désagréable. Ses cheveux gris s'échappèrent encore de dessous son bonnet. — Non ! dit-elle, en écartant les mains comme VOISINS 3 si la lettre lui eût brûlé les doigts ; non, jamais ! pour rien au monde ! Et elle se mit à sangloter éperdument de chagrin et de honte. Elle aurait assurément voulu lire la lettre, mais sa fierté l'en empêchait. Piôtre Mikhâilytch comprit qu'il aurait dû décacheter la lettre et la lire à haute voix ; et soudain une colère, telle qu'il n'en avait jamais ressenti, l'en­ vahit. Il s'élança dans la cour et cria au messager : — Dis qu'il n'y a pas de réponse. Ibn'y en aura pas. Dis-le bien, animal ! Et il déchira la lettre. Puis les larmes lui mon­ tèrent aux yeux, et, se sentant dur, répréhensible, malheureux, il partit dans les champs. Il n'avait que vingt-huit ans, mais il était déjà gros, s'habillait, comme un homme vieux, de vête­ ments larges et longs, et souffrait d'oppression. Tous les instincts du propriétaire non marié com­ mençaient à se développer en lui. Il ne s'amou­ rachait de personne, ne songeait pas au mariage, n'aimait que sa mère, sa sœur, la vieille bonne et le jardinier Vassîlytch ; il aimait à bien manger, à faire la sieste, à parler politique et à traiter les plus hautes questions. Il avait fait jadis des études à l'Université et considérait maintenant ce temps-là comme le paiement d'une dette auquel la jeunesse est astreinte de dix-huit ans à vingt-cinq ans ; main­ tenant les idées qu'il avait en tête n'avaient plus rien de commun avec l'Université et les sciences qu'il y avait étudiées. Dehors il faisait chaud et doux, comme quand il va pleuvoir. On était dans les boise dans une VOISINS 4 étuve et une forte odeur de pins et de feuilles pourries s'exhalait. Piôtre Mikhâilytch s'arrêtait souvent et s'épongeait le front. Il examina ses blés d'hiver et ses blés d'été, ses trèfles, d'où, par deux fois, il fit lever une perdrix et ses petits ; et, tout le temps, il pensait que cette insupportable situa­ tion ne pouvait pas se prolonger indéfiniment : il fallait en finir d'une façon ou d'une autre, — d'une façon même bête, sauvage..., — mais en finir ! « Que faire ? Gomment s'y prendre ? » se deman­ dait-il en regardant d'un air suppliant le ciel et les arbres, comme s'il demandait leur aide. Mais le ciel et les arbres se taisaient. Les opinions généreuses de Piôtre Mikhâilytch ne lui étaient d'aucun secours. Le bon sens lui soufflait qu'on ne pouvait résoudre le torturant problème que d'une façon stupide, et que la scène d'aujourd'hui avec le messger ne serait pas la dernière ; il était effrayant de songer à ce qui arriverait encore. Quand il rentra, le soleil baissait déjà. Il sem­ blait maintenant à Piôtre Mikhâilytch que le pro­ blème était insoluble ; on accepte ou on n'accepte pas un fait accompli, il n'y a pas de milieu. Le chapeau à la main, s'éventant avec son mou­ choir, il marchait sur la route. Il était à peu près à deux verstes de la maison, lorsqu'il entendit un tintement gai. C'était une combinaison très réussie de clochettes et de grelots, faisant un bruit cristal­ lin, qu'avait seul, dans le district, le chef de police Médovski, ancien officier de hussards, ruiné, usé et malade. Parent éloigné de Piôtre Mikhâilytch, il venait voir familièrement les Ivâchine, ressen- VOISINS 5 tait pour Zîna des sentiments -paternels et était plein d'admiration pour elle. — Je vais chez vous, dit-il à Piôtre Mikhâilytch quand il l'eut rattrapé ; montez, je vous emmène. Il souriait et semblait content ; il ne savait évidemment pas encore que Zîna était partie chez Vlâssitch, ou, si on le lui avait dit, il n'y croyait pas. Piôtre Mikhâilytch se sentit dans une situation gênante. — Très heureux... murmura-t-il en devenant cramoisi, ne sachant quel mensonge inventer, enchanté, mais... Zîna est absente, et maman est malade. — Que c'est ennuyeux, dit le chef de police, regardant pensivement Piôtre Mikhâilytch. Moi qui comptais passer la soirée chez vous. Où donc est allée Zinâida Mikhâilovna? — Chez les Sinîtski, et, de chez eux, je crois qu'elle voulait pousser jusqu'au couvent. Je ne sais pas au juste. Le chef de police causa quelques instants avec lui et repartit. Piôtre Mikhâilytch, en continuant sa route, songeait avec effroi à ce qu'éprouverait Médovski quand il connaîtrait la vérité ; et le ressentant, lui aussi, il arriva chez lui. — Seigneur, aide-moi ! pensait-il, aide-moi !... Dans la salle à manger, pour le thé du soir, il ne trouva que sa tante. Son expression laissait voir clairement, comme d'habitude, que, bien que faible et sans appui, elle ne laisserait personne la rabaisser. Piôtre Mikhâilytch, qui ne l'aimait pas, s'assit à l'autre bout de la table et se mit, sans dire mot, à avaler son thé. 6 VOISINS — Ta mère, aujourd'hui encore, n'a pas dîné, lui dit sa tante ; tu devrais y faire attention. Se laisser mourir de faim n'est pas un remède au malheur. Piôtre Mikhâïlytch trouvait incongru que sa tante se mêlât d'affaires qui ne la regardaient pas et fît dépendre son départ du fait que Zîna eût quitté la maison ; il voulut lui dire quelque chose d'impertinent, mais se retint. Et, en se retenant, il comprit que le moment d'agir était arrivé ; il n'avait plus fa force de se contraindre : ou agir immédiatement, ou se rouler à terre en hurlant... Piôtre Mikhâïlytch se représentait Zîna et Vlâssitch, libéraux tous les deux, contents d'eux- mêmes, s'embrassant sous un érable. Et tout ce qui s'était amassé en lui de pénible et de méchant, pendant une semaine, se déversa sur Vlâssitch. « L'un séduit ma sœur, un autre viendra tuer ma mère, un troisième incendiera la maison, ou nous volera.., et, tout cela, sous le couvert de l'amitié, des hautes idées, de la souffrance humaine !.. » « Non, ce ne sera pas ! » conclut soudain Piôtre Mikhâïlytch en frappant du poing sur la table. Il se leva et sortit en courant de la salle à manger. A l'écurie, le cheval du régisseur était sellé. Piôtre Mikhâïlytch l'enfourcha et partit au grand trot, se rendant chez Vlâssitch. En son âme, l'orage grondait. Il sentait le besoin de faire quelque chose d'extraordinaire, d'extravagant, dût-il s'en repentir toute sa vie. Il allait traiter Vlâssitch de lâche, le gifler et se battre en duel avec lui. Mais Vlâssitch n'était pas de ces gens qui se VOISINS 7 battent en duel. Le mot de lâche et la gifle ne feraient que le rendre plus malheureux, plus con­ centré. Ces gens malheureux et inoffensifs sont les plus insupportables et les plus ennuyeux. Tout leur sera pardonné. Lorsqu'en réponse à un reproche mérité, un homme malheureux vous regarde avec des .yeux profondément imprégnés du sentiment de sa faute, sourit douloureusement, et avance humblement la tête, la justice elle-même ne se sent plus le courage, semble-t-il, de lever la main sur lui. « Peu importe ! résolut Piôtre
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