Sully Prudhomme — Stances et PoèmesLes Fleurs Ô poète insensé, tu pends un fil de lyre À tout ce que tu vois,Et tu dis : « Penchez-vous, écoutez, tout respire ! » Hélas ! non, c'est ta voix ...
Ô poète insensé, tu pends un fil de lyre Àtout ce que tu vois, Et tu dis : « Penchez-vous, écoutez, tout respire ! » Hélas! non, c'est ta voix.
Les fleurs n'ont pas d'haleine ; un souffle errant qui passe Emporteleurs senteurs, Et jamais ce soupir n'a demandé leur grâce Auxhivers destructeurs.
Et cependant les fleurs, d'une beauté si tendre, Sont-ellessans amour ? Ne les voyez-vous pas à la chaleur s'étendre Etse porter au jour ?
L'aube au rire léger, leur mère et leur amie, Dissipeleur sommeil : N'a-t-elle pu causer à la moins endormie Unsemblant de réveil ?
Ne concevez-vous point l'âme libre d'idées, Uncœur, un cœur tout pur, Des lèvres seulement vers la flamme guidées, Desfleurs cherchant l'azur ?
Dans la convalescence, où nous vivons comme elles, Nouslaissant vivre en Dieu, Le plus discret bonjour du soleil aux prunelles Nousfait sourire un peu ;
Quand la vie a pour nous ses portes demi-closes, Lesplantes sont nos sœurs, Nous comprenons alors le songe obscur des roses Etses vagues douceurs ;
Nous sentons qu'il est doux de végéter encore, Tantaffaibli qu'on soit, Et de remercier un ami qu'on ignore D'unbaiser qu'on reçoit.
Il est ainsi des fleurs, et ces frêles personnes Ontleurs menus désirs ; Dans leur vie éphémère il est des heures bonnes : Ellesont des plaisirs.
La plante résignée aime où son pied demeure Etbénit le chemin, Heureuse de s'ouvrir à tout ce qui l'effleure Etd'embaumer la main ;
De faire une visite en échangeant un rêve Surle vent messager, Ou d'offrir en pleurant le meilleur de sa sève Aquelque amant léger ;
De dire : « Ah !cueille-moi, je te rendrai jolie, Enfantqui peux courir ; Cela fait voyager d'être par toi cueillie, Sicela fait mourir :
« Je veux aller au bal, et là dans un beau vase
Régneravec langueur, Voir le monde, et lui plaire, et finir dans l'extase, Al'ombre, sur un cœur. »