Transferts de culture au Maghreb - article ; n°5 ; vol.36, pg 603-616
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Description

Politique étrangère - Année 1971 - Volume 36 - Numéro 5 - Pages 603-616
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1971
Nombre de lectures 20
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jean-Paul Charnay
Transferts de culture au Maghreb
In: Politique étrangère N°5-6 - 1971 - 36e année pp. 603-616.
Citer ce document / Cite this document :
Charnay Jean-Paul. Transferts de culture au Maghreb. In: Politique étrangère N°5-6 - 1971 - 36e année pp. 603-616.
doi : 10.3406/polit.1971.1961
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342X_1971_num_36_5_1961DE CULTURES AU MAGHREB TRANSFERTS
par Jean-Paul CHARNAY
La vie quotidienne, sous la colonisation, était fatigante. Chacun
étant continuellement exposé aux vues de l'Autre, un jeu subtil de
comparaisons, d'affirmation ou de dissimulation de soi, de ses int
imités et de ses infirmités, entraînait une tension d'esprit, une osten
tation de brutalité, une affectation de virilité, ou trop d'empresse
ment à ressembler extérieurement à ce que souhaitait le vis-à-vis :
bref, beaucoup de ruses et d'hypocrisies. La représentation était
permanente .
D'où les explosions de joie lors des indépendances : les Maghrébins
échappaient à la présence étrangère — au regard extérieur. Enfin
ils étaient « seuls ». En fait, seuls, ils comprirent vite qu'ils ne
l'étaient pas. Pas plus que l'intellectuel ne peut « débarquer », selon
sa génération, Racine ou Victor Hugo, Mallarmé ou Proust, le pomp
iste ou le tractoriste ne peuvent « débarquer » les mots « carbu
rateur » ou « pneu » pour désigner ces objets indispensables de leur
travail. L'organisation politique indépendante ne brise pas les vieilles
habitudes bureaucratiques. Les options idéologiques nouvelles n'em
pêchent pas le maintien d'une masse législative antérieure, et la
reconduction des modes de raisonnement juridique. Les circuits com
merciaux conservent leur viscosité. Et une succession d'état (1)
n'est pas seulement transfert des services publics, des biens doman
iaux, avec entrée directe sur la scène internationale. Elle est égale
ment reconduction de catégories mentales, de connaissances mutuelles
quoique imparfaites (car faussées par une vision inégalitaire). Elle
laisse subsister une fascination réciproque impatiemment ressentie.
D'où la surprise et la révolte, après les libérations, et les dénon-
(1) M. Flory, B. Etienne, G. Fouilloux et J.-Cl. Santucci, La succession d'état
en Afrique du Nord, éd. du CNRS, 1968 ; Mohammed Bedjaoui, Problèmes récents
de succession d'état dans les nouveaux Etats, cours donné à l'Académie de droit
international, extr. du vol. 130 des cours de l'Académie, La Haye, 1970. 604 LA CULTURE
ciations du néo-colonialisme, d'abord économico-politique, mais qui
déborde maintenant sur le terrain culturel : « Molière aussi est un
colonisateur » (1). Sa séduction constitue une drogue qui retranche
du réel — du concret vécu, de la continuité historique — , donc
introduit des failles à l'intérieur du milieu, selon la dose d'« étran-
geté » faible ou forte — parfois mortelle — absorbée. La culture
étrangère, d'abord libératoire, conférant esprit critique à rencontre
de soi comme de l'autre, devient tunique de Nessus que l'on ne peut
plus arracher qu'en s'arrachant la peau.
Traumatisme psycho-sociologique au Maghreb.
Et le Maghreb l'a durement ressenti — en Algérie, l'arabe était,
administrativement et scolairement, refoulé au rang de langue étran
gère. D'où les ambivalentes réactions du colonisé envers les valeurs
humaines de la civilisation extérieure, réactions qui ont décrit le plus
vaste horizon depuis l'apostrophe célèbre du Jeune Algérien Ferhat
Abbas aux colons lui refusant dignité d'homme et capacité polit
ique : « La France, c'est moi » — puisque j'en ai compris, aimé et
pratiqué le meilleur de ce qu'elle propose au monde — , jusqu'aux
jeunes poètes et romanciers maghrébins distendus entre leur mode
d'expression et la faiblesse de leur audience populaire.
En réalité, attirances et répulsions se mêlaient d'une inextricable
manière par rapport aux « constantes » arabo-musulmanes, comme
dans les comportements quotidiens.
La civilisation arabo-musulmane s'est « montée », à partir du
fonds arabe originaire, par prise et maturations successives d'él
éments venus de civilisations étrangères (byzantine, sassanide, hin
doue, persane, malaise...), mais fondus en un ensemble d'une puis
sante originalité. L'un des principes dynamiques de l'histoire arabe
est cette faculté d'appréhender l'Autre pour s'en dégager. Or cette
faculté a dû s'articuler à son contraire : à un autre principe de la
'urublya : le désir de conserver son intégrité linguistique, mais aussi
généalogique, de respecter sa vraie filiation (nasab), de se garder
des fausses parentés (di'wa). D'où la fameuse interdiction, dans la
loi musulmane, de l'adoption — interdiction qui a constitué l'un des
problèmes auxquels s'est heurtée l'Algérie indépendante, meurtrie
par le nombre de ses enfants abandonnés, de ses orphelins de
guerre...
(1) Souffles, Revue marocaine. J.-P. CHARNAY 605
Car toute acculturation est aussi déculturation et adoption, donc
négation de cette remontée vers l'essence originaire (vers l'archétype
canonique, vers la plénitude du modèle hégirien : elle est opposée
à ce décapage des sédiments déposés par les siècles, par les contacts
avec l'extérieur : remontée et décapage qui constituent l'un des
grands mouvements de la pensée musulmane (1). Sous les tentations
et les politiques relatives aux confluences des cultures se devinent
des réticences renvoyant aux plus antiques valeurs arabes : pureté
de la langue et pureté de la descendance, de l'esprit et du sang.
Or les ruptures réalisées par les imbrications de cultures tranchent
parfois au vif des rapports les plus intimes : des amis maghrébins
nous indiquaient récemment que le langage d'affection et de res
pect usité avec la mère était l'arabe : la différence d'âge et de savoir
l'imposant souvent. Tandis que la tendresse amoureuse envers la
femme s'exprime en français, qui permet plus de liberté. Mais la
jeune mère retrouve en arabe les vocables familiers, les vieilles
comptines, proverbes et contes pour ses nouveau-nés... On mesure
les distorsions intervenant dans une société dont les élites changent
d'idiome selon la personne à qui ils manifestent leurs sentiments les
plus doux.
Ainsi, au delà des admissions ou des refus de souveraineté poli
tique, simples variables parmi d'autres dans les interférences de
civilisations, il serait nécessaire de rechercher en quels domaines,
selon quelles intensités, et à quelles échéances, interviennent les
transferts socio-culturels : quels sont, selon les générations, dans la
vie quotidienne et dans les techniques, dans les relations familiales
et dans la vie publique, dans le savoir-vivre et la cuisine, l'habitat et
les vêtements, les dosages possibles et les comportements effectifs.
Les attirances et les refus ne sont pas mesurables seulement par
l'analyse et la sémantique des « transferts de valeurs » intervenus
dans les divers systèmes d'oeuvres de civilisation : modes de raison
nement logique ou juridique, littérature ou esthétique, économie
ou courtoisie. Ils renvoient aux transferts subis par les hommes
eux-mêmes : à ces transferts que les distorsions sociales, les enva
hissements intellectuels impriment dans lés esprits, et que la psychol
ogie sociale, par le choix d'« indicateurs » quantifiables adéquats,
s'efforce de cerner, que la psychanalyse s'efforce de sonder. Franz
(1) Jean-Paul Charaay, « Temps sociaux et interprétation historique en Islam »,
Studia Islamica, XXVIII, 1968, p. 5. LA CULTURE 606
Fanon en avait montré la face d'ombre (1). Les réussites de la
littérature maghrébine d'expression française en constituent une
face de lumière — lors même qu'elles se renient en tant que telles.
Ainsi se reconduisent sur le plan culturel les séculaires controvers
es religieuses, les récentes luttes politico-militaires et les actuelles
négociations économiques. Et les rancoeurs accumul

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