Propos d’exil
174 pages
Français

Propos d’exil

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Description

Des dames jaunes, d’une grande laideur, en sortent et s’avancent, les pieds jusque dans l’eau, pour mieux nous regarder passer. Elles sont en toilette du matin. Elles tordent de superbes chevelures noires, rudes comme des queues de cheval, et affectent de les nouer devant nous en chignons négligés. Elles mâchent des feuilles de bétel et de la noix d’arek 

Informations

Publié par
Nombre de lectures 13
EAN13 9782824711096
Langue Français

Extrait

P I ERRE LO T I
P ROPOS D’EX I L
BI BEBO O KP I ERRE LO T I
P ROPOS D’EX I L
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1109-6
BI BEBO OK
w w w .bib eb o ok.comLicence
Le te xte suivant est une œuv r e du domaine public é dité
sous la licence Cr e ativ es Commons BY -SA
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encourag é à le fair e .
V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.Pr emièr e p artie
1CHAP I T RE I
CORV ÉE MA T I NALE
24 août 1883.
’   matin, en Annam, dans une baie de côte . — Notr e
bâtiment est mouillé au lar g e . — Mon tour de cor vé e m’app elleC à me r endr e dans une p etite ville qui doit êtr e là quelque p art et
qui se nomme T ourane .
Il s’agit d’y pr endr e le chef mandarin et de l’amener à b ord fair e sa
visite de soumission, afin que des r elations amicales puissent s’établir
ensuite entr e nous et cee pr o vince qu’ on nous a donné e à g arder .
La baie est b elle et vaste . Elle est entouré e de très hautes montagnes
sombr es, e x cepté au fond, où il n’y a qu’une bande de sable toute plate , —
comme un mor ce au d’un autr e p ay s qu’ on aurait mis là , faute de mieux,
p our finir .
Et c’ est dans ce fond, p araît-il, dans cee plaine , que nous de v ons
2Pr op os d’ e xil Chapitr e I
tr ouv er T ourane , au b ord d’une rivièr e dont nous ne v o y ons p as encor e
l’ entré e .
Six g abier s, qu’ on m’a laissé choisir , m’accomp agnent dans cee
entr eprise . V rais matelots, de b onne race et puis très bien ar més  : de quoi
imp oser à toute une ville d’ Asie . Il fait p etit jour . Nous p artons en
baleinièr e .
A ucun de nous n’a jamais v u T ourane , et c’ est amusant d’aller ainsi,
au ré v eil, fair e la loi dans cet inconnu.
Les montagnes ont accr o ché , av e c leur s cimes, des nuag es qui leur
font des dômes sombr es  ; de lourdes masses d’ obscurité sont amoncelé es
tout en haut sur nos têtes.
A u contrair e , là-bas, au-dessus de cee bande de ter r es basses, où nous
allons, il y a le vide lumineux et pr ofond du ciel. Il y a aussi une chose
disp arate qui se dessine en silhouee , c’ est la « Montagne-de-Marbr e »,
qui ne r essemble à aucune autr e  ; sa for me est à p art, et elle se dr essé au
loin, seule dans la plaine . T rès intense de couleur , elle fait, au milieu de
ces sables, un effet de chose anor male  : r uine tr op grande ou montagne
tr op bar o que  ? On ne sait le quel des deux. Elle est le p oint qu’ on r eg arde ,
la note e xtraordinair e , la chinoiserie du p ay sag e .
A u b out d’une heur e de r oute , la ter r e s’ est natur ellement b e aucoup
rappr o ché e . Elle laisse v oir des détails qui sont banals au pr emier ab ord  :
une série de dunes basses, régulièr es, av e c des arbr es comme les nôtr es.
On distingue maintenant l’ endr oit où s’ ouv r e la rivièr e , une passe entr e
deux p ointes sablonneuses, av e c une maisonnee à l’ entré e .
Cela pr end un air des côtes basses du g olfe de Gascogne , de la
Saintong e p ar e x emple , et, à distance , on p eut très bien se figur er ar riv er dans
quelque p etit p ort du p ay s de France . — D e temps en temps, on aime se
fair e cee illusion-là quand on la tr ouv e sur son p assag e .
Mais la maison de tout à l’heur e , en se rappr o chant encor e , se fait
étrang e , grimaçante  ; son toit à lignes courb es se hérisse de toute sorte
de vilaines diableries, il a des cor nes, des griffes et p orte en son milieu la
grande fleur de lotus des p ag o des. . . Ah  !. . . c’ est Bouddha  !. . . c’ est l’ e
xtrême Asie  !. . . Alor s la notion de l’ e xil et de l’énor me distance nous r
evient tout à coup , à nous qui l’avions p erdue .
A utour de la vieille p ag o de silencieuse , des aloès de couleur pâle
3Pr op os d’ e xil Chapitr e I
dr essent p artout leur s piquants, comme des plantes mé chantes. Il y a des
brûle-p arfums p osés çà et là sur des p etits bancs caducs, qui sont des
autels b ouddhiques. Un p an de mur car ré est placé en avant, tout au b ord de
l’ e au, comme un é cran, p our masquer le chemin du sanctuair e  ; il p orte le
bas-r elief colorié d’une bête de rê v e , contour né e , griffue , nous montrant
ses cr o cs dans un rictus fér o ce  ; sur sa frise , une longue chauv e-souris
affr euse applique ses ailes de pier r e et nous tir e une langue p einte en r oug e .
Par ter r e , une tortue de faïence dr esse la tête et nous r eg arde  ; d’autr es
tout p etits monstr es app araissent aussi, immobiles, dans des p ostur es de
guet, ramassés sur eux-mêmes comme qui va b ondir . — T out ce monde est
vieux, mang é p ar le temps, p ar la p oussièr e , mais très vivant d’aitude et
d’ e xpr ession malfaisante , ayant l’air de dir e  : « Nous sommes des Esprits
qui g ardons depuis fort longtemps cee entré e de fleuv e et nous jetons
les mauvais sorts à ceux qui p assent. . . »
Nous entr ons tout de même , cela va sans dir e . D’ailleur s, p er sonne
nulle p art. Un grand silence et un air d’abandon.
V oici un monce au de canons ( obusier s français de 30, faciles à r e
connaîtr e , de ceux sans doute que les traités de 1874 cé dèr ent au r oi T u-Duc).
Ils sont là chavirés, inutilisés dans le sable , sous des abris de chaume . Il
y a aussi un amas d’ancr es et de chaînes de fer , semblant indiquer une
intention qu’ on aurait eue de nous bar r er la rivièr e .
Un très grand fort bastionné vient après  ; ses embrasur es de ter r e sont
envahies p ar les herb es, les ananas sauvag es, les cactus. A u b out d’une
p er che , un monstr e en b ois doré p orte dans sa gueule un p avillon d’
Annam qui p end sans floer dans l’air inerte et chaud. Le soleil, à p eine le vé ,
est déjà brûlant.
T oujour s p er sonne . Il est tr op matin sans doute , et les g ens dor ment
encor e .
Pourtant si, — une sentinelle qui v eille  ! — C’ est un de mes g abier s qui,
en r eg ardant en l’air , ap er çoit cet homme au-dessus de notr e tête dans une
espè ce de mirador monté sur quatr e pie ds de b ois, — comme ces log es à
gueeur s qui sont dans les stepp es cosaques. Il est accr oupi là-haut dans
sa p etite niche , à côté d’un tam-tam énor me , instr ument d’alar me . T out
déguenillé , il r essemble à une mauvaise vieille femme , av e c sa r ob e et son
chignon.
4Pr op os d’ e xil Chapitr e I
Il nous r eg arde p asser en conser vant l’immobilité d’un b onze ,
tournant les y eux seulement sans b oug er la tête .
La rivièr e s’ ouv r e de vant nous, assez dr oite , assez lar g e . P lusieur s
jonques à pr oue r ele vé e , à longues antennes, sont amar ré es là-bas sur les
deux riv es, et, encor e un p eu dans le lointain, T ourane app araît  : des cases
à toit de tuiles ou à toit de chaume , ép ar pillé es au hasard dans les arbr es  ;
des enseignes chinoises au b out de hamp es, des touffes de bamb ous, des
mirador s, des p ag o des. T out cela nous semble p etit et misérable  ; il est
v rai, cela se pr olong e b e aucoup dans les v erdur es du fond  ; mais, c’ est
ég al, nous aendions une ville plus grande .
elqu’un qui s’é v ente sur la b er g e nous fait de la main des signes
très eng ag e ants p our nous inviter à v enir .
i nous app elle , av e c ce g este gracieux d’é v entail  ? Un homme ou
une femme  ? D ans ce p ay s-ci, on ne sait jamais  : même costume , même
chignon, même laideur . . .
Mais non  ! c’ est monsieur Hoé, p er sonnag e de g enr

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