Un dialogue de sourds : un siècle de rapports franco-allemands - article ; n°5 ; vol.20, pg 575-590
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Description

Politique étrangère - Année 1955 - Volume 20 - Numéro 5 - Pages 575-590
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1955
Nombre de lectures 17
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Henri Brunschwig
Un dialogue de sourds : un siècle de rapports franco-allemands
In: Politique étrangère N°5 - 1955 - 20e année pp. 575-590.
Citer ce document / Cite this document :
Brunschwig Henri. Un dialogue de sourds : un siècle de rapports franco-allemands. In: Politique étrangère N°5 - 1955 - 20e
année pp. 575-590.
doi : 10.3406/polit.1955.2563
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342X_1955_num_20_5_2563UN DIALOGUE DE SOURDS :
UN SIÈCLE DE RAPPORTS FRANCO-ALLEMANDS
I
Dans cet ensemble de préjugés qui forme l'histoire nationale des peuples,
il en est un particulièrement cher aux Français : celui qui les qualifie de
peuple révolutionnaire. De fait, si la figure de Luther retient immédia
tement l'attention de ceux qui s'intéressent à l'histoire d'Allemagne, le
passé de la France paraît, à première vue, dominé par la Révolution de 1 789.
A juste titre sans doute, car, dans cette histoire de la France, dont la remar
quable continuité s'oppose aux fréquentes ruptures qu'on observe en Alle
magne, la Révolution de 1789 est une exception. Elle a interrompu des
traditions séculaires. Une nouvelle classe sociale, la bourgeoisie, remplaça
l'aristocratie : elle supprima les anciens privilèges, fondés sur la naissance,
et appliqua les principes nouveaux qui garantissaient la liberté individuelle
et l'égalité. Elle recruta des assemblées représentatives et fit fonctionner un
régime parlementaire. Les anciennes élites, qui n'étaient pas sans valeur,
furent sacrifiées, et des hommes nouveaux créèrent de nouvelles institutions.
Le caractère peut-être le plus important de cette révolution, celui qui
explique qu'elle soit restée si vivante dans la mémoire collective, qu'elle ait
en somme créé le sentiment national moderne, c'est que tous les Français
ont été obligés, à peu près au même moment, entre 1 789 et 1 793, de prendre
position. La Révolution a été si générale et si profonde qu'elle a pénétré
dans tous les milieux et placé le paysan le plus ignare du coin le plus reculé
de la province devant des conflits de conscience urgents. Tous, ils ont dû
choisir : ils se sont prononcés pour ou contre les prêtres réfractaires à la
constitution civile du clergé ; ils ont participé ou non aux ventes des biens
nationaux, ils ont reçu des assignats, dont la valeur diminua rapidement,
ils ont été mobilisés contre l'envahisseur étranger qu'accompagnaient les HENRI BRUNSCHWIG 576
émigrés, bref, touchés dans leurs sentiments, dans leur foi, dans leurs idées,
dans leurs intérêts, ils ont été obligés de s'affirmer, ils ont bougé, ils ont
adopté des attitudes nouvelles ; chacun d'eux a fait sa petite révolution
personnelle. De tels moments sont rares dans la vie d'un peuple : nous les
appellerons des crises.
Les crises engendrent toujours de nouvelles générations historiques (1).
Et c'est là la deuxième notion sur laquelle nous insisterons.
Une génération démographique dure en moyenne trente ans. Les fils
succèdent aux pères et, en général, ils continuent à penser et à sentir
comme eux. Sans doute s'opposent-ils aussi à eux sur une foule de points
de détail. Ils sont à l'affût des nouveautés, ils adoptent un argot particulier,
des modes extravagantes, ils critiquent volontiers la gestion de leurs aînés.
Mais cela n'empêche pas que pendant très longtemps tout un peuple peut
conserver la même échelle des valeurs essentielles, réagir de la même façon
sur quelques points fondamentaux. Déceler ces valeurs et révéler ces points
névralgiques, trouver en un mot le critère valable pour une génération
historique est pour l'historien une tâche délicate. Les risques d'erreur sont
considérables, car on peut aussi bien exagérer l'importance d'un critère
qui ne serait valable que pour un groupe du peuple envisagé que négliger
le caractère nouveau qui fait passer au second plan le critère valable jusqu'à
son apparition. Cela se produit surtout quand une génération historique
succède à une autre sans crise. Ainsi la Révolution française, qui fut une
crise, introduisit une génération dont l'idéal fut de conserver les principes
fondamentaux de 1 789, la liberté individuelle et l'égalité qui permettaient
à l'individu de s'affirmer et de s'élever dans la hiérarchie sociale. Mais les
Anglais de 1 830 par exemple ont eu aussi une conception du monde profon*
dément différente de celle de la fin du XVIIIe siècle. L'Angleterre urbaine
et industrielle a succédé à l'Angleterre aristocratique rurale et commerç
ante. Quand ? Nous proposerions, pour fixer les idées, 1807, moment
de la formation du parti radical, qui élabora les nouvelles doctrines poli
tiques, économiques et coloniales, date de l'abolition de la traite des noirs,
première année du blocus continental. Mais on pourrait aussi choisir la
période de 1783 à 1785, au cours de laquelle le traité de Versailles scella
la séparation des États-Unis (1783), l'acte de l'Inde préluda à la formation
(1) Sur les différentes définitions proposées récemment, cf. les excellents articles de
M. Y. RENOUARD : « La théorie des générations de J. Ortéga y Gasset > (Annales de la Faculté des
Lettres de Bordeaux, Bulletin historique, t. LUI, 1951, p. 413-421) et surtout « La notion de géné
ration en histoire » (Revue t. CCIX, 1953, p. 1-23). RAPPORTS FRANCO-ALLEMANDS 577
d'un nouvel empire en plaçant l'administration des domaines de la compag
nie des Indes orientales sous contrôle de l'État (1784), et la machine à
vapeur de Watt fut pour la première fois appliquée à l'industrie textile ;
il en résulta une production telle que le coton brut importé par l'Angleterre
passade 11 828 000 livres en 1782 à 32 000 000 en 1789 et à 132 000 000 en
1810 ; la grande industrie était née, avec ses besoins de matières premières,
de débouchés et de main-d'œuvre. On pourrait même adopter 1815, qui
amena la fin des guerres contre Napoléon et introduisit la période des
conflits politiques et sociaux au cours de laquelle la nouvelle génération
s'affirma. L'évolution dura une trentaine d'années au cours desquelles peu
à peu les préjugés, les comportements, les idéaux de l'Angleterre libérale
remplacèrent ceux de l'Angleterre aristocratique. Une trentaine d'années
de transition entre deux générations historiques, soit la durée moyenne
d'une génération démographique !
En France et en Allemagne les générations historiques se sont succédé,
avec ou sans crises, et leurs différences paraissent si évidentes que les cri
tères s'imposent à première vue.
II
Quand les Français s'imaginent être un peuple révolutionnaire, ils
pensent aussi à leurs révolutions de 1830 et de 1848. Mais, prenons-y
garde, ces mouvements n'ont rien de comparable à celui de 1 789. Ils n'ont
pas obligé chaque citoyen à prendre position ; Paris seul et quelques grandes
villes ont vécu ces révolutions, qui, dans le fond des provinces, se sont à
peine traduites par un changement de drapeau ou par le déplacement de
quelques fonctionnaires. Le sens profond de ces révolutions est qu'elles
furent conservatrices. La France du XIXe siècle était rurale. Les masses,
même quand elles n'avaient pas profité des biens nationaux, tenaient au
nouveau régime des terres et à l'égalité civile, qui leur permettaient d'espé
rer devenir propriétaires. Elles tenaient à la liberté individuelle, qui leur
assurait une vie personnelle, volontiers secrète, et tout orientée vers
l'amélioration de leur condition matérielle. Le « Enrichissez-vous » de
Guizot ne s'adressait pas à la bourgeoisie seulement. La bourgeoisie se
recrutait parmi les paysans, et l'ascension sociale s'accomplissait réguliè
rement. L'esprit d'économie dominait bourgeois et paysans.
La turbulence de Paris et l'éclat de la vie littéraire risquent d'aveugler
l'observateur. Le caractère général des géné

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