Qu'est-ce que l'existence ? - article ; n°18 ; vol.48, pg 185-219

Edmond Brisbois

Description

Revue Philosophique de Louvain - Année 1950 - Volume 48 - Numéro 18 - Pages 185-219
35 pages

Sujets

• Philosophie et théologie

Informations

• Publié par: REVUE_PHILOSOPHIQUE_DE_LOUVAIN
• Publié le: 01 janvier 1950
• Nombre de lectures: 11
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Edmond Brisbois
Qu'est-ce que l'existence ?
In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, Tome 48, N°18, 1950. pp. 185-219.
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Brisbois Edmond. Qu'est-ce que l'existence ?. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, Tome 48, N°18, 1950. pp.
185-219.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1950_num_48_18_4284Qu'est-ce que l'existence ?
La vogue actuelle de l'existentialisme a ramené l'attention des
philosophes sur la notion d'existence. Les milieux scolastiques ne
sont pas restés étrangers à ces préoccupations, comme en témoi
gnent nombre d'articles et d'ouvrages parus en ces dernières années.
La présente étude a aussi pour objet la notion d'existence ; elle
voudrait signaler quelques points et proposer quelques suggestions
concernant la notion scolastique d'existence et spécialement la portée
ontologique de sa signification.
Pour comprendre le sens de cette notion, le plus simple est,
croyons-nous, de partir de la notion d'être telle que, selon les
scolastiques, la pensée humaine la conçoit naturellement, au moins
d'une manière implicite, dans la connaissance des objets. L'être,
au sens premier et fondamental de ce terme, c'est l'être existant,
c'est-à-dire qui appartient à la réalité objective actuelle, et n'existe
pas seulement comme représentation dans la pensée. Pris dans ce
sens, l'être a été appelé par les scolastiques modernes ens parti-
cipium, l'être-verbe, l'être au sens actif, marquant par là la pré
sence effective, dans la réalité actuelle, de l'objet signifié par ce
terme.
Dans l'être ainsi conçu, les scolastiques distinguent ce par quoi
l'être existe, c'est-à-dire l'existence prise formellement, l'esse de
l'être, selon la terminologie des anciens scolastiques (1). Cet esse
représente l'élément constitutif formel de l'être considéré en tant
qu'être : Ens sumitur ab actu essendi, dit S. Thomas (Ver. 1 , 1 , c),
c'est-à-dire que c'est par son esse que l'être est vraiment être au
(') Quoique ces deux termes .d'existence et d'esse soient souvent employés
l'un pour l'autre par les scolastiques modernes, cependant le terme « exister »
marque une nuance que n'explicite pas formellement 'le terme esse: l'existence,
prise au «ens strict, signifie l'actualité de l'être en tant qu'elle procède des causes
qui font exister cet être. 186 Edmond Brisboia
sens formel, au sens propre de ce terme. Ce qui correspond d'ail
leurs à la signification courante de celui-ci dans le langage usuel :
un être, au sens obvie, c'est quelque chose qui est réel, qui existe
réellement, c'est-à-dire dans la réalité objective et pas seulement
dans la pensée.
En plus de son esse, de l'acte d'être par lequel il existe, tout
être implique encore, selon les scolastiques, une manière d'être
selon laquelle il existe, et en raison de laquelle il est tel être déter
miné. Ce second principe constitutif de l'être tel qu'il est conçu
par la pensée humaine, les scolastiques l'ont appelé l'essence de
l'être. C'est par son essence que l'être est constitué lui-même et
se distingue des autres êtres qui ne sont pas lui. L'essence de l'être,
en tant qu'exprimant la manière d'être de cet être, est donc en
lui le principe de la détermination qui le fait lui-même ; c'est par
conséquent un id quo, une forme, par laquelle l'être est tel ou
tel être. En raison de son essence, en effet, l'être a, selon la te
rminologie scolastique, valeur de « res », non pas dans le sens du
terme français « chose », lequel est communément opposé dans
le langage au terme « personne », et désigne plus spécialement les
êtres inanimés ; mais le mot latin res, tel qu'il est compris dans
la terminologie philosophique des scolastiques, signifie tout être qui
a une manière d'être déterminée : Simpliciter vocatur res quod habet
esse ratum et firmum in natura ; et dicitur res, hoc modo accepto
nomine rei, secundum quod habet quidditatem Del essentiam quam-
dam, ens vero quod habet esse (2, d. 37, 1, 1, c) (2).
Telle est la première signification de l'essence dans la conception
scolastique de l'être : l'essence est d'abord principe de détermi
nation de l'être.
Elle en présente encore une seconde, qui dit expressément rap
port à l'esse de l'être, et par conséquent intéresse directement la
question que nous examinons ici. L'essence de l'être, selon les
scolastiques, a encore valeur de sujet ordonné à recevoir l'esse de
l'être, c'est-à-dire que par elle-même elle est en puissance à cet
esse, et que c'est en le recevant qu'elle contribue à faire exister
l'être suivant les déterminations positives qui le constituent lui-
même. En raison de ce second caractère de l'essence, l'esse de
(2) Tous les textes cités dans le présent article et ne portant pas mention de
l'auteur cité, sont tirés dea œuvres de S. Thomas. Les références à celles-ci sont
mentionnées selon le mode d'abbréviation communément en usage. Qu'est-ce que l'existence ? 187
l'être apparaît donc, dans la doctrine scolastique de l'être, comme
étant par lui-même l'acte de l'essence : Esse est actus essentiae,
dit S. Thomas (1, d. 33, I, 1, ad 1 ; 1, 3, 2, c, secundo ; 1,5, 1, c ;
etc.) ; il est ce qui donne à l'essence, considérée en tant que sujet,
de réaliser en acte et de posséder réellement ce que par elle-
même elle n'est qu'en puissance {Pot. 7, 2, ad 9 ; 1, 4, 1, ad 3).
Considérée sous cet aspect, l'essence de l'être est donc un id quod,
id quod habet esse, id quod existit, ce qui existe, non par soi mais
par l'esse qu'elle reçoit. Telle est la seconde fonction de l'essence
selon la conception scolastique de l'être existant.
Ainsi l'essence et l'esse ou l'existence sont les deux principes
constitutifs premiers de l'être existant tel qu'il est conçu dans la
connaissance humaine. Leur synthèse constitue l'être existant, dans
lequel l'esse joue le rôle de forme, c'est-à-dire de principe déter
minant, en raison duquel l'être existant est et est dénommé être ;
et l'essence est le sujet qui reçoit cette forme comme son acte.
L'esse de l'être apparaît donc comme l'actualité de l'essence de
cet être, et c'est précisément ce qui constitue sa nature propre
selon les scolastiques (3).
Ce que nous voudrions rechercher dans ces pages, c'est ce
en quoi consiste dans l'ordre réel cette actualité de l'essence qui
constitue la nature propre de l'esse, de l'existence. Qu'apporte-t-elle
à l'essence réelle de l'être ? Quel est, par rapport à cet esse qui
est son acte, le rôle de l'essence de l'être ? Quelle est l'incidence
de la nature de l'esse sur certains aspects de l'être auxquels cet
esse est plus directement lié ?
Qu'est-ce que l'« esse » ?
C'est que, en effet, cette actualité de l'essence de l'être, qui
exprime la nature propre de l'existence, peut être comprise, et
est comprise en fait, dans deux sens très différents.
L'existence d'un être, considérée dans l'ordre réel, peut d'abord
être entendue comme étant la simple appartenance de l'essence
de cet être à la réalité objective actuelle. L'essence de l'être, en
'*> L'analyse de la notion d'être existant, telle que nous l'avons exposée, est
communément admise ipar les scolastiques; mais tous ne comprennent pas de la
même manière la portée ontologique dee divers éléments qu'implique cette notion. Edmond Briabois 188
effet, de l'être fini au moins, considérée absolument, c'est-à-dire
selon les notes, les déterminations qui la constituent, n'implique
pas par elle-même cette appartenance au réel objectif, elle n'ex
prime par que la manière d'être qui donne à l'être d'être
lui-même et l