Ralentissement de la productivité et réallocations d emplois : deux régimes de croissance
14 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Ralentissement de la productivité et réallocations d'emplois : deux régimes de croissance

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
14 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

On rapproche l'évolution de la productivité de l'évolution de l'emploi, au cours de deux périodes de croissance soutenue (1987-1990 et 1996-1999). Cette comparaison est effectuée à partir de données individuelles d'entreprises, en distinguant la contribution à l'évolution de la productivité des entreprises présentes au cours de chacune des périodes (entreprises pérennes) de celle des créations/disparitions. La productivité du travail augmente deux fois moins vite à la fin des années 1990 qu'à la fin des années 1980. Ce ralentissement est moins marqué dans le cas de la productivité globale des facteurs (PGF). Sur la seconde période, cette moindre croissance repose essentiellement sur les entreprises pérennes : ces dernières contribuent à l'augmentation de la productivité par les changements qualitatifs et quantitatifs survenus à l'intérieur de chaque unité quant à l'utilisation des facteurs (composante dite « intra » de l'évolution de la productivité), aussi bien que par les réallocations de facteurs entre entreprises. En revanche, la part de l'augmentation de la productivité imputable aux créations/ disparitions d'entreprise a légèrement reculé d'une période à l'autre, du fait d'une baisse de la contribution des créations. Enfin, dans le même temps, le taux de croissance nette de l'emploi a baissé du fait d'un tassement des créations brutes d'emplois plus marqué que celui des destructions. Cette évolution s'explique principalement par un recul de l'impact des créations d'entreprises sur les créations brutes d'emplois, et par de moindres destructions d'emplois de la part des entreprises pérennes. Cet enrichissement en emplois de la croissance donnerait un caractère davantage « smithien » que « schumpéterien » à la croissance française.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 20
Langue Français

Extrait


EMPLOI
Ralentissement
de la productivité et réallocations
d’emplois : deux régimes
de croissance
Bruno Crépon et Richard Duhautois*
On rapproche l’évolution de la productivité de l’évolution de l’emploi, au cours de deux
périodes de croissance soutenue (1987-1990 et 1996-1999). Cette comparaison est
effectuée à partir de données individuelles d’entreprises, en distinguant la contribution à
l’évolution de la productivité des entreprises présentes au cours de chacune des périodes
(entreprises pérennes) de celle des créations/disparitions.
La productivité du travail augmente deux fois moins vite à la fin des années 1990 qu’à
la fin des années 1980. Ce ralentissement est moins marqué dans le cas de la productivité
globale des facteurs (PGF). Sur la seconde période, cette moindre croissance repose
essentiellement sur les entreprises pérennes : ces dernières contribuent à l’augmentation
de la productivité par les changements qualitatifs et quantitatifs survenus à l’intérieur de
chaque unité quant à l’utilisation des facteurs (composante dite « intra » de l’évolution
de la productivité), aussi bien que par les réallocations de facteurs entre entreprises. En
revanche, la part de l’augmentation de la productivité imputable aux créations/
disparitions d’entreprise a légèrement reculé d’une période à l’autre, du fait d’une baisse
de la contribution des créations.
Enfin, dans le même temps, le taux de croissance nette de l’emploi a baissé du fait d’un
tassement des créations brutes d’emplois plus marqué que celui des destructions. Cette
évolution s’explique principalement par un recul de l’impact des créations d’entreprises
sur les créations brutes d’emplois, et par de moindres destructions d’emplois de la part
des entreprises pérennes. Cet enrichissement en emplois de la croissance donnerait un
caractère davantage « smithien » que « schumpéterien » à la croissance française.
* Bruno Crépon est chercheur au Crest-Insee. Richard Duhautois appartient à la division Synthèses des statistiques
d’entreprises et est membre associé du Crest.
Les noms et dates entre parenthèses renvoient à la bibliographie en fin d’article.
ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 367, 2003 69
ntre 1936 et 1996, la productivité apparente pour cela une méthode de décomposition origi-
du travail en France (mesurée par salarié) a nale de la productivité apparente du travail et deE
été multipliée par six environ (Marchand et la productivité globale des facteurs (PGF). La
Thélot, 1997). Toutefois, ce rythme de crois- période étudiée est divisée en quatre périodes
sance varie fortement selon les années et l’acti- triennales, 1987-1990, 1990-1993, 1993-1996
vité considérées. Ainsi, le rythme de croissance et 1996-1999. On compare les périodes 1987-
de la productivité du travail sur la période 1973- 1990 et 1996-1999, caractérisées toutes deux
1996 est trois fois moins élevé que sur la période par une croissance forte et par des créations net-
1949-1973. Les différences entre le secteur tes d’emplois importantes : l’évolution de la
industriel et le secteur tertiaire, et, au sein de ces productivité (productivité du travail et producti-
deux secteurs, d’un sous-secteur à l’autre, sont vité globale des facteurs) y-est-elle comparable
importantes. ou au contraire nettement différenciée ? Quel
est, au cours de chacune de ces périodes, le rôle
Il existe de plus une forte hétérogénéité entre respectif des créations/disparitions d’entrepri-
entreprises au sein d’un même secteur d’activi- ses et des entreprises pérennes dans l’évolution
tés à un niveau fin (Caves, 1998). Ainsi, même de cette productivité ? Quel est le lien entre
dans les secteurs à forte croissance, des entrepri- l’évolution de la productivité, et celle de
ses disparaissent et dans les secteurs en déclin, l’emploi ? Celle-ci est-elle imputable aux créa-
certaines sont florissantes. De la même façon, tions/disparitions, ou bien aux entreprises
les périodes de croissance et de récession pérennes ? Cette répartition est-elle susceptible
macroéconomiques n’engendrent pas forcément d’assurer au système productif une croissance
des évolutions pro-cycliques pour toutes les « schumpeterienne », c’est-à-dire le renouvelle-
entreprises. Les études à partir de données indi- ment des entreprises par destruction créatrice et
viduelles d’entreprises montrent que l’hétérogé- les technologies innovantes associées
néité des comportements n’est pas sans (cf. encadré 1). Les données individuelles
influence sur le niveau agrégé. L’extrapolation d’entreprise utilisées pour avancer quelques élé-
à partir d’une entreprise considérée comme ments de réponse à ces questions sont issues de
représentative (hypothèse dite « de l’agent la base de données des bénéfices réels normaux
représentatif ») s’en trouve d’autant limitée (cf. encadré 2).
(pour l’emploi : Davis et Haltiwanger, 1990,
1992, 1998 ; Duhautois, 2002 ; pour
Distinguer la contribution des entreprises l’investissement : Doms et Dunne, 1998 ;
pérennesCaballero, Engel et Haltiwanger, 1995 ; Duhau-
tois et Jamet, 2002 ; pour la productivité : Baily,
La croissance de la productivité agrégée peutHulten et Campbell, 1992 ; Bartelsman et
être décomposée en trois éléments : la crois-Doms, 2000).
sance de la productivité au sein des entreprises
pérennes (composante « intra») et deux élé-L’hétérogénéité des entreprises au sein d’un
ments qui ont trait à la réallocation des facteurssecteur d’activité a de nombreuses causes. Elle
de production entre entreprises pérennes (com-peut indiquer le degré de concurrence poten-
posante « inter ») et entre entreprises qui setielle ou réelle du secteur. Par exemple, si les
créent ou qui disparaissent (effet net debarrières à l’entrée d’un secteur sont faibles, si
l’entrée). La composante intra est souvent asso-l’ancienneté des entreprises y est variable et si
ciée au progrès technique alors que le processuscertaines sont intensives en capital, on peut
de réallocation (de l’emploi et de la valeur ajou-s’attendre à des comportements hétérogènes.
tée) refléterait plutôt l’évolution du marchéL’incertitude sur les profits, qui incite les entre-
(réallocation de facteurs entre entreprises)prises à innover en procédés ou en produits, est
(cf. encadré 1 et Ahn, 2001).un autre facteur (Jovanovic, 1982 ; Ericson et
Pakes, 1995). Enfin, l’hétérogénéité des entre-
L’effet intra dépend des changements dans laprises peut s’expliquer par la « qualité » des
quantité et la qualité des facteurs de productionsalariés et celle des entrepreneurs, par la pré-
et de l’intensité avec laquelle ils sont utiliséssence éventuelle de syndicats et par l’existence
dans le processus productif. À court terme, c’estd’innovations organisationnelles (Baldwin,
l’intensité qui varie pour faire évoluer la pro-1995 ; Ahn, 2001).
ductivité.
On se propose de comparer deux périodes de
croissance soutenue par la différence de leurs L’effet inter reflète les gains de productivité des
effets sur l’emploi et la productivité. On utilise entreprises en place qui gagnent des parts de
70 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 367, 2003
Encadré 1
QUELQUES REPÈRES THÉORIQUES
La notion de destruction créatrice (usuellement attri- Certains faits stylisés corroborent les modèles
buée à Joseph Schumpeter) est primordiale pour la d’apprentissage décrits ci-dessus (MacGuckin et Sti-
compréhension de la croissance économique. La roh, 2001). En particulier, les cohortes de nouveaux
théorie de Schumpeter développe l’idée que l’hétéro- entrants sont des groupes hétérogènes : chaque
généité des entrepreneurs et les changements dans entreprise commence son activité avec une taille diffé-
la composition de la population des entreprises rente reflétant (peut-être) sa propre perception de son
résultant des créations et des disparitions, de la avenir. Compte tenu de l’incertitude, une nouvelle
croissance et de la récession peuvent être impor- entreprise qui devient florissante ex post doit com-
tants pour la création et le développement de nou- mencer avec une plus petite taille. Cela explique la

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents