La Libye et l'Afrique - article ; n°2 ; vol.49, pg 317-329

Charles Tripp

Description

Politique étrangère - Année 1984 - Volume 49 - Numéro 2 - Pages 317-329
L'Afrique est devenue un pôle d'attraction particulier pour le colonel Kadhafi. Cet intérêt du chef d'Etat libyen a pour origine son isolement au sein du monde arabe, son inclination idéologique, ainsi que le zèle missionnaire de l'insécurité qui caractérisent sa révolution dans son propre pays. Ces mêmes forces l'ont poussé à rechercher en Afrique une volonté conforme à la sienne, aussi absolue qu'il a su la développer chez lui. Il n'a pas réussi dans ce domaine. En effet, le ressentiment qu'ont suscité ses méthodes et son inaptitude à le surmonter l'ont conduit à l'échec. Comme partout ailleurs, ces facteurs ont ruiné sa politique au Tchad. Isolé par son autocratie, il n'a pu se résoudre à modifier son attitude, ce qui a pour conséquence une perpétuelle répétition de la même tactique. Certains signes montrent toutefois que la sécurité, non seulement des Etats voisins, mais aussi du propre régime de Kadhafi, commence à se trouver affectée par les conflits régionaux dans lesquels il persiste engager son pays sans résultat véritablement utile.
Libya and Africa, by Charles Tripp
Africa has become a particular focus of Qadhafi's attention. This has been due to his isolation in the Arab world, his ideological proclivities, and the sensé of missionary zeal and insecurity which have characterised his révolution in Libya. Thèse same forces have driven him to seek a compliance with his will in Africa as absolute as that which he has created in Libya itself. In this he has failed. Resentment at Qadhafi's methods and his inability to overcome this resentment hâve denied him success. As elsewhere, this has also marred his policies in Chad. Insulated by his autocracy, he has been disinclined to modify his attitude, with the resuit that he tries the same tac tics repeatedly. However, there are indications that the security not only of neighbouring states, but also of Qadhafi's own régime are now being affected by the consequences of the régional conflicts in which he has persisted in embroiling his country, to no very useful end.
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: POLITIQUE_ETRANGERE
• Publié le: 01 janvier 1984
• Nombre de lectures: 219
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Charles Tripp
La Libye et l'Afrique
In: Politique étrangère N°2 - 1984 - 49e année pp. 317-329.
Citer ce document / Cite this document :
Tripp Charles. La Libye et l'Afrique. In: Politique étrangère N°2 - 1984 - 49e année pp. 317-329.
doi : 10.3406/polit.1984.3369
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342X_1984_num_49_2_3369Résumé
L'Afrique est devenue un pôle d'attraction particulier pour le colonel Kadhafi. Cet intérêt du chef d'Etat
libyen a pour origine son isolement au sein du monde arabe, son inclination idéologique, ainsi que le
zèle missionnaire de l'insécurité qui caractérisent sa révolution dans son propre pays. Ces mêmes
forces l'ont poussé à rechercher en Afrique une volonté conforme à la sienne, aussi absolue qu'il a su la
développer chez lui. Il n'a pas réussi dans ce domaine. En effet, le ressentiment qu'ont suscité ses
méthodes et son inaptitude à le surmonter l'ont conduit à l'échec. Comme partout ailleurs, ces facteurs
ont ruiné sa politique au Tchad. Isolé par son autocratie, il n'a pu se résoudre à modifier son attitude, ce
qui a pour conséquence une perpétuelle répétition de la même tactique. Certains signes montrent
toutefois que la sécurité, non seulement des Etats voisins, mais aussi du propre régime de Kadhafi,
commence à se trouver affectée par les conflits régionaux dans lesquels il persiste engager son pays
sans résultat véritablement utile.
Abstract
Libya and Africa, by Charles Tripp
Africa has become a particular focus of Qadhafi's attention. This has been due to his isolation in the
Arab world, his ideological proclivities, and the sensé of missionary zeal and insecurity which have
characterised his révolution in Libya. Thèse same forces have driven him to seek a compliance with his
will in Africa as absolute as that which he has created in Libya itself. In this he has failed. Resentment at
Qadhafi's methods and his inability to overcome this resentment hâve denied him success. As
elsewhere, this has also marred his policies in Chad. Insulated by his autocracy, he has been
disinclined to modify his attitude, with the resuit that he tries the same tac tics repeatedly. However,
there are indications that the security not only of neighbouring states, but also of Qadhafi's own régime
are now being affected by the consequences of the régional conflicts in which he has persisted in
embroiling his country, to no very useful end.POLITIQUE ÉTRANGÈRE I 317
Charles TRIPP* | LA LIBYE ET L'AFRIQUE
L' Afrique a donné au colonel Kadhafi une occasion sans égal
e de conduire une politique étrangère active, mais le carac
tère intensif de cette a généralement obscurci le fait
qu'elle ne donnait aucun résultat favorable définitif. La proximité
géographique et politique d'un certain nombre d'Etats africains ont
servi à confirmer la perception qu'avait Kadhafi de ce qu'il pouvait
apporter dans le monde et l'ont amené à croire que les ressources
limitées dont il disposait pouvaient lui donner quelques chances de
succès dans l'accomplissement de son projet. Le moteur de son
action, tout comme les méthodes utilisées, viennent de la Libye
elle-même, et sont dès lors intimement liés à la volonté politique
de Kadhafi et au régime qu'il a établi pour servir cette volonté.
Par voie de conséquence, les actions libyennes en Afrique ont été
à l'image autocratique et révolutionnaire de ce régime, reposant sur
la force coercitive l'espoir du bien-être matériel que promet la révo
lution et le mythe de la puissance qui pousse Kadhafi à exercer
une autorité absolue dans tous les domaines.
Quelles qu'aient été les vicissitudes du régime depuis que Kadhafi
s'empara du pouvoir en septembre 1969, à la tête des « Officiers
libres », la seule constante a été la pulsion autocratique. Depuis
cette époque, Kadhafi s'est consacré à l'établissement d'un pouvoir
absolu qui l'a rendu pratiquement libre de toute contrainte, et l'a
convaincu de son droit d'agir totalement à sa guise dans les affaires
publiques.
Le maintien d'une telle autocratie est à l'origine de la dualité si
particulière du régime libyen. D'un côté, on a fait des efforts consi
dérables en vue d'entretenir le mythe qui soutient l'absolutisme de
Kadhafi et son identification avec l'Etat libyen, le bien-fondé de ses
objectifs et la lutte contre ses ennemis naturels. De l'autre, on a
maintenu un appareil coercitif implacable, fait de services qui se
recouvrent et se soupçonnent mutuellement, mais se rejoignent à la
limite au niveau des forces armées, contredisant le mythe à peu
* Directeur adjoint du Programme d'études stratégiques et de sécurité internationale,
Institut universitaire des hautes études internationales, Genève. 318 I POLITIQUE ÉTRANGÈRE
près pour tout, et que l'on maintient justement pour éviter que cette
contradiction fondamentale ne se cristallise un jour en révolte
ouverte.
Cette structure du pouvoir, et notamment la double nature du régime
de Kadhafi, à la fois un Etat et une révolution, ont eu des consé
quences particulières pour la politique étrangère libyenne. Elles ont
en effet contribué directement à lui donner son caractère agressif
et, en même temps, à provoquer les failles qui ont miné son eff
icacité : tendance à vouloir exporter vers d'autres pays des conditions
analogues à celles qui régnent à l'intérieur ; perception et interpré
tation erronées des événements extérieurs filtrés au travers d'un be
soin non demandé d'absolutisme ; impossibilité de faire concorder
les ambitions grandioses d'un autocrate sans limites avec les moyens
dont il dispose sans, au passage, compromettre gravement la sécurité
et la stabilité de la structure interne. Telles sont les difficultés ren
contrées par Kadhafi dans sa politique étrangère. Comme l'Afrique
lui a offert un champ d'action, c'est avec les Etats africains que ces
difficultés se manifestent avec la plus grande acuité.
La vision africaine de Kadhafi
L'attention prêtée par aux événements qui se sont déroulés
à l'intérieur des Etats africains au cours des dernières années se
trouve être la résultante de deux facteurs simultanés et interdépen
dants affectant d'autres domaines de la politique libyenne. Le premier
de ces facteurs est sa mise à l'écart par les Etats arabes, mise
à l'écart proche de l'isolement et consécutive à sa politique, vers
le milieu des années 70. Le second facteur est l'intensification, à
peu près à la même époque, de la transformation révolutionnaire
de la société libyenne avec, par voie de conséquence, le renfo
rcement du pouvoir de Kadhafi et l'affermissement des bases sur
lesquelles il repose.
En ce qui concerne le premier point, Kadhafi s'est vu rejeté d'une
région où il croyait avoir un droit absolu, pas moins que dans son
propre pays, à régenter l'avenir. Les dirigeants des Etats arabes,
jaloux de leur pouvoir, refusèrent de voir battre en brèche leur pro
pre autorité et tournèrent le dos au Libyen. Bien qu'enragé par ces
réactions, Kadhafi les intégra néanmoins dans sa galaxie personnelle,
se convainquant lui-même qu'étant donné que le « peuple » des Etats
arabes le comprenait, sympathisait avec lui et attendait de l'avoir
pour guide, ses gouvernants oppresseurs et corrompus feraient tout
ce qu'ils pourraient pour prévenir une telle union populaire [1]. Cette
attitude l'amena tout naturellement à prendre parti pour le renver
sement de ces gouvernants et à appuyer toute action dans ce sens.
L'insuccès généralement rencontré par les groupes d'opposants aux LIBYE ET AFRIQUE / 319
dirigeants des pays arabes et les réactions hostiles qu'ils suscitèrent
ne firent que conforter Kadhafi dans sa vision du monde.
Ces événements coïncidèrent avec l'extension de l'autorité personn
elle de Kadhafi à l'intérieur même de la Libye. Désappointé par
l'apathie apparemment incurable de ses compatriotes, le maître de
Tripoli se lança dans des projets qui devaient altérer les mœurs