Le dernier combat d’Ursula
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Le dernier combat d’Ursula « Qui trop combat le dragon, devient le dragon lui-même ». Nietzsche J’ai toujours aimé les vieux meubles en bois. Je furète toujours dans les arrière-boutiques de China Town, les ventes à l’encan. Je n’ai aucun scrupule à avouer que je surveille plus la rubrique nécrologique que celle des naissances, car grâce à une perspicacité et une ténacité sans failles, mais aussi un incroyable coup de pot, l’on peut trouver des trésors méconnus. Certaines familles, cédant rapidement aux sirènes inquiétantes de la modernité, vulgarisée par des émissions de téléréalité sur des transformations d’intérieurs certes très marqués mais néanmoins dotés d’une vraie personnalité, en une standardisation formatée et fadasse- se débarrassent ainsi de meubles et autres objets à la mort de leurs propriétaires, objets dont la rareté, l’originalité, la facture, réjouissent mon âme de collectionneur. D’autres se libèrent d’une succession encombrante et à leurs yeux, culpabilisante de ceux qui ont abandonné les leurs dans des foyers qui n’en sont plus. J’étais du côté de Beau-Bassin cet après-midi là, rentrant d’un enterrement d’autant déprimant qu’on portait en terre une jeune femme de mes connaissances. Sans doute n’aurais-je jamais eu la chance de me trouver dans cette petite rue ombragée si je n’avais dû me garer fort loin de l’église en raison du nombre élevé de personnes assistant à l’enterrement.

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Publié le 26 décembre 2012
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Langue Français

Extrait

Le dernier combat d’Ursula
«Qui trop combat le dragon, devient le dragon lui-même».
Nietzsche
J’ai toujours aimé les vieux meubles en bois. Je furète toujours dans les arrière-boutiques de China Town, les ventes à l’encan. Je n’ai aucun scrupule à avouer que je surveille plus la rubrique nécrologique que celle des naissances, car grâce à une perspicacité et une ténacité sans failles, mais aussi un incroyable coup de pot, l’on peut trouver des trésors méconnus. Certaines familles, cédant rapidement aux sirènes inquiétantes de la modernité, vulgarisée par des émissions de téléréalité sur des transformations d’intérieurs certes très marqués mais néanmoins dotés d’une vraie personnalité, en une standardisation formatée et fadasse- se débarrassent ainsi de meubles et autres objets à la mort de leurs propriétaires, objets dont la rareté, l’originalité, la facture, réjouissent mon âme de collectionneur. D’autres se libèrent d’une succession encombrante et à leurs yeux, culpabilisante de ceux qui ont abandonné les leurs dans des foyers qui n’en sont plus.
J’étais du côté de Beau-Bassin cet après-midi là, rentrant d’un enterrement d’autant déprimant qu’on portait en terre une jeune femme de mes connaissances. Sans doute n’aurais-je jamais eu la chance de me trouver dans cette petite rue ombragée si je n’avais dû me garer fort loin de l’église en raison du nombre élevé de personnes assistant à l’enterrement. J’avais tourné un bon moment avant de trouver une place rue Lorquet, place qui m’avait demandé nombre de manœuvres délicates pour ranger la voiture au plus près du trottoir. Mais ce n’est qu’après la cérémonie, lorsque je revenais d’un pas mélancolique et plus lent, la rue s’étant vidée de la plupart de ses occupants motorisés temporaires, que j’avisai un tableau noir sur lequel était écrit à la craie jaune : VIDE GRENIER. La formule était on ne peut plus exotique pour nous Mauriciens, seuls les expatriés de la côte Ouest l’utilisant à l’occasion. Il était plus de 15h, j’étais encore empreint de la solennité du cérémonial, j’avais envie et besoin de me changer les idées. Un portail blanc en méchant état s’ouvrait sur un petit jardin ombragé. Un vieux manguier stérile et des rosiers défraichis entouraient une maison typique des années 60, sans le
moindre charme, à la peinture écaillée. Un petit garçon à vélo sortit de la maison en trombe et freina brusquement en me voyant. « Papaaa ! hurla-t-il, y a quelqu’un ! », avant de repartir aussi vite qu’il était sorti. Presqu’aussitôt, un homme parut, très souriant. Il engagea la conversation et m’apprit qu’il était de passage à Maurice pour liquider la succession d’une grand-tante décédée quelques mois auparavant. Elle n’avait pas d’héritiers et lui-même vivant en France depuis plus de trente-cinq ans, ne l’avait pas connue. Etant le seul lien familial-même ténu - restant, il s’était acquitté bon gré mal gré de cette tâche délicate. Les procédures administratives étaient remplies et la maison vendue à un entrepreneur désireux d’ériger un complexe d’habitations de haut standing. La famille repartait dans trois jours et il restait un ou deux meubles qu’elle n’avait personne à qui léguer et que visiblement, elle ne souhaitait pas ramener. Il me mena alors vers deux chaises dépareillées en teck et rotin ainsi qu’à un très ancien secrétaire.
Le secrétaire était légèrement abimé sur les côtés, sans doute manipulé sans trop d’égards au cours de transports divers et son quatrième pied branlant nécessitait une intervention musclée. Mais j’étais assez bricoleur pour lui redonner vie, moyennant de la colle à bois, un bon ponçage et une couche de vernis foncé. Je devinais sa beauté et son potentiel, en faisant abstraction de son état actuel. Je savais déjà où j’allais le placer, dans un coin du salon, face à la mer, ma place préférée pour écrire. J’ai toujours aimé le bois, les teintes sombres, le teck, le palissandre, l’acajou et même le bois de rose aujourd’hui protégé. Et j’ai un faible pour les meubles marins, les vieux coffres à moitié rongés par les mites, qui exaltent un parfum d’aventures et d’horizons lointains. L’homme m’expliqua qu’il n’avait aucune idée de sa valeur, vu son état mais qu’il souhaitait plutôt que cet objet ne soit pas jeté. Nous convînmes d’un prix somme toute très raisonnable et j’embarquai mon secrétaire avec le sentiment du devoir accompli. Finalement, cette journée ne serait pas que marquée du sceau du chagrin.
Arrivé chez moi, je sortis le meuble avec précautions du coffre de mon véhicule et le posai délicatement contre la baie vitrée. Bien sûr, les embruns allaient le patiner malgré le vernis mais après tout, le bois est tenace, c’est là toute sa beauté. Il était face à l’océan, et je sus tout de suite qu’il venait de gagner son aller simple pour mon cœur.
J’allais chercher un beau fauteuil cannelé, rescapé lui aussi d’une petite mort et le plaçai face au secrétaire. La convergence esthétique immédiate ne m’échappa pas. Je m’assis dans le fauteuil que j’approchai au plus près du secrétariat et posai mes mains à plat sur ce bois tourmenté avec une félicité non feinte. Je sentais littéralement le bois, du bout de chacune de mes terminaisons nerveuses, sous la pulsation sanguine de mes poignets, le granuleux sous la pulpe de mes doigts. Mais je ressentais également le meuble dans son entité, dans son rapport espace-temps, dans sa tri-dimension. Etant porté sur les mystères et l’ésotérisme, j’ai été curieux de tous temps, et rien ne me faisait plus frissonner de plaisir que l’anticipation d’une
découverte à venir. Ne croyant nullement au hasard – j’adorai déclarer sur un ton péremptoire : « Le hasard n’existe pas ! » pour le plaisir de lancer un débat effréné, je savais d’ores et déjà que le fait de m’être trouvé tout près d’un vide grenier ce jour-là, à cette heure précise, pour y dénicher ce secrétaire-là, était le fruit d’une conjoncture heureuse mais prédestinée.
 Je fermai les yeux, penchai la tête et ouvris grand tous mes sens. Je fis le vide en moi et me conditionnai pour « ressentir » le meuble. Les mains toujours à plat, les yeux clos, l’odorat, le toucher et plus encore les perceptions extrasensorielles aux aguets, je me laissai aller …
Des odeurs affluèrent, légères, ténues, éthérées, immanentes. Un mouchoir froissé dans un poing serré, des violettes fanées, la cire froide des cierges, un vieux chagrin têtu qui refuse de se diluer, une ancienne colère au bord des lèvres, l’encre à peine séchée des vieux journaux, ce parfum de talc si british, les miettes d’un biscuit manioc, l’eau de mélisse, le lait de vache coupé à l’eau… Je fis le vide en moi pour mieux accueillir ces nouveaux compagnons. Ce meuble souffrait d’un sérieux déficit d’amour et il me faudrait y remédier au plus vite. Je fis glisser mes mains sur toute la surface du secrétaire, puis sur les côtés. Mes mains vibraient très légèrement, de minuscules décharges électriques couraient au bout de mes doigts. Il y avait là quelque mystère qui n’attendait que moi…
Je reculai mon fauteuil et pris le secrétaire à bras-le-corps. Je le retournai délicatement et le posai à l’envers. Le bois était pâle et en assez bon état, il n’y avait ni initiales gravées, ni chewing-gum collé. Je remarquai néanmoins une longue rainure au milieu du bois, comme une fente, mais qui aurait été rebouchée. J’essayai de gratter avec le pouce mais ne réussis qu’à sacrifier un ongle. Je me relevai et allai chercher un couteau dans la cuisine. Je m’accroupis au-dessus de la fente et tentai d’y glisser la pointe. Ce qui la remplissait se détacha immédiatement et des miettes tombèrent. Cela ressemblait à de la vieille mie de pain : le procédé était original mais efficace. La fente se découvrit plus largement, lorsque la pointe du couteau ripa sur quelque chose. Un bruit de déchirure me mit sur la voie : il y avait là caché dans le cœur du secrétaire, du papier, des feuilles, qui sait, peut-être un vieux billet ou un mot doux ? Mon excitation crût brutalement mais je devais agir tout en douceur afin de préserver le meuble. Je fis pivoter légèrement la pointe de façon à agrandir l’interstice et entrevis des feuillets jaunis. Je les fis glisser avec moult précautions de leur cachette d’où ils dormaient depuis longtemps, à en juger par le craquant du papier.
Je retiens mon souffle mais laissai libre cours à mon excitation devant ma découverte. Des feuillets pliés, de ce papier à cigarette si fin et typique des années 70, qui servait de support aux correspondances épistolaires à cette époque où l’on savait écrire et non téléphoner, écrire en
toutes lettres et non par SMS. Ces lettres devaient appartenir à la grand-tante. Etant le nouveau propriétaire du meuble, je me sentis en droit d’ouvrir et de lire ces lettres. Elles étaient pliées en quatre, dans le sens de la longueur. Elles collaient légèrement, je dus les séparer avec toute la délicatesse voulue pour ne pas les déchirer. Bien que très impatient de les lire, je pris le temps de les classer par année. Les dates couraient sur vingt ans. L’écriture, fine, serrée, nerveuse et la tournure des phrases m’enchantèrent.
Monsieur
Beau-Bassin, le 16 mai 1974
Monsieur le Rédacteur en Chef
du Journal du Matin
Rue Mère Barthelemy, Port-Louis
C’est avec une grande indignation que je me permets d’attirer l’attention de l’homme de bien que vousêtes, sur un problème dont la complexitén’a d’égal que l’exaspération qu’une dame respectable- moi en l’occurrence - peutéprouver devant les dérives de ce monde !
En effet, sachez, Monsieur, que vivantà Beau-Bassin depuis 1932, dateà laquelle feue ma mère, la très respectable Mademoiselle L.,épouse P.., et fière citoyenne mauricienne, me mit au mondeàla maison, ainsi qu’il enétait d’usage en ces temps, et permettez-moi de vous le dire sans détours, sans ces récriminations que les femmes « modernes » nous infligent ; je me suis vue contrainte il y a peu, de devoir déménager ! Déménager, quitter la belle demeure familiale de la rue Malartic ! La chose est-elle croyable ? N’allez surtout pas croire que cela se fît de gaitéde cœur ! Non, Monsieur ! Vous quiêtes versédans le monde moderne, n’êtes pas sans savoir que notre sociétéa basculédans les pires déannrives, les pires perversions depuis quelques ées ? Tout cela en raison de groupuscules communistes opposésàce grand homme de Généleral de Gaulle, le sauveur de la France, défenseur des valeurs françaises … Mais je m’égare sous le coup de l’indignation. Cesévénements ridicules survenus en France en 1968 auront réussi l’exploit de traverser les océans et de venir polluer nos belles valeurs !
Oui, Monsieur, c’est bien de la pire des dérives dont je souhaite vous parler, celle que les modernes appellent le « féminisme » (Notez les guillemets). Les femmes ne savent plusàquel sein se vouer… Mon Dieu, je m’aperçoisàma grande honte que je n’ai pasécrit « saint »… Cetécart de langage toutàfait involontaire nous place néanmoins au cœur du problème. Sachez, Monsieur, que la raison principale de mon déménagement aétél’installation de nouveaux voisins dans la maison adjacente. Or, seule une haie de bambous séparait nos deux maisons. Ces nouveaux voisins, auxquels je conférai le bénéfice du doute, me parurent au prime abords sympathiques. Il s’agissait d’un jeune couple qui rentrait de France. Le mari, Mauricien, venait de terminer ses études d’avocat et avait ramenédans ses bagages, uneépouse française, qui allait vite se révélerêtre une « créature » aux mœurs dépravées. Figurez-vous qu’àpeine l’étéarrivé, cette femme n’hésita pasàse faire bronzer nue dans son jardin ? Oui, vous avez bien lu, « nue », une tenue réservéeànotre seule naissance etàl’intimitéd’une salle de bains ferméeàclé! La chose n’est-elle pas outrageante ? Je dus même monter sur l’étagère de la chambre d’amis et régler les jumelles de feu mon père pour bien m’assurer que je n’avais pas la berlue ! J’aurais pourtant dûme douter de la chose puisque je n’avais pas manquéde remarquer que cette effrontée ne portait ni gaine, ni soutien-gorge ! Je tentai bien au début de ramener cette créature aux portes de la bienséance, encore que vous en conviendrez, ce mot peut paraitre obsolète eu regardàces mouvements dits « hippies », pour dire le moins, un ramassis de drogués et de dépravés préconisant l’amour libre ! Mais le seul amour libre est l’amour de Dieu ! Croyez-le ou non, elle me rit au nez et me conseilla de jeter mon « soutif » aux orties et de faire dorer mon corps de « vieille fille » ! Il me fut dès lors impossible de resteràproximité, tant ma pudeur et mon sens des convenances furent offusqués.
A-t-on déjàvu pareille déMonsieur, puisque vouspravation ? êtes dépositaire de l’ordre moral cheràd’Epinay, sans doute pourrez-vous, par le biais d’un article bien senti, rappeler la jeunesse et nos femmes en particulier,àde la décence, la retenue et la pudeur ! J’eusse bien aimépouvoir le faire moi-même, mais je me dois de conserver le respect et l’estime qui siéentàune femme honorablement connue.
Je vous remercie d’y mettre bon ordre et je vous prie de croire, Monsieur, en l’expression de mes salutations respectueuses.
Monsieur le Directeur du CEB
Ursula Paith Sech’
Beau-Bassin le 26 septembre 1981
Monsieur le Directeur du CEB
Curepipe
C’est avec un vrai sentiment de colère que je souhaite attirer votre attention sur le cas de M. P., Meter Reader de sonétat, dont je viens déplorer l’attitude pour le moins honteuse d’un serviteur de l’Etat ! En effet, sachez que comme tous les mois, M. P. vient lire le relevéde mon compteur. Bien que je lui ai signifiéàplusieurs reprises que 14h est l’heure de ma sieste, cet individu
n’hésite pasàmanifester quelque impatience lorsque je tarde trop. Il se permet même de « fer kamard » avec Milou, mon chien (ce sont ses propres mots) et de le siffler lors de sa tournée.
Imaginez un instant ce que peuvent penser les voisins lorsque M. P. siffleàtout-va devant mon portail ? Qui pourrait croire qu’il s’agit d’attirer l’attention de mon chien ? Je suis une dame honorable et d’excellente réputation,
Je vous prierai par conséquence de bien vouloir exercer votre autoritésur vos gens afin que ce genre de comportement déplacén’ait plus cours.
Salutations respectueuses
Monsieur le Directeur
Ursula Paith Sech’
Beau-Bassin, le 17 avril 1984
M. le Directeur de l’Hôpital Candos
Quatre-Bornes
Oui, l’Etat nous offre ses services de santégratuitement et de cela, nous sommes reconnaissants. Est-ce làune raison suffisante pour justifier du traitement cavalier que les nurses infligent aux patients ? J’ai souvenir, Monsieur, de l’idéal prônépar Florence Nightingale lorsqu’elle ouvrit cette formidable voie aux femmes, dont la gentillesse et la compétence devaientêtreàmême de juguler la sévéritémasculine !
Or, quelle ne fut pas ma surprise, lors d’un rendez-vous chez mon dermatologue – les ongles incarnés sont une punition maléfique ! - je fus traitée avec rudesse parce que je refusai de s’asseoir sur un banc d’une propretédouteuse et que je critiquai la présence de chiens et de chats errants dans cet endroit sens !
Cette nurse se nomme Miss T. J’ai bien pris soin de noter son nom, afin que vous puissiez légitimement la réprimander.
Salutations respectueuses
Madame,
Ursula Paith Sech’
Beau-Bassin, le 26 octobre 1989
Madame la Rectrice du Q.E.C
Rue Suffren
Rose-Hill
Vousêtes la rectrice de l’une desécoles les plus respectables pour jeunes filles de ce pays. Or, on ne peut hélas attribuer ce qualificatifàquelques-unes desélèves qui fréquentent votreétablissement et malheureusement pour moi,également le jardin Balfour. J’habite, Madame, rue Lorquet et le jardinétant dans le voisinage immédiat, j’ai coutume d’y aller marcher les après-midis. En effet, le grand air et la marche me soulagent quelque peu des rhumatismes.
Depuis ma prime jeunesse, les habitants de Beau-Bassin prennent beaucoup de plaisiràvenir qui pique-niquer, qui jouer dans l’herbe. Les enfants comme les parents s’y sentent en sécuritéles all et ées ombragées ainsi que lesétendues herbeuses. Apparemment, l’herbe aurait des vertus hautement aphrodisiaques sur certaines de vosélèves. Il m’est arrivéavant-hier une bien fâcheuse mésaventure : j’ai en effet trouvéune jupe verte roulée en boule tandis que des murmures pour le moins offensantsàmes chastes oreilles montaient d’un fourrévoisin. Vosélèves sont surnommées « cato ver » en raison de leur uniforme, il semble que la cateau soit en pleine période de reproduction ces jours-ci !
J’ose espérer que vous sévirez contre ces comportements inadmissibles de la part de jeunes filles !
Ursula Paith Sech’
Je l’avoue volontiers, Ursula Paith Sech’ m’avait mis le cœur en joie ! J’hésitai entre rire et pitié devant cette femme d’un autre temps, visiblement dépassée par une ile Maurice qui se modernisait en bousculant les valeurs laborieusement acquises de certains. Et puis, mon Dieu ! Comme cette pauvre femme avait du souffrir de son patronyme ! Paith Sech’, à résonnance anglo-saxonne et bretonne, ça donnait juste… « pète-sec » en français ! Et pourtant, rarement nom fut si bien porté ! Je n’avais aucune indication si ces lettres avaient ou non été envoyées. Etaient-ce des brouillons, ou des doubles ? En tout cas, Ursula les avait soigneusement dissimulées. Tout ceci m’exaltait au plus haut point. L’homme à qui j’avais acheté le secrétaire m’avait laissé entendre que sa grand-tante était morte dans des circonstances troublantes.
Je décidai de « googliser » Ursula Paith Sech’ et les trois articles qui faisaient mention d’elle étaient extraits de deux hebdomadaires dominicaux spécialisés dans l’étalage obscène et voyeur des malheurs des petites gens et du bonheur des possédants. Le troisième était tiré d’une revue médicale française et l’article s’intitulait : « Mort apparente et inhumation prématurée : une patiente de l’ile Maurice revient à la vie dans son cercueil ». L’article racontait qu’Ursula, âgée de 83 ans, victime d’une crise d’apoplexie suite à la découverte d’un morceau de plastique – qui s’avéra être un préservatif – dans un plat cuisiné chinois dans un boui-boui de Rose-Hill, s’était brutalement effondrée au milieu du restaurant. L’article utilisait des termes scientifiques : « Face cadavérique - Suspension de la respiration - Perte de la transparence des doigts -Absence de phlyctènes et d'auréole inflammatoire à la suite des brûlures de la peau -Dilatation de la pupille… », et racontait le transport à l’hôpital, puis à la morgue du fait du constat du décès. N’ayant aucune famille pour la veiller, l’Etat avait fourni un cercueil et au moment où le croque-mort faisait glisser le cercueil vers la fosse, un cri atroce suivi de coups venant du cercueil avait glacé d’effroi le pauvre homme qui en avait perdu depuis le sommeil. On réussit à ouvrir le cercueil et à sortir une Ursula s’étranglant d’indignation plus que de peur, apparemment. L’ironie de l’histoire, c’est que ramenée à l’hôpital, elle eut encore la force de vilipender le personnel hospitalier qui se pressait devant son lit, les yeux exorbités, avant de retomber raide, foudroyée cette fois pour de bon. En raison de la mauvaise publicité faite aux hôpitaux publics, l’on avait plus ou
moins tenté d’étouffer l’affaire, qui remontait à dix-huit mois, d’où le peu d’articles autour de ce double décès.
Je reposai les lettres restantes. Ursula Paith Sech’, femme intransigeante, dernière figure d’une ile Maurice à la fois littéraire, cultivée, terriblement et vainement attachée à ses valeurs obsolètes aux yeux de la jeune génération, méritait que je respecte ses ultimes combats. Je repliai les lettres et les glissai à nouveau dans leur cache dérobée. Ursula pouvait enfin reposer en paix, dans le secret de son secrétaire, face à la mer.
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