Racine lecteur de Corneille - article ; n°1 ; vol.31, pg 105-118
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1979 - Volume 31 - Numéro 1 - Pages 105-118
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1979
Nombre de lectures 63
Langue Français

Extrait

Professeur Pierre Fortassier
Racine lecteur de Corneille
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1979, N°31. pp. 105-118.
Citer ce document / Cite this document :
Fortassier Pierre. Racine lecteur de Corneille. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1979, N°31. pp.
105-118.
doi : 10.3406/caief.1979.1188
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1979_num_31_1_1188RACINE LECTEUR DE CORNEILLE
Communication de M. Pierre FORTASSIER
(Paris)
au XXXe Congrès de V Association, le 25 juillet 1978.
Il n'est pas contestable que Racine possède, de l'œuvre
tout entière de Corneille, une connaissance approfondie ; mais
il faut aller plus loin, et dire qu'il l'a beaucoup admirée et
aimée : nous voudrions en rappeler quelques témoignages.
On sait Yenthousiasme avec lequel il commentait à son fils
Jean-Baptiste le vers de Cinna :
Et, monté sur le faîte, il aspire à descendre (1).
On sait aussi quels efforts il déploya, à la mort de Corneille,
pour présider la cérémonie que lui consacrait, selon l'usage,
l'Académie (2). On sait enfin l'admirable éloge prononcé
« dans l'effusion de son cœur » à la réception de Thomas, le
2 janvier 1685 (3). C'est là qu'il faut chercher les vrais sent
iments de Racine à l'égard de Corneille, et non dans la première
préface de Britannicus, où il a parfaitement raison de se croire
« injustement attaqué ».
Ce n'est pas assez dire, avec Gustave Michaut (4), que
« son activité a été dominée par sa rivalité avec Corneille ».
Cette rivalité n'est que l'aspect le plus extérieur des rapports
de deux grands esprits. Nous allons tâcher de montrer, en sui
vant l'ordre chronologique, combien, et avec quelle continuité,
le cadet s'est inspiré de l'aîné. Mais il n'est pas question de
(1) Cinna, 370. Louis Racine, Mémoires sur la vie et les ouvrages de Jean
Racine, in Racine, Œuv. сотр., Bibl. de la Pléiade, I, p. 55.
(2) Ibid., p. 54.
(3)p. 55 ; et II, p. 344.
(4) La Bérénice de Racine, 1907, Avertissement, p. XII. 106 PIERRE FORTASSIER
mentionner ici tous les rapprochements faits, par d'autres ou
par nous : il faudra nous contenter des plus significatifs.
En 1664, le sujet de La Thébaïde était neuf par rapport au
théâtre de Corneille, essentiellement romain, Œdipe excepté.
Le jeune Racine savait du grec, on allait s'en apercevoir tout
de suite, car sa langue est toute différente de celle du romain
Corneille. Trait capital, mais que nous devons laisser de côté
pour rechercher ce que la lecture de Corneille a pu apprendre
à ce débutant.
On est tenté de répondre : tout le reste. D'abord, l'art de
bâtir une tragédie (5). L'art, ensuite, d'utiliser un confident,
lequel comprend toujours de travers, ce qui donne lieu à des
explications dont profite le spectateur. L'art, encore, de bâtir
une tirade, par grands mouvements oscillant d'un parti à
l'autre, pour aboutir souvent à une synthèse. L'art de la sti-
chomythie. L'art du vers, enfin. Non pas du vers que décrira
dix ans plus tard Г Art poétique (6), raide assemblage de deux
hémistiches, mais du véritable vers classique, à la fois ferme et
souple, vivant, d'un rythme perpétuellement varié, porteur
de tous les tons. Où les mots se répondent, symétriquement
ou en chiasme, où l'anaphore traduit la véhémence de l'accent :
on retrouve Corneille dans le vers de La Thébaïde, digne déjà
de son grand modèle.
Dans les rimes, d'abord : prince/province, gloire/victoire,
plus/superflus, joie/proie, sang/rang, mains/inhumains, bataille/
muraille (7), etc.. Dans l'expression ensuite : maximes bien
frappées, affrontements et surenchères dramatiques :
— Créon, vous êtes père, et dans ces ennemis
Peut-être songez-vous que vous avez un fils.
On sait de quelle ardeur Hémon sert Polynice.
— Oui, je le sais, Madame, et je lui fais justice :
Je le dois, en effet, distinguer du commun,
Mais c'est pour le haïr encor plus que pas un. (249-254)
(5) L'exposition partagée entre l'acte I et le début du II ; le nœud au II ; au
III et au IV, les péripéties, avec la grande scène pathétique au IV, un suspens
terminant ces deux actes ; au V, le dénouement.
(6) Chant I, 105-6.
(7) Contrairement aux précédentes, cette dernière rime, glorieuse dans Le
Cid (181, 661), et cornélienne jusqu'à Suréna, ne se trouvera plus chez Racine. RACINE LECTEUR DE CORNEILLE 107
Ce Créon, exécrable politique, a ménagé l'entrevue Étéocle-
Polynice, mais non pas, comme il semblait, pour une réconc
iliation :
Je veux qu'en se voyant leurs fureurs se déploient,
Que, rappelant leur haine au lieu de la chasser,
Ils s'étouffent, Attale, en voulant s'embrasser. (888-890)
Déjà Néron... Mais dès Cîitandre (480, 661, 951, 995), et même
dès Mélite (940), Corneille avait reconnu l'extraordinaire
valeur tragique du verbe étouffer. Et c'est lui encore qui le pre
mier a rapproché ce verbe de l'idée d'embrasser, dans le cri
de joie du vieil Horace (Hor., 1 145) :
О mon fils ! (...)
Quand pourrai-je étouffer dans tes embrassements
L'erreur dont j'ai formé de si faux sentiments ? (8)
Quantité d'autres expressions proviennent ici de l'arsenal
cornélien. Sans parler de gloire, honneur, généreux, le couple
antinomique sang et pleurs est le même que chez Corneille,
où il définit la séparation entre le monde des héros et le monde
des femmes, témoin le vieil Horace (9). Jocaste ne parle pas
autrement (10). Même accent cornélien des appels à la ven
geance (753), des « C'en est fait » (43), des « Courons » (37,
1194) : on court autant chez Corneille que chez Racine, le
temps n'y est pas moins cher (Le Cid, 1097) ; et quand les
héros ne courent pas, ils volent. En 1697 encore Racine rem
placera (Théb. 627) « Ils ont couru tous deux » par « Ils ont
tous deux volé » — comme si ne cessait de le hanter le « Va,
cours, vole, et nous venge ! » de don Diègue. Abondance de
(8) Séleucus dit de sa mère (Rodog. 740) :
« Nous ayant embrassés, elle nous assassine. »
(9) Hor., 679 : Qu'est-ce ceci, mes enfants, écoutez-vous vos flammes,
Et perdez-vous encor le temps avec des femmes ?
Prêts à verser du sang, regardez-vous des pleurs ?
Fuyez, et laissez-les déplorer leurs malheurs.
(10) Théb., 501 : Ne cesserons-nous point, après tant de malheurs,
Vous de verser du sang, moi de verser des pleurs ? 108 PIERRE FORTASSIER
à* Horace (12), de citations littérales, venues du Cid (11),
Cinna (13), de Polyeucte (14) : le débutant va droit aux chefs-
d'œuvre.
Certains caractères ne sont pas moins frappés au coin cor
nélien. Mais ici apparaît le choix de Racine, essentiel et défin
itif. Corneille savait déjà, mieux que personne, que la tragédie
n'est pas une simple affaire de grands coups d'épée. « L'action
dévore la pensée », comme l'a si bien dit un autre Normand,
Alain. Par suite, les héros n'ont pas grand-chose à dire. Il
faut que d'autres viennent faire pour eux le récit de leurs
exploits ; il faut surtout que d'autres écoutent ce récit, en
vivent les péripéties et, admirables résonateurs, créent l'émo
tion tragique. Nul doute que ce rôle, chez Corneille, ne soit
dévolu principalement aux femmes, déchirées, irrésolues, et
parfois contraintes par une nécessité pressante à un choix
douloureux qui les plonge dans l'angoisse (15)... Voilà préc
isément la part dont Racine va se faire l'héritier. Bien sûr, un
Rodrigue est sensible et même déchiré, et capable de faire lui-
même le récit de ses exploits ; une Emilie est femme de tête ;
et les rapports entre Mars et Vénus sont bouleversés par le
puissant génie cornélien, l'amour, officiellement « faiblesse »,
dotant le héros d'une énergie surhumaine : « Paraissez, Na-
varrais, Mores et Castillans »... Mais ce sont là des synthèses
que refuse, d'entrée de jeu, le génie racinien. Elles mènent droit
à la tragédie heureuse, ainsi que la nomme en

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