La religion civile à la française - article ; n°1 ; vol.6, pg 10-32
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Autres Temps. Les cahiers du christianisme social - Année 1985 - Volume 6 - Numéro 1 - Pages 10-32
23 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1985
Nombre de lectures 24
Langue Français
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Extrait

Jean-Paul Willaime
La religion civile à la française
In: Autres Temps. Les cahiers du christianisme social. N°6, 1985. pp. 10-32.
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Willaime Jean-Paul. La religion civile à la française. In: Autres Temps. Les cahiers du christianisme social. N°6, 1985. pp. 10-32.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/chris_0753-2776_1985_num_6_1_1011Jean-Paul Willaime
La séparation, dans la plupart des pays occidentaux, des églises et de
l'Etat, le développement de la science et de la technique, la moindre parti
cipation des acteurs sociaux aux activités religieuses — en particulier la
baisse de la pratique dominicale — , la sécularisation des savoirs et des
consciences, tout ceci peut incliner à penser que, dans les sociétés occident
ales, le religieux n'a plus beaucoup de relevance sociale, qu'il se privatise
et devient un fait social marginal, périphérique1. Ce point de vue peut être
immédiatement relativisé, voire infirmé si on invoque l'apparition, ces
dernières années, de « nouvelles » aspirations sociales en matière de rel
igion : succès relatif de certaines sectes, attirance pour des messages et des
pratiques d'Extrême-Orient, renouveau charismatique et phénomènes
communautaires à base religieuse, regain d'intérêt pour les ordres rel
igieux, retour de l'apocalyptique, succès du religieux dans les media
(notamment des voyages du pape)..., autant d'indices qui font qu'il est
devenu courant aujourd'hui de parler de « retour du religieux » ou de
« retour du sacré ». Il n'est pas dans notre propos ici d'interroger les faits
évoqués ci-dessus, ni l'interprétation qu'on en donne en termes de
« retour du religieux ». Qu'il nous suffise de signaler que ces phénomènes
qu'on mentionne à l'appui de la thèse du « retour du religieux » ne remet
tent pas d'emblée en cause l'idée de la privatisation du et de sa
marginalisation institutionnelle; ils auraient même tendance à confirmer
cette idée dans la mesure où ils s'inscrivent dans des stratégies de retrait
par rapport à la société globale. En dépit de ces indices de « renouveau
religieux », on peut donc toujours être porté à penser que, dans les socié
tés occidentales, le religieux tend de plus en plus à se réduire à des dimens
ions individuelles et communautaires et n'a plus guère de relevance
sociale au niveau de la société globale : l'institutionnalisation de la société
serait de plus en plus pénétrée de ce que Max Weber appelle la Zweckra-
tionalitàt, les autres types de rationalité passant à l'arrière-plan ou ne pré
valant que dans des domaines périphériques par rapport à l'institutionna
lisation de la société. La thèse selon laquelle la construction de la société
10 n'obéit plus, dans la plupart des pays occidentaux, à des motifs religieux a
donc une grande plausibilité.
L'état des rapports entre religion et politique dans ces mêmes pays vient
renforcer cette idée. Le fait qu'il n'y ait plus guère d'interventions direc
tes des autorités religieuses dans le débat politique (en particulier élector
al), qu'un certain pluralisme politique se soit développé au sein des égli
ses chrétiennes (notamment avec le virage à gauche de certaines couches
de chrétiens), le fait que, dans un pays majoritairement catholique,
comme la France, le gouvernement parvienne à faire voter une loi libérali
sant l'avortement malgré la nette opposition de l'église catholique, tout
ceci incline à penser que la religion s'est retirée de la sphère politique et ne
pèse plus d'un grand poids dans l'élaboration des décisions qui engagent
la construction de la société dans telle ou telle direction. L'articulation
explicite qui est faite par certains — aussi bien par des chrétiens de droite
que par des chrétiens de gauche — entre le religieux et le politique relève
rait de l'option individuelle et n'engagerait pas, en tant que telle, l'institu
tion religieuse qui revendique une neutralité politique et se porte garante
du pluralisme politique de ses membres. Malgré le phénomène du « pro
gressisme chrétien » qui a retenu l'attention ces dernières années, on est
donc amené à conclure au relâchement, à un niveau institutionnel en par
ticulier, des liens entre religion et politique. L'analyse très fouillée con
duite par Guy Michelat et Michel Simon2 nous oblige cependant à relativi
ser fortement le point de vue précédent. En effet, ces auteurs montrent
que, contrairement à ce que l'on aurait pu penser, la variable religieuse
reste en définitive la variable la plus explicative du comportement polit
ique des Français : plus le degré d'intégration religieuse est fort, plus
l'orientation à droite est présente (les auteurs limitent leur analyse au
catholicisme, religion déclarée de 80 °7o des Français). Ce constat
n'infirme cependant pas la thèse du relâchement des rapports
religion/politique à un niveau institutionnel : les églises ne constituent
plus, du moins explicitement, des forces politiques penchant dans tel ou
tel sens même si, au niveau des acteurs, la référence religieuse continue à
jouer un certain rôle dans la détermination de l'orientation politique. La
récente réactivation de « la querelle scolaire » à l'occasion du projet
Savary et l'intense mobilisation catholique qu'on a pu observer ne contre
disent pas, à notre sens, la thèse du relâchement des rapports
religion/politique à un niveau institutionnel et de la perte de l'emprise du
religieux sur le processus d'institutionnalisation de la société. Le débat
sur l'école privée nous renvoie plutôt à une dimension infrapolitique qu'à
une dimension politique (même si cette dernière dimension n'est pas
absente), une dimension infrapolitique au sens où il s'agit de l'institution
même de la société française comme espace symbolique singulier marqué
par les deux grands piliers que sont les cultures catholique et laïque.
Avant de revenir sur ce point capital dans notre partie sur La République
française et la religion, il est nécessaire que nous expliquions la distinc-
11 tion que nous faisons entre les termes d'institutionnalisation et d'institu
tion.
Par institutionnalisation, nous entendons désigner le complexe de pra
tiques par lequel une société se construit sans cesse en organisant d'une
certaine manière sa vie économique, sa vie politique, sa vie sociale, cultur
elle, son système éducatif, son système de santé... Dans les sociétés capi
talistes occidentales, l'économie joue un grand rôle dans ce processus
d'institutionnalisation, la logique marchande pesant de plus en plus sur
lui. Mais si l'économique joue un g' and rôle, cela ne veut pas dire que les
données culturelles propres à chaque société nationale n'entrent pas en
ligne de compte. Ces données façonnent, d'une certaine manière, le pro
cessus d'institutionnalisation, lui donnent un certain visage : les sociétés
capitalistes occidentales, même si elles relèvent toutes du type société
post-industrielle, conservent leur spécificité, toute une série de caractéris
tiques propres. La question reste ouverte de savoir si l'extension de la
rationalité technico-économique finira par dissoudre ces spécificités cul
turelles ou si, au contraire, on assistera à des recompositions originales3.
C'est en tout cas la rationalité technico-économique et la logique mar
chande qu'elle entraîne qui informent de plus en plus l'institutionnalisa
tion de la société, en particulier l'ensemble des pratiques professionnelles
par lesquelles la société construit constamment son avenir.
Lorsque nous parlons d'institution de la société — expression dans
laquelle le terme d'institution est pris dans son sens actif — , nous dés
ignons quelque chose de différent du processus d'institutionnalisation que
nous venons d'évoquer. L'institution de la société, c'est l'instauration
même de l'espace social, l'érection même d'un ordre qui, faisant sens,
crée ce qu'on

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