" 2050 " Histoires parallèles en deux temps
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Roman de R. Colle. Santiago, 2008

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Publié le 22 septembre 2011
Nombre de lectures 159
Langue Français

Extrait

Raymond Colle
« 2050 »
Histoires parallèles et en deux temps
Santiago 2008
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Sitio web: http://sites.google.com/site/colle/pages-en-francais-1
Blogs en français: Romans et nouvelles du même auteur Nouvelles scientifiques Nouvelles du Chili
Ce roman est publié souslicence Creative Commons
(Droits de copie limités)
Santiago du Chili, 2008
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Nous sommes d'abord en 2050AC (avant Jésus-Christ), à la fin du néolithique, dans une zone de forêt qui, bien plus tard, seraient les Ardennes belges. Au néolithique, les hommes passent progressivement d’une économie de prédation (chasse, cueillette) à une économie de production (agriculture, élevage). Là où nous sommes, les hommes vivent encore de la chasse au gros gibier dans les bois, où l'on trouve hêtres, chênes, noisettiers et quelques pins dans les zones rocailleuses. Selon la saison, ils recueillent aussi des noisettes dans la forêt et des mûres au bord des ruisseaux. Ils ont aussi défriché un champ, où ils cultivent du blé et de l'orge, entre une petite rivière et la caverne qui leur sert encore d'abri.
Nous sommes ensuite aussi en 2050AD (après en pleine ère de Jésus-Christ), l'information et de l'informatique, à Rochefort, dans les Ardennes belges, un petite ville au bord de la Lesse. Les habitants y vivent surtout du tourisme et aussi de la grande firme de télécommunications par cable qui a propulsé l'activité commerciale de la zone et qui s'est installée dans la partie haute de la ville, non loin de l'ancien château.
*
C'était l'heure du lever. L'aube était déjà claire et le soleil ne tarderait pas à apparaître à l'horizon. Sous peu, lorsque la lumière pénétrerait dans la grande caverne qui l'abrittait, tout le Clan de l'Ours commencerait à s'agiter. Avec la lumière, on pouvait admirer les peintures ancestrales d'animaux, que personne aujourd'hui ne savait reproduire. Cet art s'était perdu depuis des siècles. Parfois les enfants y ajoutaient les contours de leus mains, tracés au charbon, ou quelques dessins très élémentaires, mais le temps les effaçait très vite.
Erham s'étira, accomoda la fourrure qui lui servait de vêtement et s'approcha de l'entrée pour voir l'état du feu dont il devrait s'occuper ce jour là. Comme prévu, il y avait toujours suffisemment de braises pour le réanimer rapidement, ce qui permettrait aux femmes de cuire les galettes du déjeûner. Il aimait regarder le soleil poindre à l'horizon, au delà de la forêt qui s'étendait à perte de vue. Y avait-il quelque chose plus loin? Personne ne le savait. Ceux qui s'étaient posé la question et avaient tenté de connaître la réponse n'étaient jamais revenus.  Il dirigea ensuite la vue vers la vallée et les bois, pensant à la chasse qu'il faudrait rependre le lendemain, car les provisions de viande se termineraient aujourd'hui. Les difficultés ne se limitaient pas à l'astuce des animaux: l'existence d'un autre clan qui prétendait utiliser le même terrain de chasse était une complication majeure. Il fallait à tout prix l'éviter, sans quoi il y aurait une sanglante bataille.
Contournant le feu, il atteignit l'extérieur et son regard fut attiré par une forme allongée qui gisait sur le sol, quelques pas plus loin. Il reconnut tout de suite un corps. Quelqu'un serait sorti avant lui? Mais pourquoi était-il couché par terre? Il s'approcha et le poussa, mais sans résultat. Comme l'homme était de côté, il le mit
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sur le dos et vit qu'il était blanc comme neige et tout aussi froid. Mort. Pourtant, il n'avait pas été malade. Cela n'était pas normal. Il lui fallait avertir le chef. 
Il était 6 heures du matin. Le soleil allait se lever et l'aube était déjà claire. Mais personne ne s'en serait aperçu dans les locaux d'Ethercom, dans la grande propriété que la firme possédait sur le plateau de Rochefort, non loin de l’ancien château qui domine la petite ville au bord de la Lesse. Tout était illuminé par des ampoules LCD de basse consommation, elle-mêmes alimentées par les batteries chargées durant la journée par les cellules solaires qui recouvraient l'extérieur de l'énorme bâtiment. Edouard Lapit s'étira, sauta de sa couchette, prit une douche rapide puis mit son short et sa chemisette avec le logotype d' Ethercom. Il devait avant tout constater l'état du programme de surveillance de l'état général du système central, ce qu'il pouvait voir sur l'écran de sa chambre. Comme il s'y attendait, les paramètres étaient dans les marges de sécurité. Il déjeûna donc à la cantine et se rendit à la cellule de contrôle de flux. Le travail y était complexe et absorbant. Le mégaréseau mondial était constamment assailli par des intrus qui tentaient de s'appropier des canaux, le plus souvent pour des activités illicites, ce qui causait des pertes pour des millions d'euros pour Ethercom. Parer les attaques était une bataille de chaque instant pour la cellule de contrôle de flux.
Comme aucune alerte n'avait retentit durant la nuit, tout serait sans doute en ordre et il pourrait prendre la place de son collègue Julien Danloy, du service de nuit, pour monitorer les flux de la journée. Le détecteur de la porte de la cellule reconnut le code de la puce de radiofréquence RFID qui était implantée dans son bras et l'entrée lui fut ouverte. Il s'approcha de son collègue, qui ne bougeait pas, et se surprit de voir que l'écran principal était couvert par le protecteur électronique, ne laissant rien voir des opérations en cours. Danloy dormirait-il? Ce serait une grave faute! Il l'appela donc, mais sans obtenir de réponse. Il fit alors tourner son fauteuil et vit qu'il était sans couleurs, la tête penchée inerte sur la poitrine. Mort. 
Ne pouvant rien faire pour le mort, le devoir de Erham était d'avertir aussitôt le chef du clan. Il rentra dans la caverne et se dirigea vers le recoin le plus profond, où le chef avait sa natte. Celui-çi venait de se réveiller et il le mit au courant. - "Qui est-ce? Demanda-t'il. - "C'est Adhir " . - "Et que faisait-il dehors?" - "Je n'en sais rien. C'était mon tour de réactiver le feu. J'ai dormi tout près et je ne l'ai pas entendu sortir " . - "Retourne à l'entrée. Ne laisse personne s'approcher, pour ne pas brouiller les indices. Appelle-moi au passage le hérault: je lui dirai d'avertir tout le monde de ce qu'il faut faire. Et je vais demander une réunion du conseil des sages pour nommer un investigateur et préparer l'enterrement."
Ne pouvant rien faire pour le mort, le devoir de Lapit était avant tout d'assurer le réseau. Il réactiva l'écran et vérifia les paramètres de tous les canaux: ils étaient heureusement normaux pour la période visualisable. Mais il faudrait faire une recherche plus approfondie en remontant dans le temps jusqu'au moment où son collègue aurait perdu le contrôle. Maintenant l'écran à l'oeil, selon les normes, l'opérateur dicta le code
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d'alerte, activant le téléphone. - "Centrale d'alertes" entendit-il dans le haut-parleur "Que se passe-t'il?" - "En entrant ici, je viens de trouver mort l'opérateur de nuit de la cellule de contrôle CC-5. A vous de procéder. Les paramètres actuels des flux sont OK." - "J'avertis Sécurité. Evitez de toucher à quoi que ce soit. Nous passons le contrôle des flux de CC-5 à CC-15. Vous pouvez y aller pour faire votre travail." - "D'accord. Je n'ai touché qu'à la touche de réactivation de l'écran. Je pars."
Le conseil, formé de cinq anciens, tous âgés de 28 à 30 ans car bien rares étaient ceux qui passaient cet âge, se réunit aussitôt et décida de charger Zihjt de découvrir ce qui s'était passé. Zihjt était reconnu comme le meilleur pisteur du clan.
Le bureau de sécurité bloqua immédiatement l'accès à CC-5 sauf pour ses propres hommes. Dans un cas aussi grave, il fallait nécessairement avertir la police mais il y avait pas mal de choses que seuls les investigateurs internes pouvaient faire: analyser les relevés informatiques des activités internes et sur le réseau qui pouvaient être liées à CC-5 et à Danloy, voir les vidéos de sécurité des salles et des couloirs, etc. Ainsi, l'analyse interne fut confiée à l'ingénieur Maurice Dagent. Une heure après, il accompagnait l'inspecteur Joseph Trompel et le technicien en empreintes de la Police Judiciaire à la cellule 5.
Zihjt s'en fut examiner le mort. Ne lui voyant pas de blessure, il remit à plus tard un examen détaillé et considéra plus urgent d'étudier le trajet qu'avait suivi Adhir. Peut-être pourait-il déduire s'il était sorti parce qu'il se sentait mal et si quelqu'un l'accompagnait. Il revint donc examiner l'entrée de la caverne et le feu. Il alluma sa propre torche et parcourut inversément le trajet que le défunt avait dû suivre de sa couche jusqu'à la sortie, examinant le sol avec soin. Il y avait plusieurs traces, mais difficiles à distinguer car il y avait peu de poussière sur le sol de pierre et plusieurs personnes avaient déjà suivi à peu près le même trajet. Et comme tout le clan commençait ses activités, plus il s'avançait à l'intérieur, plus les traces se mêlaient là où on pouvait en voir. Il ne trouva ainsi rien d'anormal. Pourquoi Adhir était-il sorti avant l'heure habituelle? Et de quoi était-il mort?
Dagent assura l'entrée aux policiers et resta à distance pendant qu'ils observaient le mort et que le technicien de la police faisait le nécessaire pour trouver les empreintes et autres possibles pistes physiques. Les écrans étaient maintenant éteints: ils ne seraient d'aucune utilité pour la police, qui devait recourrir aux experts d' Ethercom quand les délits informatiques sur réseau se faisaient trop compliqués.
Les seules empreintes digitales qui furent relevées furent celles de Danloy et un doigt de Lapit sur les claviers et l'écran principal. Comme le milieu était exempt de poussière et que les employés de cette zone vivaient dans l'édifice, on ne devrait trouver aucune trace de pas. A moins que quelqu'un ne soit venu du dehors et ait pu forcer l'entrée. Mais ce n'était pas le cas: il n'y avait aucune trace d'une présence externe. Il faudrait une autopsie pour déterminer la cause de la mort de Danloy. Il semblait bien pour l'instant qu'elle était naturelle. Après la prise de photos de rigueur, Trompel appela les
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croque-morts qui emportèrent le corps à la morgue.
- "Avez-vous une idée de l'heure où Danloy est mort?" demanda-t'il à Dagent. "Je suis sûr que vous avez le moyen de savoir quand il a cessé de travailler." - "Nous avons en effet un registre d'activités sur une autre machine. J'ai aussi en ce moment un homme qui est en train d'analyser les vidéos de sécurité de ce bureau et des alentours. Si vous voulez venir à mon bureau, je peux l'appeler pour qu'il nous informe." - "Allons-y " .
De son bureau, Dagent appela l'homme chargé de vérifier les vidéos. Il confirma que personne n'était entré à CC-5 avant l'arrivée de Lapit. Et Danloy semblait avoir eu un épisode d'hyperactivité pendant cinq minutes, à partir de cinq heures du matin, après quoi il était resté complètement immobile. Ce devait donc être l'heure de son décès ou, en tous cas, de ce qui l'avait provoqué. Était-il la conséquence de cette période d'activité? Il faudrait analyser les registres de suivi des opérations de CC-5 à cette heure.
Zihjt retourna examiner Adhir avec beaucoup plus de soin. Il savait déjà qu'il n'avait pas de blessure visible à première vue. Il savait aussi que l'homme était en bonne santé, au moins jusqu'à la veille: il l'avait accompagné à la dernière chasse, n'avait montré aucune fatigue et était à la fleur de l'âge. Il se mit donc à l'examiner de façon plus détallée. Et il trouva plantée dans son cou une petite épine de pin. Il la retira avec précaution et vit qu'elle avait une pointe extrêmement fine et teintée de blanc, alors que le reste était bien vert. Il la garda dans un petit morceau de peau et continua son exploration. Mais il ne trouva rien d'autre.
Le médecin légiste aborda la tâche de l'autopsie avec grand soin et les plus grands doutes: il ne trouva aucun signe extérieur qui puisse l'aiguiller. Le sujet était un homme jeune, d'environ trente ans, et clairement en bonne forme physique. Il faisait sûrement régulièrement du sport, ce que pourrait sans doute confirmer sa compagnie. L'étude des organes internes lui confirma cette opinion. Ils étaient tous des plus sains. Sauf, peut-être, le cortex visuel, où le microscope lui permit de trouver quelques anomalies. L'état des neurones était tel que l'homme devait être pratiquement aveugle au moment de sa mort. Pourtant, l'analyse chimique n'apporta aucun éclaircissement: les rapports étaient normaux. C'était au niveau du citosquelette qu'il y avait eu un changement incroyable: il semblait solidifié et ne pouvait laisser passer le flux normal d'ions. Le légiste n'avait jamais vu cela ni sur un cadavre ni dans la littérature. Il téléphona au meilleur neurologue qu'il connaissait, lequel lui confirma que ce cas était totalement exceptionnel. Comment savoir ce qui aurait pu provoquer cela?
Il décida de congeler le cerveau et les yeux de la vicitime, afin de les conserver au mieux pour une recherche future. Puis il rédigea son rapport qu'il envoya à l'inspecteur Trompel.
Comme les dernières neiges avaient fondu il y a peu et qu'il avait plu durant la nuit, le terrain -là où se terminait le rocher de la falaise- était encore gorgé d'eau.
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Zihjt parcourut le bord de la falaise sur plus d'une centaine de mètres devant la caverne. Il y avait des traces des déplacements des membres de la tribu le jour précédent, mais elles étaient à peine visibles, effacées par la pluie. Par contre, il y avait des traces fraîches qui se dirigeaient vers le petit cours d'eau, mais pas sur le chemin que le clan empruntait habituellement pour aller recueillir sa principale boisson. Elles allaient au contraire dans la direction d'un autre contrefort rocheux, où ils savaient que le Clan du Cerf avait sa grotte. Elles étaient assez nombreuses: il calcula que quatre hommes avaient dû passer par là et dans les deux sens, sans aucun doute après la fin de la pluie et avant le lever du jour. Ce ne pouvaient être que les tueurs, qui avaient dû ensuite cheminer dans l'eau, car la trace s'y perdait. Le Clan du Cerf serait donc venu attaquer avant l'aube? Mais pourquoi? Et pourquoi Adhir était-il levé et était-il sorti? Pourquoi personne n'avait-il rien entendu? A quelle heure cela avait-il pu se passer? Le corps était froid et raide. Il calcula donc qu'il s'était passé au moins la cinquième partie de la nuit depuis la mort d'Adhir.
Dagent connecta son ordinateur au système de supervision de l'activité des contrôleurs et appela la séquence de CC-5 à partir de quatre heures trente du matin. Sur son écran, une colonne montrait les paramètres qui avaient été enregistrés minute à minute et une autre l'activité de l'opérateur. A quatre heures quarante-huit, le canal V18 était tombé au-dessous des paramètres normaux et l'opérateur avait vérifié qu'un de ses serveurs était tombé en panne, mais le serveur de secours s'était mis immédiatement en marche. Il n'avait donc pas eu à intervenir manuellement. A cinq heures exactes, des choses tout à fait anormales apparurent sur l'écran: des lignes de code, très nombreuses, qui ne correspondaient en rien à ce qui aurait dû être montré, dans la première colonne. Et dans celle de la réponse de l'opérateur, des réponses oui-non et des mouvements et clics de souris. Après cinq minutes, tout redevint normal dans la première colonne et la seconde resta vide. La première conclusion était qu'il y avait donc eu une intrusion dans les communications. Mais à partir d'où, et comment? Le système de contrôle de flux était l'un des mieux protégés, au sein d'une compagnie dont les normes et procédés de sécurité étaient déjà les plus élevés de la planète. Dagent passa au registre de contrôle des accès au système de supervision. Toutes les entrées étaient celles des opérateurs lorsqu'ils avaient pris leur poste à onze heures du soir précédent. Sauf une. Il y avait eu une entrée à cinq heures, mais son identification avait été effacée. Cela signifiait qu'un pirate avait pu franchir le coupe-feu, introduire un "virus", puis effacer son entrée. Il devait être très fort, car la sécurité était la meilleure connue.
Zihjt s'en retourna examiner les traces de pas à l'extérieur de la caverne. Cela semblait bien un groupe de personnes. mais il y avait quelque chose de bizarre. Il compara les pas qui allaient dans le même sens. Et vit l'anomalie: les pieds étaient exactement les mêmes, dans les deux sens: c'étaient donc ceux d'un seul homme, qui voulait faire penser au passage d'un groupe. "Voilà une traite intelligente", se dit-il. "Mais pourquoi?". Une question de plus!
Il examina de nouveau la rivière et le longea sur plusieurs centaines de mètres: aucune trace n'en sortait, et il ne l'espérait vraiment pas. Il était maintenant
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persuadé que tout s'était passé entre la rivière et la grotte. Y-avait-il un meurtrier dans le clan? Et qui connaîtrait une nouvelle arme?
Comme le procédé normal ne pouvait montrer que les codes transmis et non l'état réel de l'écran de l'opérateur, Dagent pensa que ce n'était peut-être pas exactement ce que Danloy avait vu. Une première façon de le vérifier serait de voir en synchronie les images prises par la caméra de surveillance. Il l'appela donc sur un autre écran et fit repartir les deux compte-rendus cinq minutes avant cinq heures. La caméra montra effectivement une variation anormale des couleurs de l'écran qu'observait Danloy, comme s'il avait vu des photos ou la TV, pendant les cinq minutes en question.
Zihjt s'en fut trouver le chef du clan. Il lui explica ce qu'il avait observé puis lui montra la petite épine. - "Hoofd, la seule chose qui semble avoir blessé Adhir, c'est cette petite épine. Quelque chose de si petit peut-elle lui avoir causé la mort?" - "Demandons au chaman!" Celui-çi regarda l'épine et se gratta la tête. - "C'est une aiguille de pin, mais aiguisée et enduite de quelque chose qui est peut-être un poison. Je n'ai jamais vu ça. Cette couleur blanche ne vient pas de l'épine: elle y a été mise par quelqu'un. Elle vient peut-être d'une plante qui tue. Car comme il y a des plantes qui guérissent, il y a des plantes qui peuvent tuer. Je vous suggère d'attraper un animal vivant à la prochaine chasse et de le piquer avec cette épine. Nous saurons alors si c'est ce qui a tué Adhir."
Le chaman tendait le dard vers Zihjt lorsque des enfants passèrent en courant derrière lui et le bousculèrent, ce qui fit qu'il égratigna son interlocuteur à la main avec l'épine. Zihjt retira la main par réflexe et la regarda. Il allait dire quelque chose, mais les mots s'étranglèrent dans sa gorge. Sa vue devint trouble et il sentit que son corps se paralysait. Ses poumons se bloquèrent et il perdit connaissance, tombant en avant. Et son coeur cessa de battre.
Dagent fit alors une copie des codes anormaux et l'installa sur un autre ordinateur pour tenter de reproduire ce qui s'était réellement passé. Par mesure de sécurité et pour documenter son enquête, il mit en route une caméra de haute définition synchronisée avec le nouvel écran, qui filmerait celui-çi tout en le surveillant lui-même. Puis il lança le logiciel ainsi reconstitué. Les derniers paramètres des flux de CC-5 apparurent puis furent brusquement interrompus par une image: un vampire qui battait des ailes, et un message qui indiquait "Jouez avec moi! 1=Oui 2=Non". Sur son autre écran, Dagent vit que Danloy avait marqué plusieurs fois le 2. Il fit de même. Chaque fois la même image et le même message revenait. L'autre écran montrait que Danloy avait essayé tous les codes d'échappement possibles. Il reproduisit donc ceux-çi un à un. Puis une image tournoyante apparut, qui l'hypnotisa rapidement. Il y eut une rafale d'éclairs qui l'aveuglèrent et il perdit connaissance. La séquence de codes était terminée.  Zihjt était tombé et ne se relevait pas. Le chaman l'examina mais savait déjà que la petite aiguille venait de lui donner la mort de la même façon qu'à Adhir. Mais il était inconcevable qu'Adhir se soit piqué lui-même. D'autre part, comme l'explica Hoofd,
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les traces de pas examinées par Zihjt n'arrivaient pas jusqu'à l'endroit où était le premier mort, qui était à une dizaine de pas de l'entrée de la caverne et à une centaine du bois. Et le chaman ne connaissait aucun instrument pour lancer des aiguilles à distance. Alors, d'où était venu le dard, et comment?
Ce fut Edward Weinbraith, l'adjoint de Dagent, qui trouva celui-çi une heure après, lorsqu'il vint l'informer de son inspection dans les autres départements. Il avertit aussitôt le gérent du nouveau décès, et celui-çi appela de nouveau le commissaire Trompel. En attendant l'arrivée de celui-çi, il ordonna a Weinbraith de retirer la mémoire de la caméra spéciale qu'avait installé Dagent et les deux la regardèrent sur un autre appareil. Dagent avait commenté à haute voix tout ce qu'il avait fait, ce qui leur permit de suivre pas à pas le déroulement de sa recherche et de voir la rafale d'éclairs sans être affectés par ceux-çi.
Lorsque Trompel arriva, après lui avoir montré le bureau de Dagent et le cadavre, ils lui montrèrent l'enregistrement, lui expliquant les aspects techniques des commentaires de Dagent. Tous furent d'accord pour conclure que les éclairs devaient être la cause, directe ou indirecte, de la mort tant de Dagent que de Danloy. Le rapport du médecin légiste qui examina ce dernier, que Trompel reçut quelques heures après, semblait confirmer cette hypothèse.
Hoofd, chef du clan de l'Ours, et Gneesh, le chaman, décidèrent de charger un autre pisteur, Thorn, de l'examen des empreintes et autres possibles pistes. Thorn décida de diviser en quatre la zone de recherche: la rivière, tant vers le nord que vers le sud, la forêt au-delà de la rivière, le champ et le parcours entre la rivière et l'entrée de la caverne, où il y avait des empreintes, et enfin la grotte elle-même. Il arriva rapidement aux mêmes conclusions qu'avait tiré Zihjt.
Hoofd et Gneesh chargèrent aussi Wherk, le fabricant d'armes, de chercher l'instrument qui aurait permis de lancer les dards et de tenter d'identifier le coupable. Wherk était un vrai génie. Il avait inventé les bâtons de jet, qui permettaient d'augmenter la force du bras pour lancer des javelots plus loin qu'auparavent on ne pouvait le faire avec les lances. Et il étudiait maintenant l'emploi possible de branches d'arbres pliées pour les lancer plus loin encore, ayant observé comment sautait la neige des branches des arbres lorsqu'on les pliait. 
Lucio Rossi, le gérent général d'Ethercom, réunit dans son bureau les chefs des divers départements de la compagnie pour discuter des mesures à prendre. Ils se mirent d'accord pour charger le département de programmation de l'étude du code de la séquence de vidéo hypnotisante et le département de sécurité pour programmer un renifleur, un logiciel qui chercherait sur le réseau des traces du code pirate et tenterait de suivre sa trace. Une cellule de contrôle de flux qui était en réserve serait chargée de cette exploration. On la désigna CC-13, numéro qui n'était utilisé que de façon extraordinaire. Et Edward Weinbraith, qui travaillait aussi de façon habituelle pour NetPolice, la police du Net, serait l'ingénieur chargé de cette cellule.
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Hoofd venait de terminer avec Gneesh et Wherk quand son attention fut attirée par un homme qui se tenait près du feu. Il n'était pas du clan et semblait vouloir parler à quelqu'un. Il s'en approcha. - Que voulez-vous? - Je suis Spreek, du Clan du Cerf. Le chef de notre clan est très fâché avec vous. Il nous arrive de moins en moins d'eau et il dit que c'est à cause de vos cultures. Il vous demande de réduire celles-çi et de laisser nous arriver plus d'eau. La Mère-Eau n'est la propriété de personne et tous ont droit à sa bénédiction. - Votre chef se trompe. Presque toute l'eau revient à la rivière. Et nous aussi nous en avons moins. N'avez-vous pas remarqué qu'il a moins plu cette saison? La Mère-Eau nous cache sa face tout autant qu'à vous. - S'il pleut moins, vous devez employer moins d'eau. C'est le message. Si nous ne recevons pas plus d'eau, nous devrons vous forcer! - C'est pour cela que vous avez tué un de mes hommes? - Quoi? - Un de nos hommes a été trouvé mort hier. Il y avait des traces de pas qui allaient vers votre caverne. Si c'est votre façon de nous avertir, nous aussi pourrions prendre des représailles! - Je ne sais vraiment rien de cela. Je vais avertir le chef. Vous aurez de nos  nouvelles. Et l'homme partit. Lucio Rossi venait de terminer de donner ses instructions lorsque sa secrétaire l'avertit que le gérent de la compagnie électrique Electrabel l'appelait. Il reçut la communication. - Monsieur Rossi, je viens de savoir que votre compagnie a demandé le retrait des compteurs d'électricité et donc la déconnection de notre réseau. ¿Vous comptez fonctionner sans électricité? - Pas du tout. Nous avons maintenant suffisemment de panneaux de cellules pohtoélectriques pour pourvoir tout notre complexe. Nous n'avons donc plus besoin de vos services. - Je dois vous rappeler que nous avons la concession exclusive de la production d'électricité à des fins commerciales. De ce point de vue, nous considérons que votre décicion est illégale. - Pas du tout! Nous ne commercialisons pas l'électricité que nous produisons: nous l'utilisons et nous apportons donc aux efforts de réduction de la contamination écologique. - Mais vous utilisez cette électricité sur votre réseau de câbles. Cela, c'est de la commercialisation. - Nous commercialisons des canaux de communication. Les flux de signaux sont  produits par nos clients. - Mais vous les reproduisez et amplifiez avec votre électricité. C'est illégal. - Cela semble être votre point de vue, mais pas le nôtre. - Alors nous devrons exiger une compensation devant les tribunaux! - C'est votre affaire. Si vous le faites, nous répondrons.  - Alors, vous pouvez avertir vos avoctas. Au revoir Mr.Rossi. 10
- Au revoir.
Thorn ne pourrait explorer toute la forêt: les hommes du clan n'en avaient jamais trouvé la fin. Même parcourir la zone où le clan chassait d'habitude prendrait beaucoup de temps. Il estima que, de toutes façons, s'il y avait des traces anormales, ce devait être dans la proximité de la caverne et il dédia donc une journée à parcourir ce secteur. Mais il ne trouva rien. Il proposa alors à Hoofd de mettre des trappes dans cette même zone, au cas où l'assassin reviendrait. Elles seraient signalées d'une façon que seuls les membres du clan détecteraient.
Weinbraith étudia la situation. Un processus normal de recherche avec un renifleur, même avec un programme d'intelligence artificielle comme celui qu'il pouvait mettre en place, pouvait prendre des années par voie normale vu la quantité de canaux et de messages à filtrer. En réalité virtuelle cela se voyait comme un énorme enchevêtrement d'autoroutes, de routes locales et même de sentiers, parcourus par tous genres de moyens de transport, depuis des piétons jusqu'à des voitures de course. Sans oublier les sportifs qui tentaient parfois de faire du cross-country, traversant champs et bois pour aller d'un village à l'autre. Tous portaient des blocs d'information, comme des pièces de Lego, qui formeraient -à leur arrivée- depuis de courts messages SMS jusqu'à d'énormes applications à fins scientifiques ou commerciales. Et tous pouvaient porter des passagers clandestins, virus de toutes espèces. Mais c'était aux clients de compter avec des gardiens pour débusquer ceux-çi, et pas à la police du Net, qui ne devait s'occuper que des bagarreurs.
Weinbraith n'avait pas à surveiller tout ni à s'infilter partout. Il y avait des étranglements, des points de convergence inévitables, certaines routes par où tous devaient passer si la communication était de longue distance: les fibres optiques internationales et les satellites de communication. A part les alentours immédiats d'Ethercom, qu'il faudrait surveiller en détail, il suffirait de placer des filtres sur les serveurs de transmission des fibres, qui dévieraient tous les blocs suspects vers un des superordinateurs Craymax d'Ethercom qui serait dédié complètement à suivre les paquets de bits suspects. L'accès aux satellites était un problème à peine plus complexe: ils appartenaient tous à SatelCorp et étaient intouchables en soi, mais tous étaient reliés au sol où les fibres permettaient le contrôle.
Ce dont Thorn était convaincu, c'était qu'il ne pourrait chercher les empreintes d'un animal. Les traces de pas entre la rivière et le cadavre d'Adhir indiquaient clairement qu'un homme était impliqué. Comme les empreintes n'allaient pas plus loin, il lui faudrait donc chercher d'autres traces de passage humain en dehors de la caverne. Si quelqu'un, à l'intérieur, était impliqué, il faudrait le déterminer d'une autre façon.
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