Quelques observations sur la lumière dans l œuvre de Victor Hugo - article ; n°1 ; vol.19, pg 205-223
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1967 - Volume 19 - Numéro 1 - Pages 205-223
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1967
Nombre de lectures 23
Langue Français

Extrait

Professeur Pierre Albouy
Quelques observations sur la lumière dans l'œuvre de Victor
Hugo
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1967, N°19. pp. 205-223.
Citer ce document / Cite this document :
Albouy Pierre. Quelques observations sur la lumière dans l'œuvre de Victor Hugo. In: Cahiers de l'Association internationale
des études francaises, 1967, N°19. pp. 205-223.
doi : 10.3406/caief.1967.2344
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1967_num_19_1_2344QUELQUES OBSERVATIONS
SUR LA LUMIÈRE
DANS L'ŒUVRE DE VICTOR HUGO
Communication de M. Pierre ALB OU Y
{Montpellier)
au XVIIIe Congrès de V Association, le 29 juillet 1966.
On sait que, depuis les Odes, avec leur merveilleux chrétien,
la lumière est, chez Hugo, l'attribut et la manifestation même
de la Divinité et que, depuis qu'il est devenu républicain et
anticlérical, depuis le discours du 15 janvier 1850 contre la
loi Falloux, précisément, le progrès consiste, pour lui, dans la
victoire de la lumière dissipant les ténèbres de l'obscuran
tisme. Les choses, cependant, ne sont point aussi simples
qu'on l'imagine trop souvent, quand il s'agit de Hugo, et
notre première observation sera que, dans son œuvre, la lu
mière n'est pas toujours bonne. Dès les Châtiments, à côté de
la lumière républicaine, de Lux triomphant de Nox, on dé
couvre la lumière méchante qui, dans Joyeuse Vie, éclaire le
banquet des riches, des affameurs :
О paradis ! splendeurs !...
La table éclate et luit ;
L'ombre est là sous leurs pieds... 2O6 PIERRE ALBOUY
Dans le poème initial du Livre lyrique, semblablement,
Le banquet rit et flamboie.
Les maîtres sont dans la joie
Sur leur trône ensanglanté ;
au contraire, le poète s'enfonce dans l'ombre ; il est « l'esca
lier Ténèbres » (i). Avec les mythes « titaniques », La Révolut
ion, Le Satyre, Le Titan, le bien attend dans l'ombre, tandis
que le mal triomphe sur les sommets lumineux. Dans
L'Homme qui rit, la perverse déesse de la matière, Josiane,
« la ténébreuse éclatante », engloutit Gwynplaine, le « damné
de la nuit », « sous un écroulement de lumière », cette lumière
mauvaise, au ruissellement splendide, qui «lave les dieux » (2) ;
dans l'ombre, Dea, la jeune aveugle qui est l'âme, s'apprête
à renaître étoile. Quand Gwynplaine échappe à la tentation,
se dérobe à la lumière corruptrice de Josiane, le « gouffre »
de ses passions s'apaise à la « clarté » de Dea, et, nous dit-on,
« au-dessus du cœur orageux de Gwynplaine, Dea resplen
dissait avec on ne sait quel inexprimable effet d'étoile de la
mer » (3). A la fin du roman, la jeune fille morte apparaît à
Gwynplaine comme une étoile au-dessus de la mer sombre
et, marchant vers elle, il s'engloutit dans l'océan. Cette étoile
sur la mer, elle se levait déjà dans la nuit des Châtiments,
avec Stella. Nous la retrouverons bientôt ; mais l'étoile Dea
est invisible à tout autre que Gwynplaine, qui ne la rejoindra
que par la mort, la noyade dans la mer et l'ombre. Le monde
où nous vivons est noir ou, plus exactement, pour reprendre
deux titres de Hugo, il est le monde des rayons et des ombres
et de cette nuit derrière laquelle il y a le jour, comme nous
l'apprend, par son titre, le chapitre des Misérables où meurt
Jean Valjean. Dans l'univers puni et soumis au progrès qui
est le nôtre, la lumière se fraie un chemin à travers les t
énèbres et l'étoile germe au sein de l'ombre.
Cette union intime de la lumière et de l'ombre qui est le
propre de notre univers d'expiation, Hugo a pris soin de
(1) Q. V. E., III, 1 (3 avril 1854).
(2) H. q. г., II, IV, i (pp. 316-317 de l'éd. I. N.).
(3) Ibid., p. 320. OBSERVATIONS SUR LA LUMIERE DANS L'ŒUVRE DE VICTOR HUGO 207
l'exprimer en formules précises et frappantes. Dans Magnit
ude parvi, il nous explique que les astres roulent
Dans les ténèbres de l'azur,
dans un « noir chaos lumineux », qui est
Radieux gouffre, abîme obscur.
Le poème En plantant le chêne des États-Unis ď Europe évoque
ensemble
Ténèbres, clartés, profondeurs (4) !
L'âne Patience nous révèle que Dieu « se verse » sur les
hommes
Tantôt en flots de nuit, tantôt en flots d'aurore,
et que
Ce monde est éclatant, clair, ténébreux... (5).
Le poème LVI du Livre lyrique énonce la loi :
...En toute chose on peut
De la nuit et du jour étudier le nœud (6).
Il faut même aller plus loin : l'Ange du poème Dieu, qui
déclare, lui aussi, que
Tout être a deux aspects, ténèbres et rayons,
précise :
Hommes, votre lumière est faite avec de l'ombre.
Rien de ce qui touche à l'homme n'est parfaitement lumineux,
(4) Q. V. E., p. 353 (éd. I. N.).
(5) L'Ane, I, x (1858).
(6) Q. V. E., III, lvi (1870). 2O8 PIERRE ALBOUY
pas même cette sublimité qu'est le pardon universel ; dans
la lumière divine, qui est la lumière absolue,
Dans cet azur sans fond la clémence étoilée
Elle-même s'efface, étant d'ombre mêlée (7).
Cette vision de l'univers de l'expiation et du progrès s'e
xprime souvent par l'image du rése?.u, en particulier du réseau
noir à travers lequel on perçoit la lumière, ou des lueurs. La
création est représentée, dans Pleurs dans la nuit, par l'arbre
Éternité et nous voyons « la branche Destin »
...croiser dans nos prunelles
Ses fils vertigineux. [...]
Le noir réseau du sort trouble nos yeux sinistres.
Dans le même sixième livre des Contemplations, le poème
A la fenêtre pendant la nuit, qui n'a peut-être d'abord fait
qu'un avec- le précédent, reprend l'image de l'arbre de la créa
tion et la combine avec l'image du réseau noir, qui apparaît
là sous sa forme achevée, avec la lumière derrière la claire-
voie. L'image répond à ce sentiment que la nature téné
breuse est aussi une nature encombrée, et elle s'accompagne
de l'image des « taillis sacrés » de la création, que l'âne Pa
tience reprendra en constatant qu'autour de l'homme, « le
mystère épaissit son taillis » (8). Nous sommes pris sous ces
branchages d'énigmes :
L'arbre prodigieux croise...
Et mêle aux cieux profonds...
Ses ténébreux rameaux.
Car la création est devant, Dieu derrière.
L'homme, du côté noir de l'obscure barrière,
Vit, rôdeur curieux ;
II suffit que son front se lève pour qu'il voie
A travers la sinistre et morne claire-voie
Cet œil mystérieux.
(7) Dieu, U Océan d'en haut, éd. Journet-Robert (Nizet), p. 157.
(8) L'Ane, I. x. SUR LA LUMIÈRE DANS L'ŒUVRE DE VICTOR HUGO 209 OBSERVATIONS
Nous constaterons, dans la suite, que, chez Hugo, l'œil — et
au degré eminent, l'œil divin — est fait autant pour être vu
que pour voir et qu'il répand la lumière qu'il la per
çoit ; mais la lumière de l'œil divin ne nous apparaît, ici-bas,
qu'à travers la claire-voie de la création sombre et encombrée,
et l'image de Г obscure barrière nous fait comprendre que ce
monde de la nuit est, du même coup, une prison. Notre ca
chot, cependant, n'est pas sans issue ; l'homme espérant dans
son immortalité se dit, selon l'Ange du poème Dieu :
Mais le paradis brille aux fentes du cachot.
De ce monde si noir l'ombre est à claire-voie.
A la fin du même poème, l'être qui est la mort propose au
voyant l'évasion :
Veux-tu, perçant le morne et ténébreux réseau,
T 'envoler dans le vrai comme un sinistre oiseau ?
Veux-tu
sortir des branches sombres (g) ?
L'écran de rameaux sera, ailleurs, fait des barreaux de notre
prison ; dans le poème des Quatre Vents de l'Esprit, Bestia-
rium,
Nous sommes là, pensifs, regardant les étoiles
A travers les barreaux de notre humanité (10).
Mais les étoiles elles-mêmes constituent un réseau qui, pour
être lumineux, ne nous retient pas moins captifs. Un frag
ment de la Dernière Gerbe fait du
..

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