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2000
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Frédéric Lordon
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01 janvier 2000
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Frédéric Lordon
La force des idées simples. Misère épistémique des
comportements économiques
In: Politix. Vol. 13, N°52. Quatrième trimestre 2000. pp. 183-209.
Citer ce document / Cite this document :
Lordon Frédéric. La force des idées simples. Misère épistémique des comportements économiques. In: Politix. Vol. 13, N°52.
Quatrième trimestre 2000. pp. 183-209.
doi : 10.3406/polix.2000.1125
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_2000_num_13_52_1125Abstract
The Power of Simple Ideas. Epistemic misery of economic behaviors
Frédéric Lordon
As a more realistic rectification of the « rational expectations hypothesis », the « simple ideas
hypothesis » presented here states that economic behaviors are often driven by very rough epistemic
schemes. Many are the agents, including the State, driven by simple ideas, a typology of which is given.
In the field of economic policy, simple ideas may appear as a watchword, and even a slogan,
performing a synthesis of the whole project of economic policy - consider for instance : « stability ».
Simple ideas may also appear as threshold-criteria - as set by the Maastricht treatise. Simple ideas may
also be seen in the field of finance but under the form of the dichotomie scheme (good/bad,
bullish/bearish...). This dichotomy is in upper position in a two levels « model » of expectations
formation : under its hermeneutic guidance, second level representations are elaborated which include
more sophisticated contents but remain strongly determined by it, and even subordinated to its
consolidation.
Résumé
La force des idées simples. Misère épistémique des comportements économiques
Frédéric Lordon
Comme un contrepoint plus réaliste de « l'hypothèse des anticipations rationnelles », « l'hypothèse des
idées simples » qu'on formule ici tient que les comportements économiques admettent parfois des
déterminants épistémiques extrêmement rudimentaires, voire grossiers. Nombreux sont donc les
comportements d'agents, y compris ceux de l'Etat, gouvernés par des idées simples dont on tente de
donner une première typologie. En matière de politique économique, les idées peuvent prendre
la forme du mot d'ordre, vocable synthétisant le projet d'ensemble de la politique économique - ainsi de
« l'expansion » ou de « la stabilité ». Elles peuvent aussi apparaître, dans un tout autre registre, sous la
forme du critère-seuil - à la façon du traité de Maastricht. La sphère financière fait, elle, apparaître des
idées simples ressortissant au type du schème dichotomique (bon/pas bon, haussier/baissier, etc.),
lequel occupe la position supérieure dans un modèle de formation des anticipations à deux niveaux :
sous sa gouverne herméneutique sont alors formées des représentations de second rang, plus
sophistiquées dans leurs contenus, mais fortement déterminées par lui dans leur orientation générale,
jusqu'à en être subordonnées à sa corroboration.:
La force des idées simples
Misère épistémique des comportements économiques*
Frédéric LORDON
On sait à quel degré d'irréalisme la théorie néoclassique aura consenti
pour préserver son unité et étendre à la formation des
représentations le paradigme de la rationalité. Il faut tout l'effet
d'habituation professionnelle - pour ne pas dire d'anesthésie - des
économistes pour ne plus s'étonner d'une « hypothèse des anticipations
rationnelles » dont le seul énoncé suffit à provoquer chez le non-initié un
sursaut d'ébahissement. Prêter à tous les agents la connaissance exacte du
modèle mathématique de l'économie entière1, faire de cette connaissance le
principe de chacune de leurs décisions (évidemment optimales) constitue un
cas de « projection » massive des catégories de l'entendement théorique sur
lequel l'histoire des sciences sociales aura probablement à se pencher.
Possédant « le » modèle (au double sens de la détention et de la maîtrise), les
agents, par ailleurs supposés parfaitement informés, prévoient l'avenir sans
coup férir, et peuvent notamment anticiper (déjouer) rationnellement les
conséquences de la politique économique. Il n'est aucune erreur possible car
* Mes remerciements à Stefano Palombarini, Jérôme Bourdieu, Patrick Le Gales et, plus
particulièrement, Patrick Lehingue, lecteurs d'une version préliminaire de ce texte, dont la
responsabilité est évidemment dégagée.
1. En matière d'anticipations rationnelles, la référence « historique » est Muth (J.), « Rational
Expectations and the Theory of Price Movements », Econometrica, 39, 1961 ; et parmi les travaux
les plus célèbres on peut mentionner Lucas (R.), « Econometric Policy: a Critique », Carnegie
Rochester Conference Series on Public Policy, I, 1976 ; Kydland (F.), Prescott (E.), « Rules rather
than Discretion: the Inconsistency of Optimal Plans », Journal of Political Economy, 87, 1977.
Politix. Volume 13 - n° 52/2000, pages 183 à 209 Politix n° 52 184
on n'est pas ici dans l'ordre de l'interprétation ou de la conjecture : le modèle
que les agents ont en tête est le vrai modèle de l'économie, celui de la théorie
nouvelle classique, le seul modèle concevable. Dans l'harmonie de ce monde
intellectuel parfait où les agents pensent comme les théoriciens, c'est-à-dire
comme les théoriciens voudraient qu'ils pensent, l'adhérence de la théorie à
son objet cesse ipso facto d'être un problème puisque, par hypothèse, les
représentations vraies du monde circulent librement entre les esprits des
« théoriseurs » et les esprits des « théorisés ».
A quelque chose malheur est bon : il aura fallu toute la force de légitimation
de la théorie dominante pour établir - ou plutôt rétablir - la nécessité de
prendre en compte les vues sur l'avenir formées par les agents. La postérité
n'ayant pas toujours le sens de la justice, c'est donc sous la figure bizarre des
anticipations rationnelles que le thème des représentations aura trouvé sa
place dans la théorie contemporaine, sans grande considération pour Keynes
à qui on pourrait pourtant davantage en accorder la paternité2 - mais si loin
du délire de perfection dans lequel tombera plus tard la macroéconomie
nouvelle classique : « Ce que nous voulons simplement rappeler, c'est que
les décisions humaines engageant l'avenir sur le plan personnel, politique ou
économique ne peuvent être inspirées par une stricte prévision
mathématique, puisque la base d'une telle prévision n'existe pas3... » A
proclamer avec tant d'autorité l'obligation pour tout modèle bien formé de
disposer d'un volet dédié aux anticipations - évidemment rationnelles -, la
théorie néoclassique aura finalement si bien contribué à ancrer le thème des
représentations dans la pensée économique qu'elle en aura presque suscité
elle-même ses propres contradicteurs. Car une fois le thème pris au sérieux -
et le fait est que, dans sa généralité, il mérite de l'être - il était à peu près
inévitable que se fassent jour des tentatives pour en exploiter les possibilités
mais au plus loin des extravagances de l'hypothèse des anticipations
rationnelles, et en donnant à la cohérence externe, c'est-à-dire au souci de
réalisme, une importance au moins aussi grande qu'à la cohérence interne.
La décennie 90 aura été incontestablement prolifique en cette matière. Aux
marges de la théorie néoclassique, mais en rupture manifeste avec les
anticipations rationnelles, la théorie des jeux évolutionnaires a largement
décliné le thème de l'apprentissage et des divers modes de révision
dynamique des croyances4. Un peu plus loin dans l'hétérodoxie, s'est
2. Orléan (A.), « Mimétisme et anticipations rationnelles », Recherches économiques de Louvain, 52
(1), 1986.
3. Keynes (J. M.), Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, Paris, Payot, 1985, p. 174
(lre édition 1936).
4. Cf. entre autres Mailath (G. J.), « Introduction: Sympo