Le Passager
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Une alerte à la bombe dans un aéroport parisien, le temps suspendu, un terroriste, une idée fixe...

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Publié le 28 octobre 2011
Nombre de lectures 124
Langue Français

Extrait

Je venais de débarquer lorsque, soudain, j'aperçus un groupe d’intervention se précipiter sur un passager
en criant :
--Tout le monde à terre !
Il y eut un vent de panique et j’entendis un brouhaha s’amplifier alors que nous nous plaquions au sol. Je
vis des chaussures passer devant moi en courant puis des visages apeurés derrière des sacs et des valises.
L’espace d’un instant, j’eus l’impression de participer à une flash mob ou à une mise en scène improvisée
pour un film catastrophe. Mais non. J’étais bien à l’aéroport de Roissy, un jour d’hiver comme un autre, à
10h30 d’un matin comme un autre. Je venais de me taper 8h de vol et le jet lag se faisait déjà ressentir,
inversant ostensiblement ma notion du temps et de l’espace, l’endroit avec l’envers, le midi à minuit.
Peut-être qu’après tout, les gens s’étaient collés au plafond ?
Cela me paru peu probable.
--Passez-lui les menottes ! hurla une voix d’homme.
Un passager avait été plaqué violemment au sol et se débattait frénétiquement.
Une femme et son gosse, allongés près d’un ficus en plastique, me regardaient avec effroi mais j’eus du
mal à les rassurer, fournir un début d’explication à ce déchaînement de violence. En guise de quoi, je
souris faiblement par compassion mais cela ne fit qu’accroître leur terreur. Près d’un guichet, une alarme
s’enclencha, arrogante et acide.
--Vous pensez que c’est un terroriste ? me chuchota un type à plat ventre à côté de moi.
--Aucune idée.
Je tournai la tête : un chewing-gum incrusté dans la semelle d’une Nike me dévisageait mollement, vert
de peur. Autour de moi, des murmures d’hypothèses.
Courants d’air.
Dans le hall, la température devait friser les 13°c. Au bout d’un moment qui me parut des siècles, les
passagers se levèrent enfin pour regagner une position digne des
homo erectus.
Le service d’ordre poussa
devant lui le suspect, un homme brun, trapu. Je reconnus mon voisin de bord qui était assis dans la même
rangée que moi pendant le vol et qui m’avait parlé de sa vie alors que nous survolions l’Atlantique.
J’avais oublié son nom mais il me dévisagea quand il passa devant moi, m’adressant une prière
silencieuse de connivence à travers son regard triste. J’avisai un uniforme qui rangeait sa matraque.
--Où est-ce que vous l’emmenez ?
--Ca vous regarde pas.
Le type n’avait pas l’air commode.
--Il transportait de la drogue ? me risquai-je.
--Nous avons eu une alerte à la bombe. Maintenant, circulez s’il vous plaît.
Sa politesse formelle tomba comme un couperet, je n’insistai pas.
Je vis le suspect disparaître, triste, derrière une cloison en plexiglas et notre dialogue me revint alors que
nous venions de quitter le sol, un jour d’hiver comme un autre d’un matin comme un autre après les
plateaux repas, les blockbuster diffusés en boucle dans l’avion. Il m’avait parlé de lui, de sa vie dans un
français impeccable à peine émaillé par son accent. Il était turc, originaire de Cappadoce m’avait-il
expliqué. Il travaillait la terre depuis des années là-bas sous le regard des vergers et des collines
moutonnante. Il y a vingt ans, avec sa femme et ses quatre enfants, il s’était installé en banlieue
parisienne.
Je veux qu’ils aient une éducation et un bon travail,
m’avait-il dit en souriant. Je venais de
terminer mon plateau-repas et l’écoutais avec plaisir, bercé par sa voix, le ronronnement des turbines, les
allers et venues des hôtesses dans le couloir de l’avion. Il avait vu grandir ses plantations avec patience,
entendu les premiers balbutiements de l’aînée se muer en paroles d’enfants. Il avait vu la religion prendre
un autre visage, ses mains se rider, ses phalanges s’endurcir, compris certaines choses pour en
désapprendre d’autres. Il avait observé les étoiles, là-bas en Cappadoce, leur ronde dans le ciel, le
crépuscule doré. Il m’avait dit que le jour où il cessera d’aimer et d’être aimé, il se sentirait comme mort.
Ce
comme
l’effrayait plus que tout. En France, il avait suivi une formation d’installateur climatiseur pour
une PME basée à Cergy.
--Et vous, vous faîtes quoi ? m’avait-il demandé en attrapant un oreiller sous son siège.
--Moi ? C’est un peu compliqué. Disons que je suis dans les affaires.
--Quelles genres d’affaires ?
--Je transporte des choses pour des gens.
--Des oeuvres d’art ?
Sourire.
--Ca m’arrive, avais-je répondu. Un peu de tout.
--Vous rendez service alors ?
--Oui, on peut dire ça comme ça.
Ensuite, il y eut un long silence et la plupart des passagers s’endormirent. Quelques uns, firent de la
résistance en s’épuisant les yeux sur des films ou des livres faiblement éclairés. Et j’avais sombré dans le
sommeil, rassasié d’images bucoliques et de couleurs Ottomanes.
--Là-bas, c’est le Paradis, avait-il relancé en parlant de ses terres. Il y a de tout. Des fruits, des légumes, le
soleil. C’est magnifique. Tu peux venir me voir si tu veux. Tu seras le bienvenu.
Il m’avait tutoyé au petit matin alors que nous survolions l’Irlande. J’avais ouvert un oeil sur les nuages
étincelants qui perçaient à travers les hublots puis lui avais tapoté l’épaule en souriant.
--Je n’y manquerai pas.
Où était-il à présent ? Qu’avait-il fait ? J’avisai un guichet derrière lequel une jeune femme semblait
pétrifiée par la blancheur de ses dents. Ou le contraire. Je ne savais plus avec le jet lag.
--Excusez-moi ? fis-je en poussant ma valise.
--Oui ?
--J’ai...j’ai un ami qui vient de se faire arrêter là-bas. J’aurai voulu avoir de ses nouvelles. Je suis inquiet.
--Nous avons eu une alerte à la bombe, monsieur. Nous ne faisons que suivre le protocole.
--Hum. Oui, j’entends bien mais je pense qu’il s’agit vraiment d’une erreur. Qu’est-ce qui va lui arriver ?
Regard.
Elle poussa un soupir.
--Ecoutez, monsieur. Le service de sécurité de l’aéroport de départ nous a alerté quant à la possible
présence d’une bombe à bord de l’Airbus. Si vous le souhaitez, vous avez toujours la possibilité de faire
une demande auprès du service de sécurité. Porte 2A.
--Mouais, fis-je dépité.
Je pris ma valise puis sortis en esquivant un flot de passagers. Dehors, l’hiver était bien là, avec ses
visages sombres d’après l’été, ce rythme bien particulier, cotonneux et fataliste, ses nuages gris, la ville
encore prise dans la tourmente d’une hibernation généralisée des consciences. J’allumai une cigarette en
observant les taxis dessiner des arabesques d’asphalte, les navettes, les touristes engoncés dans leurs
vêtements, les retrouvailles dans le hall, les séparations. J’avisai un chariot, posai ma valise et la fis rouler
jusqu’à un renfoncement, un peu à l’écart, près d’une sortie de secours. Je la laissai là. Je n’en avais plus
besoin. Je quittai l’aéroport à bord d’un bus en observant le chariot et ma valise disparaître à l’horizon.
Quelques minutes plus tard, il y eut un terrible coup de tonnerre dans le lointain, puissant.
Dans le bus, des gens étouffèrent des cris.
Je ne fais que transporter des choses pour des gens...
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