Psychanalyse des musiciens – La voix sur le divan
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Description


Enjeux de jouissance de la voix
Dans ce large parcours, qui croise l’histoire et la structure, Jean Michel Vives s’attache à démêler les enjeux de jouissance de la voix dans sa double vocation, chanter et parler. En effet, si dans la parole la voix s’efface au profit de ce qui se dit, dans le chant elle n’est pas sans reprendre une part de son ascendant.
Que peut apporter la psychanalyse aux musiciens lorsque toutes les autres formes de psychothérapies ne sont pas venues à bout de cette forme d’angoisse, qui résulte parfois d’un mal-être ? C’est en apprenant à se connaître et à s’accepter, que l’on peut ensuite renforcer l’existant et progresser.
&
Prima la musica
L’audition sur ce site internet d’extraits des partitions citées me parait une introduction souhaitable à « L’oreille musicale du psychanalyste » (Ed. l’Harmattan), et un préalable à la lecture de chacun de ses chapitres successifs.
  [Moins]

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Langue Français

Extrait

La voix sur le divan
J.M. Vives
Aubier / Psychanalyse, 2012
De la voix à la loi, et retour
Enjeux de jouissance de la voix
Dans ce large parcours, qui croise l’histoire et la structure, Jean-Michel Vives s’attache à démêler les enjeux de jouissance de la voix dans sa double vocation, chanter et parler. En efet, si dans la parole la voix s’eface au proIt de ce qui se dit, dans le chant elle n’est pas sans reprendre une part de son ascendant. Cet ascendant, l’auteur le montre à l’œuvre dans ces deux institutions, l’Église et l’opéra, qui ont magniIé chacune à sa Façon les pouvoirs de la voix. Mais il le questionne aussi là où il peut s’exercer jusqu’au ravage, dans ces raves de la musique techno (musique étant ici à entendre comme « extension de la voix autonomisée par rapport au langage »), ce rite postmoderne qui Fait de la voix un pousse-à-jouir sans mesure – jusqu’à parFois rendre timbré celui qui s’adonne à son timbre.
En ce qui concerne cet autre destin de la voix, parler, c’est l’extimité d’une jouissance spéciIque, au sein même de la loi (langagière,
symbolique) qui la répudie, qu’il met en évidence, ce qui le conduit à Faire entrer cette voix dans la parole de la cure et à témoigner de sa pratique psychanalytique.
L’auteur met ainsi en continuité, en sa double qualité de musicien et psychanalyste, deux disciplines que reud voulait étrangères l’une à l’autre, et que le Frayage ouvert par Lacan à une pulsion invocante, Frayage poursuivi par Alain Didier-Weill, Michel Poizat et quelques autres, a permis de nouer.
Selon la théorie lacanienne de l’objet (a), la voix est l’un de ces objets de jouissance primitiFs qu’il aura Fallu céder au langage pour pouvoir parler. À ce titre, on peut dire que, mise au service du langage et de la signiIcation, elle a pour destin paradoxal de se Faire aphone. Or, et c’est toute la Force subversive de ce travail que de l’avoir montré, cette jouissance perdue de la voix, autre que la jouïe-sens, en appelle à perdurer par-delà sa perte, dans la trace même de cette perte. C’est elle dont résonnent les échos brisés dans le schoFar, cette rémanence de la Chose vocale tuée et tue qu’avait déjà approchée Theodor Reik. Sous les trois notes de l’instrument rudimentaire que l’on Fait solennellement sonner lors des principales cérémonies de la religion juive, sous cette sonorité rauque et vibrante porteuse d’un intense afect d’angoisse – cet afect « qui ne trompe pas » dit Lacan, sous le mugissement de taureau étrangement exhalé par la corne bélier paciIante, le disciple musicien de reud n’avait pas hésité à reconnaître, plus encore que la voix du dieu de la loi, ou plutôt en continuité avec elle, s’en expirant littéralement, le râle du père à l’agonie de Totem et tabou, ce père reFoulé de la toute-jouissance toujours prêt à resurgir.
Le décryptage que Fait Jean-Michel Vives de ces trois notes, dans lesquelles il entend « les trois temps de la voix correspondant aux trois temps de la loi », le montre : ce que commémore le schoFar n’est rien moins que l’émergence de la loi du sein même de la mise à mort de la voix de toute-jouissance. S’y opère un passage en continuité, par l’intermédiaire d’un « vide médian », du cri de jouissance s’exhalant dans son ultime prolation à sa difraction dans une stylistique sonore (les deux brisures successives, en trois puis neuF notes, de la longue tenue initiale, valant, par leur Fractionnement arithmétique, leur rythmique sonore, pour la mise en pièces de la jouissance -meurtre inaugural, et la loi symbolique qui s’en instaure -interdit de l’inceste et dispersion, exogamie). Dans cette Iguration sonore l’auteur n’hésite pas à reconnaître la « scène même du don de la loi » émergeant du sauvage mugissement primitiF, à « l’articulation de la substance vivante pré-symbolique et de la parole articulée ».
Ainsi la loi n’est-elle pas pure. Subsiste en elle un « point de jouissance » et de « non-sens » qui précisément en rend possibles toute transmission et toute subjectivation, un « indéterminé » qui Fait qu’il sera loisible au sujet d’en Faire l’assomption. Pour être eciente, la loi
doit être dite et entendue, portée par une énonciation singulière qui en renouvelle ce sacriIce de la jouissance qui l’a instaurée et qui Fait sa seule altérité, hors de toute transcendance. À cette condition seulement l’être parlant pourra se Faire sujet de la loi, et non son simple objet soumis à elle.
Cette « immixtion » cependant de la jouissance et de la loi, si constituante du sujet soit-elle, est aléatoire. La voix peut se dissocier de la loi, et cette dissociation Fomenter soit la névrose (loi Folle du surmoi, dictée par une voix insensée), soit la psychose (empire d’une loi-toute, sans altérité ni vocalité, dont la voix Fera retour par bribes de réel verbal, sous Forme d’hallucinations).
Une telle immixtion n’est pas sans implications dans la cure. Concernant le sujet, et non plus tout un peuple, c’est dans le timbre de la voix, sa caractéristique la plus singulière comme la plus indéInissable, que résonne ce point de jouissance sacriIée que Fait retentir le schoFar. Au-delà de ses caractéristiques intrinsèques, c’est comme perdu de toujours que ce timbre originaire vient « hanter » la parole du sujet : d’abord reçu de la voix de l’Autre, il aura Fallu l’assourdir en un point sourd source de toute parole, d’où pourra sourdre toute énonciation, selon l’heureuse homophonie qui s’ofre à la Formulation de l’auteur : « Le timbre est dans la cure ce qui ne participe pas à l’efet de signiIcation, car il n’est pas sous l’ascendant de la loi, mais sourd comme maniFestation irréductible du sujet ».
C’est par la résonance de ce timbre perdu que le psychanalyste, tout comme l’analysant, va se laisser « sonner ». En cela il rejoint la mère « plus poétesse que sirène » qui sait transFormer le cri de l’inFans en appel, pour le mettre en continuité avec une parole. Tout comme cette mère, lorsqu’elle sait Faire passer une graine de loi dans le grain de sa voix, lorsqu’elle sait supposer en son enFant un sujet appelé à devenir sans (trop) préjuger de ce devenir, le psychanalyste, dans un acte d’interprétation qui s’apparente à un acte d’improvisation musicale, en ce qu’il se joue sans partition écrite mais non sans des « règles intériorisées », a à se Faire garant de la loi symbolique.
Mais, s’il doit à de certains moments tenir la place de l’Autre « Iable » garant de la « plénitude du sens », il doit savoir aussi se taire. C’est en tant que, de son corps, de son silence, il résonne à la « voix silencieuse », ce (a) perdu initium de parole, qu’il pourra Faire que cette voix tue se reverse dans une énonciation où elle viendra résonner de sa « presque disparition vibratoire », pour reprendre les termes de Mallarmé. C’est au Lacan du Séminaire Le Sinthome que se réFère alors l’auteur, avec sa déInition, si Freudienne Inalement, de la pulsion comme « l’écho dans le corps du Fait qu’il y ait un dire… ce dire, pour qu’il résonne, il Faut que le corps y soit sensible ».
l nous Faut à présent aborder cette véritable histoire de la voix chantée à laquelle nous convie l’auteur, à travers l’évolution de ces deux institutions, l’Église et l’opéra, toutes deux également apprenties sorcières dans leur annexion ou exaltation des pouvoirs de la voix. Avec ce qui Fut d’abord l’enrôlement des castrats, l’Église voulut mettre la voix et sa jouissance au service de loi – la transmission du message divin. Mais très vite les castrats s’émancipèrent de ce service et se mirent à vocaliser pour eux-mêmes, tandis que l’auditeur « jouissait pour son propre compte ». Congédiés par l’Église, ils continuèrent à investir la scène de l’opéra, jusqu’à ce que la voix sexuée devenue rivale l’emportât. Aujourd’hui, seuls quelques rares enregistrements nous livrent ce qui est devenu l’inquiétante étrangeté d’une telle voix. Le plus célèbre d’entre eux, cependant, arinelli, méritera une mention spéciale à notre non-oubli, et je laisserai ici le lecteur découvrir le dispositiF de cette cure par le chant qu’il sut mener des années durant avec le mélancolique Philippe V d’Espagne, cure si l’on peut dire couronnée de succès.
Mais bien plus encore que l’Église l’opéra se laissa déborder, peut-être jusqu’à son autolyse, par cette même jouissance de la voix qu’il exaltait sans autre garant symbolique que celui, purement proFane, des livrets, parFois purs prétextes vocaux. Comment le dispositiF opératique It culminer cette jouissance de la voix jusqu’à son paroxysme, jusqu’à se laisser efracter, avec la Lulu d’Alban Berg, par ce cri où le sublime s’abîme dans le réel de la Chose, comment il se saborda dans son propre phonocauste, c’est que démontre l’auteur, de Façon aussi impeccable qu’implacable. En ce processus d’un schoFar inversé (tant nous retrouvons le schoFar comme paradigme inconscient), c’était la loi, dans ces aigus extrêmes de la voix où se dissolvent les articulations langagières, et non plus la jouissance, qui était mise à mort. Bouclant une sorte de cycle inéluctable, signant sa propre courbe de chute et avec elle le déclin de l’opéra dans le culmen du cri, la voix revenait à son origine de Chose. Déjà avant Alban Berg, le plaisant Ofenbach avait dans les Contes d'Hofmann introduit un cri pur, non sans revisiter cette inquiétante étrangeté dont reud avait reconnu le maître en Hofmann : se révélant en cela le plus radical des opéracaustes. ci encore, laissons découvrir au lecteur la Façon dont l’auteur révèle comment ce dévoilement du « terrible » sous « l’ange du beau » Fut systématiquement recouvert par la censure, censure qu’il s’emploie à détecter en véritable détective.
Cependant l’opéra avait été aussi porté et traversé par un mouvement inverse : celui qui s’origine de la voix renaissante au déFaut même des mots, et non de la voix de gloire qui de la déFaite du langage signe la sienne propre ; de la secrète vox invocante, plus que de l’éclat de la pure phoné. En cet acte de naissance que signe l’OrFeo de Monteverdi, l’opéra réinventait la plainte du héros tragique abandonné par le langage, cette plainte hors mots, modulée par le chant, que Monteverdi
baptisa lamento. Mais, là encore, l’invocation était appelée elle-même à succomber, soit à sa In de non-recevoir par un Autre se révélant de moins en moins clément, de plus en plus silencieux, soit à son propre renoncement : la dernière héroïne de l’opéra, qui proFère son cri de mort, Lulu, est aussi celle qui, objet plus que sujet, n’invoque plus ni ne désire elle-même. Ainsi ne peut-elle adjoindre sa plainte à celle des mille et tre qui l’ont précédée dans l’abandon -d’Elvire à encore Salomé, en passant par Ariane, Pénélope ou Poppée, la Walkyrie et tant d’autres.
Mais pourquoi les Femmes, se demandera--t--on, incarnent-elles de Façon privilégiée, comme le soutient l’auteur, cette mélancolie du sujet qui ne pouvant Faire le deuil du père tué mais non mort ne cesse de le remâcher et de le ressasser, jusqu’à « brûler dans sa voix » -elles qui n’ont pas tué le père ? Pourquoi se Font-elles à l’opéra – et si « souvent dans la vie, sur le divan »- ces championnes du lamento, ces tenantes du cri – elles qui n’ont pas même ce crime à se mettre sous la dent ?
À ces questions Jean-Michel Vives saura nous donner des éléments de réponse, en dépliant le nécessaire entrelacs de l’invocation Féminine et de la pulsion scopique, et l’échec qu’il peut encourir. Là encore, le lecteur se plaira à suivre le Il d’Ariane de la démonstration dans ce parcours labyrinthique de désintrication des pulsions que met en scène Le Château des Carpathes, opéra contemporain où s’illustre a contrario « l’étroite connexion entre la voix, la perte et le Féminin », mais dont il ressort pour Inir qu’il est possible pour un sujet de sortir de la répétition traumatique lorsque la perte de la voix sait se commuer en voix de la perte, en ce lamento qu’est le chant de la perte.
C’est ainsi qu’il apparaît que, si l’abandon par le langage est l’épreuve traumatique à laquelle a à s’afronter tout sujet, une Femme peut se trouver en relation particulièrement ane, du Fait du rapport ou plutôt du non-rapport de son sexe avec le langage, avec ce manque-à-être. Plus encore, alors, que « la convocation d’un objet perdu », c’est bien « la déploration » d’un manque-à-être Fondamental, qui est modulée dans la plainte.
Voix et destins de la voix, ainsi pourrait se résumer, de cette paraphrase d’un célèbre intitulé Freudien, ce qui se donne au Inal comme un véritable traité de métapsychologie de la voix. nefaçable mais non inefable efacement de la voix dans la parole ; retour, dans le chant, de la voix à son point originaire de réel, cri ou continuum sonore -comme pour efacer cet originaire et en renaître à nouveau dans le poinçon d’un style musical neuF : c’est ce point même de torsion, où s’ombiliquent voix et loi, loi et voix, que nous donne à saisir cette étude dans l’enchaînement moebien de son double versant.
Brigitte LALVEE
Brigitte Lalvée
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Paris 75010
01 42 01 12 13/06 15 15 78 71
Brigitte_lalvee@yahoo.fr
Le trac et l’inconscient: Psychanalyse des musiciens – Stage Fright and the unconscious
Dutracetdelinconscient: psychanalyse des musiciens.
Par Olivier Barli
La série d’excellents articles consacrés au trac par la Lettre du Musicien en 1999 (n° 227 à 240) sous la plume de Pascal Le Corre et du Docteur André-François Arcier (n° 231,232 et 310), donne un éclairage psychologique et neurologique très détaillé du trac ressenti par les musiciens lorsqu’ils sont confrontés à la scène et au public.
Que peut apporter la psychanalyse aux musiciens lorsque toutes les autres formes de psychothérapies ne sont pas venues à bout de cette forme d’angoisse, qui résulte parfois d’un mal-être ? C’est en apprenant à se connaître et à s’accepter, que l’on peut ensuite renforcer l’existant et progresser.
reud et la musique
Le père de la psychanalyse, Sigmund Freud se déclarait « ganz unmusikalisch » (totalement non-musicien), et avait interdit le piano à sa sœur Anna car cet instrument rendait, selon lui, les femmes nerveuses et sentimentales. Le père de la psychanalyse avait toutefois remarqué que cette nervosité était particulièrement perceptible lorsque les pianistes se produisaient devant un
auditoire, au point d’en perdre leurs moyens. Si Freud était méIant à l’égard des artistes, et particulièrement des musiciens, c’est sans doute parce que la musique et l’émotion qu’elle véhicule, lui était impossibles à analyser. Ce désintérêt pour la musique (sauf l’opéra ou les lieder dans lesquels le texte se prêtaient à l’analyse) et pour les musiciens (un cas aussi intéressant que celui de Gustav Mahler aurait mérité mieux qu’une cure de courte durée sans grand résultat) , peut paraître paradoxal pour un Viennois qui a vécu quasiment toute sa vie dans l’une des plus brillantes capitales musicales d’Europe. Mais Freud n’aimait pas Vienne, et reconnaissait consciemment son attitude négative vis-à-vis de la musique. Le lecteur intéressé par le sujet peut consulter le chapitre « Freud, absolument pas musicien… » par Jacques et Anne Caïn, dans Psychanalyse et musique, Les Belles Lettres, Paris 1982. En revanche, Sigmund Freud avait un goût prononcé pour la littérature et l’architecture (il adorait l’talie) qui lui ont donné l’occasion d’écrire des textes d’anthologie, d’un grand intérêt pour les psychanalystes et les artistes, dont Le Moïse de Michel Ange.
D’une manière générale, Freud déInissait la création artistique par le processus de sublimation :
« La pulsion sexuelle met à la disposition du travail culturel des quantités de force extraordinairement grandes et crée par suite de cette particularité, spécialement marquée chez elle, de déplacer son but sans perdre, pour l’essentiel, de son intensité. On nomme cette capacité d’échanger le but sexuel original contre un autre but, qui n’est pas sexuel mais qui lui est psychiquement apparenté, capacité de sublimation ». Le processus de sublimation ainsi déIni par Freud fait valoir l’origine sexuelle d’un ensemble d’activités (scientiIques, artistiques…) et de réalisations (œuvres d’art, poésie…) qui paraissent sans aucune relation avec la vie sexuelle. Par là s’explique comment la sublimation toujours plus poussée d’éléments pulsionnels permet, notamment, l’accomplissement des plus grandes œuvres culturelles (cf. Vocabulaire de la psychanalyse, J. Laplanche, J.B. Pontalis, PUF, 2002)
Otto Rank : la névrose est une œuvre d’art ratée
« L’art et l’artiste » est le titre d’un célèbre ouvraged’Otto Rank(Vienne 1884-New-York, 1939), psychanalyste, secrétaire et disciple de Freud longtemps considéré par celui-ci comme un Ils, jusqu’à sa démission de la Société psychanalytique. Dans son livre, Otto Rank ne partage pas les théories de son maître, estimant que la sublimation telle que postulée par Freud ne sut pas à expliquer la création de l’artiste. l considérait que la névrose n’était pas une maladie, mais une œuvre d’art ratée ; le névrosé devait être traité comme un « artiste manqué ». Que dire alors de l’artiste qui quitterait la scène, miné par le trac, résigné à ne plus aronter sa peur du public ?
De nombreux concertistes parviennent à se débarrasser de leur trac à la In de leur vie ; ils sont plus sereins car ils n’ont plus rien à prouver: faut-il attendre d’être vieux pour se réconcilier avec soi-même et libérer son jeu ?
Claudio Arrau : la descente aux enFers
Claudio Arrau, qui est resté de nombreuses années en analyse, tient un langage radical :
«Elèves et amis m’ont plus d’une fois entendu dire que dans mon utopie d’école de musique, la psychanalyse serait inscrite au programme comme discipline obligatoire (…) pour enseigner à l’aspirant artiste les besoins et les pulsions de sa psyché, en sorte qu’il apprenne à se connaître lui-même moins tard, et engage plus tôt le processus de son propre épanouissement, qui jusqu’à la In de sa vie doit être son premier moteur, tant comme artiste que comme homme ».(cf. pp. 291 à 297, regard d’un interprète sur la psychanalyse, Arrau parle, conversations avec J. Horowitz, Gallimard, 1982). Et d’ajouter pour les artistes qui seraient tentés de tout abandonner :
« Nous autres artistes, passons nos vies à nous frustrer nous-mêmes. Par simple peur – peur de l’échec et, si étrange que cela semble, peur de la réussite aussi bien -, nous tombons malades à la veille de concerts importants. Nous nous créons des désordres émotionnels graves (…). Les chanteurs s’enrouent, perdent leur aigu…les instrumentistes perdent soudain l’usage d’un doigt, ou de plusieurs, et ne peuvent plus jouer les passages les plus simples (ou les plus diïciles). Ou encore, à force de compétition et de chimère de toute puissance, le moindre signe d’imperfection peut obliger à s’arrêter au milieu d’une exécution par ailleurs excellente. Le pire est que soudain tout ce combat puisse paraître perdre tout sens et alors l’artiste, perdu dans l’alternative du conit et de la détresse, peut tout simplement déclarer forfait. l ne joue plus. C’est la mort même –la mort de son âme. l descend aux Enfers, et l’aFreuse lutte contre les uries (le noir absolu de l’inconscient) lui permettrait seule un retour ».
l faut comprendre cette descente aux enfers comme l’apparition d’un terrible sentiment de frustration, qui comme tout désir refoulé et conit non résolu, engendrerait une nouvelle névrose.
Psychanalyse d’aujourd’hui ;
Si les séminaires psychanalytiques se consacrent de nos jours aux cas des musiciens, les ouvrages de langue française consacrés à la psychanalyse des musiciens se comptent encore sur les doigts d’une main, alors que la bibliographie de psychanalyse se chire par milliers de titres. S’agit-il d’une manière de conIrmer la vieille idée reçue selon laquelle les français ne sont pas musiciens, ou de constater qu’à l’instar de Freud, les psychanalystes français ne s’intéressent pas aux musiciens. La vérité est toute contraire : la France n’a jamais compté autant de musiciens, et on trouve même des artistes parmi les psychanalystes, car, faut-il le rappeler, la psychanalyse n’est pas une spécialité médicale. Elle est un art de l’écoute et de l’interprétation, ce qui la rapproche de la musique. Tout l’art du psychanalyste consiste à savoir écouter le patient et le délivrer de ses conits nocifs aIn de le réconcilier avec lui-même.
Les troubles des musiciens, dont le trac fait partie, restent communs à tout être humain confronté aux contraintes de la vie et donc au principe de réalité, s’opposant au principe de plaisir, deux principes qui restent des « valeurs sûres »
de la théorie freudienne. Lorsque le trac rend la vie impossible sur scène, on peut avoir recours aux thérapeutes spécialisés en T.C.C. (thérapies cognitives comportementales) ou PLN (programmation neurolinguistique), qui peuvent réellement soulager les instrumentistes ou chanteurs de leurs symptômes (cf. articles de Pascal Le Corre). Un reconditionnement se fera progressivement aIn de mieux comprendre le mécanisme du trac, apprendre à porter un regard diérent sur le public, et se libérer de la crainte qu’il inspire.
Si les symptômes persistent, une psychanalyse devrait permettre au musicien de mieux se connaître et se percevoir diéremment, car le trac peut aussi provenir du décalage entre l’image qu’il voudrait donner de lui-même et ce qu’il est réellement. Pour le psychanalyste, il ne s’agit pas de changer la personnalité de son patient, et encore moins d’anéantir le processus créatif (car la pratique musicale et la carrière artistique résultent parfois d’une névrose « réussie » qu’il est peut-être préférable de ne pas soigner…). La cure analytique consistera à renforcer l’existant, identiIer le désir du musicien (s’agit-il du sien ou de celui d’un proche), et lui permettre alors de s’autoriser le plaisir de jouer et jouir de son art. l s’agit de stimuler en lui ses potentialités, au lieu de les refouler.
Le parcours traditionnel et la formation d’un musicien ne sont pas étrangers à la genèse sournoise du trac. Elle résulte souvent d’une préparation insusante : le trou de mémoire, la défaillance, surviennent à des endroits précis (modulation, complexité mélodique ou harmonique, sauts acrobatiques et autres dicultés techniques) qui n’ont pas été résolus ou révélés par un rodage préalable. l y a là confusion entre la cause et l’eet du trac : on met sur le dos du trac des erreurs qui ne sont en réalité que des approximations dans le travail de préparation d’une œuvre…et cela transforme en forte angoisse ce qui n’était qu’un « petit trac », plutôt stimulant, Inalement nécessaire pour donner le meilleur de soi-même, qu’on ignorait… jusqu’au jour où il se présente.
L’apparition du trac varie d’un sujet à l’autre, mais il n’est pas un don inné, contrairement à la peur d’un danger réel. Bien des musiciens, par exemple de culture africain, ne savent même pas ce que cela signiIe, car pour eux, jouer de la musique, c’est faire la fête, et les musiciens de jazz, habitués à improviser, prennent et donnent du plaisir, sans appréhension du public qui est plutôt invité à partager ce plaisir.
Notre culture occidentale forme le musicien selon un schéma identique à celui de l’école, avec un professeur qui transmet son savoir au sein d’une classe, qu’elle soit privée ou dans le cadre d’une institution (conservatoire). S’en suit le cortège d’examens et autres moyens d’évaluation, mettant les élèves en compétition, le plus souvent en public, devant un jury et devant des parents que l’on ne veut pas décevoir. J’ai souvent remarqué que les élèves qui se produisent en l’absence de leurs parents réussissaient mieux leurs examens qu’en leur présence. Mais peut-on culpabiliser pour autant les parents d’élèves d’être là, (leur absence pourrait aussi bien faire l’objet de reproches) même si leur narcissisme ne manquera pas d’être blessé s’ils voient leur enfant échouer.
Puis vient l’âge du transfert au Maître qui devient le modèle, dont on se procurera tous les disques et que l’on suivra à chaque concert. Le jeune musicien n’a qu’un rêve : prendre des cours avec Le Maître pour « faire comme lui ». Ce qui pourrait n’être qu’une identiIcation à l’artiste admiré et ne devrait constituer qu’une étape dans la formation d’un musicien (qu’il faudrait pouvoir liquider comme le transfert à son psychanalyste), devient une Ixation qui empêche le jeune interprète de devenir libre et autonome.
La démarche d’une cure analytique varie d’un sujet à l’autre, mais elle pourrait le plus souvent se résumer ainsi : exprimer ses angoisses, se découvrir tel que l’on est (et avec ce que l’on a), retrouver l’estime de soi si un sentiment de culpabilité vient l’entraver, prendre conscience des réalités, mais aussi de son désir d’artiste pour enIn s’autoriser à y accéder.
Stage fright and the unconscious: the psychoanalysis of musicians.
By Olivier Barli
The series of excellent articles on stage fright published in“La lettre du Musicien”in 1999 (No. 227 to 240) by Pascal Le Corre and Dr. André-François Arcier (No. 231.232 and 310), give a very detailed account of current understanding of the neurological stage fright felt by musicians when faced with the scene and the public.
reud and music
The father of psychoanalysis,Sigmund reudsaid he was “ganz unmusikalisch” (totally non-musician), and forbade the piano to his sister Anna because, according to him, it made women nervous and sentimental. The father of psychoanalysis, however, had noticed that nervousness was particularly noticeable when pianists played before an audience, to the point of losing their means. f Freud was suspicious of artists, especially musicians, it is probably because the music and the emotion it conveys were impossible for him to analyze. This lack of interest in music (except opera or lieder in which the text lend itself to analysis) and musicians (one case as interesting as that of Gustav Mahler deserved better than a short cure without much result), may seem paradoxical for a Viennese who had lived almost his entire life in one of the most brilliant musical capitals of Europe. But Freud did not like Vienna and consciously recognized his negative attitude towards music. The reader interested in the subject may consult the chapter “Freud, absolutely not a musician …” by Jacques and Anne Cain inPsychoanalysis and music,Les Belles Lettres, Paris 1982. However, Sigmund Freud had a taste for literature and architecture (he loved taly) which gave him the opportunity to write texts of great interest to psychoanalysts and artists including The Moses of Michelangelo.
Generally speaking, Freud deIned the artistic creation by the process of sublimation:
The sexual drive provides cultural work extraordinarily large amounts of power. We call this ability to exchange sexual purpose against another original purpose,
which is not sexual but which is psychically related, capacity of sublimation.The sublimation process as deIned by Freud emphasized the sexual origin of a set of activities (scientiIc, artistic …) and achievements (art, poetry …) that seem unrelated to sexual life. This explains how the still further sublimation of instinctual elements allows, in particular, the achievement of the greatest cultural works (seeLanguage of Psychoanalysis, Laplanche, JB Pontalis, PUF, 2002)
Otto Rank: Neurosis is a Failed work oF art
Art and the Artist” is the title of a famous work byOtto Rank(Vienna 1884 – New York, 1939), a psychoanalyst and disciple of Freud, long regarded by him as a son, until to his resignation from the Psychoanalytic Society. n his book, Otto Rank does not share his master’s theories, arguing that the sublimation as postulated by Freud is not enough to explain the creation of the artist. He believed that neurosis was not a disease, but a work of art that failed, and as a consequence the neurotic should be treated as a “failed artist”. So what about the artist who leaves the scene, plagued by stage fright, resigned to never face his or her fear of the public?
Many musicians manage to get rid of their nerves at the end of their life: they are calmer because they have nothing more to prove. Do we have to wait to be old to come to terms with ourselves and play freely ?
Claudio Arrau: the descent into hell
Claudio Arrau, who remained for many years in analysis, language is radical:
Students and friends have more than once heard that in my utopian music school, psychoanalysis would be included in the curriculum as a compulsory subject (…) to teach aspiring artist about their needs and impulses of their psyche, so that they learn to know themselves less later in their life, and commit themselves earlier in the process of their own development, which until the end of their life have to be their Irst engine, both as artist and as men.”(p. 291-297, “Next to a performer, Arrau talks, conversations with J. Horowitz”,Gallimard, 1982). And he adds for artists who might be tempted to abandon everything:
Us artists spend our lives to frustrate ourselves. Simply by fear – fear of failure and, strange as it seems, fear of success as well – we get sick on the eve of important concerts. We create serious emotional disorders (…). The singers hoarse, lose their sharp, instrumentalists suddenly lose the use of a Inger or more, and can no longer play the easy as well as diîcult parts. Or forced by competition and the chimera of omnipotence, the slightest sign of imperfection can force them to stop in the middle of an otherwise excellent performance. The worst is that suddenly every battle may seem to lose all sense and then the artist, lost in conict and distress, can simply forfeit. He no longer plays. This is the death of his soul. He descends to the underworld, and only the
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